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Face à des parlementaires italiens furieux, le patron de Stellantis est resté droit dans ses bottes.
« Vous avez l’air en colère », a constaté Carlos Tavares. Vendredi 11 octobre, le directeur général de Stellantis a été auditionné pendant plus de deux heures par des membres du Parlement italien. Il a répondu à de nombreuses et souvent vachardes questions au Montecitorio, devant une commission mixte sur l’activité productive comprenant des membres de la Chambre des députés et du Sénat.
Ces derniers mois, le gouvernement de Rome et le dirigeant de Stellantis ont connu de nombreux désaccords. Lors de son audition, Carlos Tavares n’a pas pu non plus compter sur la sympathie de l’opposition. À travers un débat très tendu — et parfois confus – le dirigeant du quatrième groupe automobile mondial a néanmoins distillé des informations intéressantes, bien au-delà du cadre transalpin.
Pour Carlos Tavares, tout est prêt pour l’électrique : « Il ne reste qu’un problème à résoudre. Ce n’est pas technologie ou l’efficience, mais le prix ». Evoquant des coûts de fabrication supérieurs de 40 %, il a insisté sur les corrections à apporter au marché pour favoriser l’envol du VE.
« Si nous voulons de l’activité dans nos usines, nous devons vendre nos véhicules à des tarifs adaptés aux classes moyennes. Si nous voulons respecter les règles, le marché ira vers les véhicules électriques, à un rythme que nous pouvons discuter. Mais si c’est coûteux, nous n’aurons pas les volumes. Si nous n’avons pas les volumes, nous ne remplissons pas les usines ».
Dans un pays très sceptique face à l’électrification (sur les huit premiers mois de l’année, les VE représentent moins de 4 % des immatriculations) Carlos Tavares a défendu le maintien de l’interdiction des véhicules thermiques en 2035 : « Si l’on change les règles maintenant, nous allons ralentir nos efforts pour limiter le changement climatique. Je pense que c’est une question éthique que nous pouvons nous poser (…) Étant père de trois enfants et quatre fois grand-père, je n’ai pas de problème à vous dire que je souhaite contribuer pour un meilleur futur ».
Le dirigeant a surtout estimé qu’un continent 100 % électrique était meilleur pour ses affaires : « Si je pense que mes employés ont fait un super boulot pour préparer cette transition et par ce biais avoir une position plus compétitive vis-à-vis de mes concurrents, c’est une bonne chose pour mon entreprise. Nous sommes prêts et certains de mes rivaux ne le sont pas… ». Après son appel à assouplir les normes CO2 prévues pour 2025, Luca de Meo, le patron de Renault, peut se sentir visé par cette déclaration.
« Certains d’entre vous ont été très sévères en disant que nous n’avions pas de plan industriel, a poursuivi le dirigeant. Je voudrais vous montrer ces deux pages (il brandit deux tableurs Excel imrimés, ndlr.). Elles résument les véhicules alloués, usine par usine, jusqu’en 2033. Je les ai présentées à nos partenaires syndicaux italiens. Ils m’ont dit la même chose que vous : « S’il vous plaît n’allez pas trop vite sur l’électrification, sinon le marché ne suivra pas ». Avec leurs retours, nous avons changé des choses pour rajouter davantage d’alternatives en matière de chaînes de puissance (…) Les syndicats m’ont demandé de rajouter davantage de mild hybrid, ce que j’ai fait pour apaiser leurs anxiétés et parce que le futur est incertain ».
« Si vous (les politiques, ndlr.) voulez ralentir ce processus, vous le pouvez et je respecte cela. Mais alors la transition sera plus longue. C’est à vous d’en décider ». Rappelons que l’Italie fait partie des États ayant le plus freiné l’interdiction des moteurs à combustion interne en Europe à l’horizon 2035.
À lire aussiEssai – Maserati Grecale Folgore : le coup de foudre ?Les rétiaires du Parlement avaient aussi sorti leurs tridents. L’avenir de Maserati, l’une des 15 marques du groupe, paraît sombre. Au premier semestre, la marque centenaire n’a livré que 6 500 voitures, contre 15 300 sur la même période l’an dernier. La chaîne historique de Modène n’a sorti que 200 voitures…
Des têtes sont tombées. La veille même de l’audition, Stellantis a annoncé le remplacement de Davide Grasso par Santo Ficili. « Nous avons changé le management de Maserati pour introduire des personnes qui ont possiblement davantage de capacités pour régler les problèmes » a tranché Carlos Tavares.
Il a surtout démenti les rumeurs de revente qui rôdent autour du Trident. L’ancien maire de Modène, Gian Carlo Muzzarelli, s’est ainsi alarmé dans la presse locale d’une potentielle arrivée d’investisseurs chinois. « Stellantis n’a aucune intention de vendre Maserati » a tenté de rassurer Carlos Tavares.
Aujourd’hui, cette grosse bourgade de Molise fabrique les braves moteurs à hybridation (très) légère des Fiat Pandina. Et elle devait surtout accueillir une gigafactory, destinée à fournir des batteries à la coentreprise ACC (regroupant Stellantis, Mercedes et Total Energies).
À l’origine, cette usine nouvelle génération devait ouvrir ses portes en 2026… Ce sera plus tard. Le gouvernement de Giorgia Meloni, coalisant droite et extrême droite, a fait savoir qu’il reprenait donc les 200 millions d’euros d’aides promis au projet.
Carlos Tavares fut notamment attaqué sur ce dossier par l’ancien président du Conseil et actuel leader du Mouvement 5 étoiles (M5S), Giuseppe Conte : « Vous n’avez rien dit sur le devenir de la gigafactory » a cinglé ce poids-lourd de l’opposition. L’ancien chef de gouvernement a également qualifié le patron de Stellantis de « liquidateur ».
« La situation de Termoli est simple, a répondu le patron de Stellantis. Nous avons besoin de 3 ou peut-être 4 gigafactories en Europe, si le continent devient un marché 100 % électrique (…). Ces capacités ne sont utiles que s’il y a une demande. Nous allons ajuster le timing et la séquence de ces investissements (…). Termoli existera donc quand ses capacités seront nécessaires, en fonction de la croissance des ventes des VE ».
Le directeur général de Stellantis a par ailleurs justifié le choix de placer ces sites spécialisés dans l’assemblage des batteries à proximité d’usines historiques de moteurs : « Si vous avez besoin d’accélérer la production d’électriques, a précisé Carlos Tavares, vous pouvez diminuer la part des moteurs thermiques et rediriger l’activité sur le même site. Socialement, c’est un choix responsable ». C’est déjà le cas en France, à Tremery (Moselle).
Particulièrement remonté, le centriste Carlo Calenda (Azione) a déversé une pluie de reproches à l’homme fort de Stellantis. « Vous nous avez menti » a lancé l’onorevole, reprochant notamment à Carlos Tavares la disparition de 11 000 postes en Italie.
Il a également déploré le sort de l’usine de Mirafiori, à Turin, mise à l’arrêt avec l’insuccès récent de la Fiat 500e. Celle-ci est commercialisée uniquement à ce jour en 100 % électrique. Mais une version à hybridation légère arrivera sur le marché fin 2025.
Réponse de l’homme d’affaires : « L’Allemagne et l’Italie ont brutalement stoppé leurs aides aux consommateurs. C’est tout. La production à Mirafiori s’est effondrée. Que faisons-nous ? Nous apportons l’hybridation légère et nous compressons le temps de développement pour avoir l’avoir sur le marché dès l’an prochain. Pourquoi êtes-vous en colère ? ».
À lire aussiFaute de ventes, Fiat arrête encore de fabriquer la 500 électriqueSites d’assemblage majeurs de Stellantis en Italie en 2024 :
Autres usines d’assemblage en Italie (hors Stellantis)
« Nous nous attendions à mieux » s’est irritée Elly Schlein, lisant des « signes de désengagement » dans le pays. La secrétaire du Parti Democrate (PD), deuxième parti italien dans les sondages, a pointé un écroulement de la production du groupe dans la Botte (- 31 % au premier semestre). Elly Schlein a peu apprécié l’argument « subventions » brandi par Carlos Tavares. « Nous voulons signer un pacte avec l’industrie automobile, a-t-elle poursuivi, nous sommes prêts à donner des aides si vous signez un contrat écrit (sur l’avenir de la filière et l’emploi, ndlr) ».
Carlos Tavares a bien demandé le renforcement des aides : « Nous ne demandons pas de l’argent pour nous, a-t-il plaidé, nous vous demandons d’aider vos citoyens dans l’achat d’un véhicule qu’ils peuvent se permettre. Cet argent ne va pas à Stellantis. Cet argent donne le temps à Stellantis de réduire les coûts jusqu’à des niveaux acceptables par nos communautés ». On en revient à l’addition. Mais il est fort probable que le groupe ne s’engagera pas à rogner ses marges ou à stopper la distribution de dividendes…
Le député Luca de Carlo, membre du parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, a vertement critiqué la politique de Stellantis. « Nous sommes dans une révolution anarcho-capitaliste plutôt qu’une transition écologique », a-t-il cinglé, avant de reprocher au groupe d’introduire une marque chinoise en Europe via un accord avec Leapmotor.
« Je pense que nous avons été très malins, s’est, en réponse, félicité Carlos Tavares. Si nous devons nous battre avec les Chinois, c’est mieux de bien les connaître, de voir quelles sont leurs forces, leurs moyens pour aller vite dans la création de nouvelles architectures électroniques, où ils ont leurs avantages dans les coûts. C’est pour cela que nous sommes rentrés dans le capital de Leapmotor à hauteur de 21 % ».
L’ingénieur et chef d’entreprise portugais a poursuivi : « Deuxièmement, si les Chinois ont des surcapacités et se mettent à exporter, c’est mieux que Stellantis soit présent et génère de l’argent (…) Il sera réinvesti dans la recherche et le développement pour être compétitifs ».
Dans son propos liminaire, Carlos Tavares avait d’ailleurs relativisé la protection offerte par les droits de douane introduit par l’Europe à l’endroit des véhicules électriques chinois :
« Si je compare le coût des véhicules chinois par rapport aux nôtres à la sortie de l’usine, ils sont 30 % moins chers (…) Même si nous sommes protégés sur un marché, nous devrons faire face à la concurrence chinoise ailleurs ».
Le directeur général de Stellantis a cité, en exemple, le marché algérien, où le groupe possède près de 70 % de part de marché. « Mais dans le top 10, il y a sept marques chinoises et Toyota » a observé Carlos Tavares. La situation pourrait s’étendre à d’autres marchés comme le Moyen-Orient ou l’Amérique latine.
Comment dès lors faire baisser les prix pour les consommateurs ? Carlos Tavares : « Je peux apporter ma contribution avec une réduction intelligente et respectueuse des coûts. Mais cela prendra du temps, car je dois respecter mes salariés. Oui, nous serons un jour en mesure un jour de vendre des véhicules électriques en faisant des profits au prix du thermique. Cela nous prendra quelques années ».
« Personne ne s’écoute ici » a sagacement observé le député non-inscrit Luigi Marattin, observant les monologues parfois verbeux des parlementaires. « Mais si vous étiez à notre place, quelles politiques mettriez-vous en place ? », a-t-il demandé à Carlos Tavares.
Le patron de Stellantis n’a pas répondu à cette question.
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