AccueilArticlesLe biogaz, le grand oublié de la mobilité durable ?

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Inauguration Karrgreen à Ploërmel
Inauguration Karrgreen à Ploërmel

Si l’EcoGreen Gas est devenu EcoGreen Energy en s’ouvrant à l’électrique, ce n’est cependant pas en reniant le biogaz comme carburant alternatif pour la mobilité durable. Unanimes sur la question, les quinze intervenants au forum qui a précédé le lancement du chalenge espèrent que la France fasse entendre sa voix avant l’adoption de la nouvelle règlementation européenne concernant les émissions des poids lourds.

Le ton est donné d’entrée de jeu

L’Allemagne a récemment ouvert une brèche contre l’élimination pure et simple en Europe de la motorisation thermique pour les véhicules légers, notamment les voitures particulières. Le cas des biocarburants a ainsi été repêché de justesse. Est-ce que le bioGNV en fait partie ? Oui, non : La situation demeure floue à ce sujet. Les eurodéputés doivent aussi se prononcer sur les émissions des poids lourds.

GRDF, GRTgaz, Iveco, la région des Pays de la Loire, les agriculteurs méthaniseurs, la fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), des élus et l’association EcoGreen Energy sont à la fois en colère et déterminés pour que le gaz issu de la revalorisation des déchets ne reste pas au bord de la route. Quatre tables rondes ont été consacrées à ce sujet mercredi 10 mai 2023.

Pour y assister au domaine du Thiémay à proximité du circuit de Fay-de-Bretagne (44), il fallait embarquer dans un autocar Isuzu Kendo GNV. Tout un symbole, puisque depuis sa commercialisation lancée en France à partir d’un cahier des charges produit par l’importateur exclusif FCC, il s’est vendu quasiment autant dans l’Hexagone que le modèle diesel qui lui offre sa base.

Une certitude depuis plusieurs dizaines d’années

Ce n’est pas vraiment sous l’impulsion de jeunots ni d’industriels du secteur de l’automobile que l’association EcoGreen Energy est née. Elle puise son origine dans La Jol’toujours créée fin 2019 par d’anciens élèves, professeurs, et formateurs du groupe La Joliverie, installé sur le secteur nantais, et évoluant dans l’enseignement depuis la maternelle jusque Bac +5.

Dans cet écosystème, un binôme clé est à retenir : Philippe Maindru et Patrice Merhand. Le premier fréquente avec les étudiants depuis presque 40 ans les circuits en collectionnant avec eux les records de sobriété décrochés par des véhicules minimalistes mus par un large éventail d’énergie. C’est donc d’une longue histoire commencé sur le terrain avec le Shell Eco-Marathon qu’il a acquis ses certitudes concernant l’utilisation du biométhane pour la mobilité.

De G. à D. : Patrice Merhand et Philippe Maindru
De G. à D. : Patrice Merhand et Philippe Maindru

De son côté, son partenaire multiplie les engagements associatifs en faveur de la formation et de l’inclusion. Et quand il prend parti, il ne fait pas semblant. « On marche vraiment sur la tête en s’orientant exclusivement sur l’électrique et l’hydrogène et en excluant tout ce qui est gaz », a-t-il ainsi ouvert le forum EcoGreen Energy.

Contexte

Dominique Riquet, c’est l’Eurodéputé qui a rappelé en direct par visioconférence aux participants le contexte qui a servi de cadre au forum 2023 de EcoGreen Energy : « Nous sommes actuellement en pleine discussion sur la proposition de règlement pour réduire les émissions des transports routiers. Ce dernier est responsable de 6 % des émissions de CO2 en Europe ».

Il était question de réduire la part des poids lourds de 30 % en 2030 par rapport au niveau enregistré en 2019. La feuille de route a été ainsi révisée : « La baisse serait désormais de 45 %, puis de 65 % en 2035 et 90 % en 2040. Yannick Jadot a même proposé -100 % pour le terme ». Les utilitaires à partir de 3,5 tonnes devraient également être inclus au futur règlement.

L’eurodéputé et Isabelle Maître, déléguée permanente à Bruxelles pour la FNTR, ont tous les deux insisté sur la nécessité de « respecter le principe de neutralité technologique ». Et ce, pour au moins deux raisons : ne pas se fermer la porte au progrès, ni à certains marchés au niveau mondial. En France, le bioGNV pour les véhicules lourds est en particulier porté par les transporteurs et les collectivités locales.

Un règlement bâclé ?

Si les acteurs de la filière du biogaz montent avec force au créneau aujourd’hui, c’est parce que le calendrier empêche actuellement le parlement européen de travailler avec sérénité. Les eurodéputés doivent être renouvelés en mai 2024. Les votes pour de nouveaux textes seront de ce fait suspendus dès mars. D’où un risque à traiter à l’emporte-pièce les dossiers en cours.

« Nous avons peur d’une fuite en avant avec ce vote qui intervient dans l’urgence », a ainsi lâché Philippe Henry, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire.

Au cœur d’un territoire très ouvert à la méthanisation, le bioGNV a du sens pour lui : « Nous utilisons une matière première d’origine agricole et renouvelable. Nous travaillons sur des circuits courts production, distribution, consommation. Les scientifiques du GIEC nous ont demandé de passer à l’action, et nous sommes passés à l’action. Pourquoi devrait-on faire ‘Reset’ sur 10 ans de travaux ? ».

Un besoin de confiance

Comme bien d’autres dirigeants territoriaux et des syndicats de l’énergie qui ont déployé des stations d’avitaillement, Philippe Henry ne comprend pas pourquoi tout ce travail est suspendu au bon vouloir de l’Europe. Il demande avec force : « Nous avons besoin d’autonomie et de confiance. Si on est percuté comme ça, ça ne nous permettra pas d’y arriver à la décarbonation. Qu’on nous laisse faire nos expérimentations. Le biogaz coche aujourd’hui toutes les bonnes cases ».

Vice-président de Territoire d’énergie pour la Loire-Atlantique, Didier Meyer était dans le même état d’esprit : « On nous a dit d’y aller sur le GNV, et on y est allé. Maintenant on nous dit de ne plus y aller. Nous nous sommes engagés résolument dans un schéma directeur pour déployer de façon cohérente des stations GNV en Loire-Atlantique. Si on ne roule pas au bioGNV, ce sera beaucoup d’argent de perdu, de l’argent public ».

Le bioGNV à l'EcoGreen
Le bioGNV à l’EcoGreen

Benoît Dutertre, porte-parole des agriculteurs concernés à travers son engagement à l’association des méthaniseurs de France,  s’est désolé à juste titre : « Beaucoup de personnes n’ont pas conscience de ce que la méthanisation peut amener dans les territoires. Trop d’élus ont une méconnaissance du sujet ».

Ne pas être clivant avec les énergies

Pour Didier Meyer, « il ne faut pas être clivant avec les énergies ». L’Ademe, qui a sorti 4 scénarios (S1 – Génération frugale ; S2 – Coopérations territoriales ; S3 – Technologies vertes ; S4 – Pari réparateur) pour éclairer les précédentes présidentielles, a inclus le biogaz.

Scénarios Ademe
Scénarios Ademe

Une vision ouverte partagée par Véronique Bel, directrice régionale chez GRDF : « Le biogaz, c’est utiliser les déchets pour une substitution du pétrole là, maintenant, tout de suite. Quelle autre énergie peut faire cela ? Chacune est importante. A chacune ses bons usages. Les transporteurs plébiscitent le bioGNV pour les poids lourds ».

Deux d’entre eux ont témoigné sous le grande voute du domaine du Thiémay. Vincent Lesage est vice-président de l’antenne des Pays de la Loire pour la FNTR. Il est aussi à la tête des transports Breger qui disposent d’un parc de 700 camions : « Nous nous intéressons au bioGNV depuis 2017. Avec une part de 50 % de bioGNV dans les réservoirs, 15-16 de la flotte roule au gaz ».

Travaillant actuellement sur un projet de transport de pièces par camion électrique, il n’est pas sûr du tout que son client constructeur en Allemagne accepte le surcoût : « Ce sera pareil pour l’hydrogène ».

Transport de personnes

Dans le transport de personnes, les véhicules peuvent rester en service très longtemps. De l’ordre de 15 ans chez Linevia. Le PDG de cette entreprise, François Herviaux, a témoigné : « Savoir que le carburant que j’emploie est produit à 2,5 kilomètres par des agriculteurs est une réelle satisfaction ».

C’est aussi un croyant pratiquant du bioGNV. Sa flotte de 250 autocars dont 33 à motorisation gaz roule au GNV pour 30 % du kilométrage totalisé annuellement. L’entreprise investit aussi dans des stations d’avitaillement, comme celle sous l’enseigne Karrgreen à Ploërmel (56).

L’Eurodéputé Riquet a effectué un petit focus au sujet des autobus : « Ils devraient être zéro émission dès 2030. Imposer cela aux collectivités, c’est méconnaître leurs possibilités d’investissement ».

Directeur produit pour Iveco France, Clément Chandon a interrogé à ce sujet l’autorité organisatrice des transports en Ile-de-France. Elle pèse plusieurs milliers d’autobus, dont 5 000 rien que pour la RATP. Ils m’ont répondu : « Nous allons acheter tous nos bus GNV avant 2030, et après on n’achètera plus rien pendant 20 ans ». Ce qui lui fait craindre la faillite de son entreprise. Elle emploie en France quelque 4 000 personnes, avec une part de la production à l’export qui dépasse les 90 %.

Une appréciation faussée

« Dire que l’électrique est zéro émission, c’est institutionnaliser le greenwashing », a insisté Clément Chandon. Pourquoi ? L’eurodéputé Dominique Riquet l’avait précisé au début de son intervention : « Si l’on ne raisonne qu’au niveau de ce qui se passe à l’échappement, alors seul l’électrique est possible. Mais il se montrerait moins performant que le biogaz si l’on prenait en compte l’ensemble du cycle de vie, depuis la production jusqu’au recyclage ».

C’est pourquoi la FNTR exige qu’une clause de révision soit incluse au texte de la future règlementation, tablant en particulier sur le fait que les « les prochains eurodéputés seront sans doute plus verts et plus eurosceptiques ». La fédération des transporteurs ne veut pas enterrer les biocarburants ni les biogaz. Le potentiel de ce dernier est énorme pour la décarbonation en France.

Voiture GNV devant une unité de méthanisation en construction
Voiture GNV devant une unité de méthanisation en construction

Véronique Bel, de GRDF, a imaginé une comparaison parlante : « Aujourd’hui, pour bien faire comprendre l’importance du potentiel du biogaz, nous comparons ses capacités à des tranches nucléaires. Les 555 unités de méthanisation qui injectent actuellement dans le réseau représentent une capacité de production de 10 TWh, soit l’équivalent de 2 tranches nucléaires. En 2030, ce sera l’équivalent de 11 tranches ».

La crainte d’être abandonnés des constructeurs

Ce que craignent les transporteurs, les syndicats de l’énergie et nombre d’élus bien au fait des enjeux où le biogaz apparaît important, c’est le désintérêt des constructeurs pour les véhicules fonctionnant au GNV, poussés par la future réglementation européenne.

« Aujourd’hui, 90 % de nos ventes sont non diesel, avec 57 % de GNV pour les autocars et les autobus. L’Europe risque de se réveiller trop tard et de laisser l’industrie au bord de la route en se focalisant sur l’électrique », a estimé Clément Chandon. Dans les Pays de la Loire, 130 autocars roulent au GNV.

Autocar Iveco GNV
Autocar Iveco GNV

Le vice-président de la région alerte : « S’ils vont dans la logique européenne, les constructeurs vont changer de cap. Ne nous lâchez surtout pas ! Il faut que toute la filière qui s’est construite en France autour du biogaz ne nous lâche pas et trouve une résonnance dans d’autres pays en Europe ».

En disant cela, Philippe Henry n’a pas fait qu’exprimer un vœu pieux. Il a justifié une démarche qui se prépare au niveau de la région avec une portée nationale et au-delà : « Nous allons nous rendre à Bruxelles le 7 juin prochain. Il faut que la France fasse entendre sa voix, comme l’Allemagne l’a fait ».

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