La suite de votre contenu après cette annonce
Quel principal point commun entre Mildé, Kriéger, Hotchkiss, et Salmson ? Ce sont des marques automobiles disparues, que la plupart des conducteurs d’aujourd’hui ne connaissent pas et dont ils fixeraient plus ou moins le siège social au-delà de nos frontières. Et pourtant, elles sont bien françaises !
Sauf que chez Mildé et Kriéger, l’électromobilité a été une aventure qui a duré plus de 50 ans ! Christian Lucas, propriétaire avec Jean-Michel Horvat de l’unique exemplaire encore en état de rouler du coach 4 places La Licorne Mildé-Kriéger AEK, nous explique l’histoire toute particulière de cette voiture à conduite à droite.
S’il ne fallait retenir que trois noms pour illustrer la première vague industrielle de construction des voitures électriques en France, ce seraient Charles Jeantaud, Louis Kriéger, et Charles Mildé. Carrossier à l’origine, le premier a participé en 1881 à la construction d’un des tout premiers véhicules électriques terrestres. En 1895, Kriéger avait, lui, déjà déposé une série de brevets autour de la propulsion des véhicules à l’énergie électrique, à la suite d’une première réalisation l’année précédente. Très tôt touche-à-tout en appareils électriques, Charles Mildé a construit ses premiers engins branchés à destination des particuliers dès 1899. Son fourgon de 1897 totalisera en 1920 plus de 300.000 kilomètres de bons et loyaux services. De quoi en faire une spécialité !
Si l’entreprise Jeantaud disparaît en 1906 à la suite du décès de son fondateur, l’aventure électromobile se poursuit pour Mildé et Kriéger jusqu’au cœur de la Seconde Guerre mondiale. L’occupation allemande de la France commence avec la signature de l’armistice du 22 juin 1940. Dès lors, il va devenir de plus en plus difficile de circuler dans notre pays. L’essence est rationnée, et une puissance maximale est fixée pour pouvoir circuler : 14 chevaux. A Paris, les Allemands réquisitionnent les modèles qui dépassent cette limite, principalement pour en récupérer le métal afin d’alimenter les usines qu’ils ont mobilisées pour poursuivre la guerre. C’est cette même année que Mildé et Kriéger s’associent, pour produire des engins électriques qui pourront plus facilement circuler… à condition de disposer d’un transformateur externe fixe, très lourd et encombrant, qui sert à recharger les batteries au plomb.
A cette époque, La Licorne est un carrossier, comme il en existe encore beaucoup. A partir d’un châssis et d’un moteur réalisés par d’autres professionnels de l’automobile, cette corporation construit des engins prêts à prendre la route, parfois en se conformant aux désirs très particuliers de certains clients. Chez La Licorne, on ne proposait jusque-là que des voitures à essence. « Le carrossier est allé voir Mildé-Krièger pour adapter à son coach A163 une chaîne de propulsion électrique », explique Christian Lucas. « Mildé et Kriéger ont accepté, mais à condition que la voiture soit commercialisée sous leurs noms », précise le fondateur du conservatoire de Mobil’Eco, incollable sur le sujet. Voilà, résumé en quelques mots, comment sont nées en 1941 les La Licorne Mildé-Kriéger type AEK, qui seront produites dans une fourchette de 120-150 exemplaires. De loin, et de l’arrière, l’engin ressemble quelque peu à une Peugeot 202 dont elle est aussi proche par ses dimensions : 400 x 148 cm pour le coach branché, contre 411 x 150 cm pour la berline de Sochaux.
Si le modèle AEK reprend bien les lignes de sa sœur A163, son museau est cependant plus long. A l’image des Citroën Traction 15/6 que l’on identifie de même par rapport à une 11 normale, le coach électrifié de Christian Lucas possède une calandre bien en avance sur les optiques des phares. En cause, la batterie 96 V – 20,45 kWh, dont les 16 éléments sont à répartir à parts égales entre le coffre et l’emplacement normalement réservé au bloc thermique.
Le moteur électrique Safi (Société d’application de fabrications industrielles) à excitation compound, avec graisseur, a pris la place de la boîte de vitesses. « Le top de la technologie électrique en 1941 : outre les démarrages puissants, il offrait aussi un bon frein électrique avec récupération d’énergie », commente Christian Lucas. « Il équipait également la C.G.E Grégoire », poursuit-il.
Relié à l’arbre de transmission, cet appareil active les roues arrière selon la pression exercée sur la pédale d’accélérateur. Cette dernière pilote un rhéostat de champ qui agit sur le circuit shunt. Avec sa chaîne de propulsion électrique complète, l’engin a pris un peu plus de 500 kilos sur la balance, pour un poids à vide de 1.420 kilos !
« A cause du rhéostat à plots, la montée en vitesse de La Licorne Mildé-Kriéger fait ressentir des à-coups. Le levier relié au combinateur compte 4 positions : circuit coupé, première vitesse avec les 2 packs batteries en parallèle sous 48 V, deuxième vitesse avec les 2 packs en série sous 96 V, marche arrière par inversion des polarités aux bornes du moteur », explique Christian Lucas. « Pour passer de la première à la seconde, il faut appuyer sur ce qu’on appellerait à bord d’un modèle thermique la pédale d’embrayage. En l’actionnant, on coupe le courant sur le combinateur, qui se présente, sous le capot, comme une grosse rangée de contacts en cuivre », notre interviewé. A la décélération, le moteur se fait dynamo pour recharger les accumulateurs.
« En première, la voiture plafonne à 15-20 km/h, pour une vitesse maximale de 35-40 km/h en seconde », évalue Christian Lucas. Des chiffres valables sur le plat, car la voiture peut dévaler une descente à 50-60 km/h ! Si ces vitesses semblent insuffisantes, n’oublions pas que l’usage de La Licorne Mildé-Kriéger était quasiment réservé à la ville, et plus particulièrement à Paris, du fait de l’imposant transformateur-chargeur, intransportable, qui demandait une forte puissance électrique en entrée. Dans ce contexte, et sous l’occupation, le coach ne se faisait pas particulièrement remarquer par sa lenteur. Aujourd’hui, on aurait sans doute bien du mal à apprécier ses maigres performances sur les grands boulevards ! Avec une autonomie d’une centaine de kilomètres, l’AEK ne faisait finalement pas moins bien sur ce point que les voitures électriques des années 1990.
Alors que le modèle thermique coûtait environ 25.000 francs de l’époque un ou deux ans plus tôt, il fallait débourser au moins 42.500 francs en 1941 pour s’offrir le coach branché, soit 70% de plus ! Sous réserve d’observer le rituel d’entretien, les batteries, garanties 15 mois, pouvait résister à 375 cycles de charge/décharge. De quoi parcourir de 30.000 à 35.000 kilomètres avant de commencer à observer une perte d’autonomie après recharge. Un chiffre à comparer aux 38.000 km pris en référence par le constructeur pour fixer à 13.310 francs les économies réalisées en utilisant sa voiture, par rapport à un modèle équivalent à essence. Voilà, entre autres, pourquoi l’AEK a fait carrière comme taxi à Paris.
Fin de l’aventure pour Mildé-Kriéger en juillet 1942, et toute prochaine fermeture de l’usine pour ne pas collaborer avec l’occupant. Le constructeur Aéric, également démarché par La Licorne, aurait-il pris le relais jusqu’au premier octobre de la même année, date à laquelle les autorités en place interdisent la fabrication de nouvelles voitures électriques ? Probable, puisqu’il y a bien eu des modèles produits par lui sur la même base. Mais à l’automne 1942, Les matières premières manquent : pas question de les gaspiller à autre chose qu’à faire fonctionner la machine de guerre !
Après la libération de la France, l’usine Mildé-Kriéger ne rouvrira pas. L’occupation vient de faire la place à un nouvel épisode où il est devenu malsain et suspect de se déplacer dans des voitures qui ont pu servir aux collaborateurs des Allemands. Voilà pourquoi elles ont été massivement détruites. Toutefois, certaines La Licorne Mildé-Kriéger auraient été débarrassées de leur chaîne de propulsion électrique pour rouler à l’essence. L’exemplaire de Christian Lucas et Jean-Michel Horvat est le seul connu en état de se mouvoir sur ses batteries. « Un autre, incomplet, existait encore il y a quelques années », précise notre interviewé.
La carte grise de la Mildé-Kriéger de Christian Lucas et Jean-Michel Horvat indique une date de première mise en circulation au 1er janvier 1942. Un jour férié !? Il s’agit là d’un artifice de la préfecture lorsqu’il n’a pas été possible de retrouver la date exacte de l’immatriculation d’origine, par exemple lorsque la carte grise a été égarée. Le premier janvier de l’année estimée ou reconnue est alors indiqué d’office. Selon le site www.corre-lalicorne.com, les La Licorne Mildé-Kriéger et Aéric, ont été livrées avec un numéro de châssis compris dans une fourchette de 19.401 à 19.589, soit 188 voitures électriques diffusées en tout sur les années 1941 et 1942. Celle de notre interviewé porte le numéro 19.516. Ce serait donc la 116e à avoir été fabriquée, fin 1941 ou début 1942.
Selon ses propriétaires, leur AEK aurait été utilisée dans la région parisienne, depuis sa première mise en circulation, jusqu’en 1954. Elle a ensuite été immatriculée au Puy-en-Velay (43) jusqu’en 1978 par un collectionneur d’anciennes automobiles, pour alors repartir chez un autre, en Ariège, où elle a été rénovée. En 2005, grâce à une annonce publiée dans La vie de l’auto, elle est achetée par messieurs Horvat et Lucas qui lui redonnent un nouveau coup de jeunesse. Finis les accumulateurs au plomb, remplacés par des blocs Saft NiCd bien plus légers, provenant d’un ancien Montmartrobus. Au passage, la tension est ramenée de 96 à 84 V, pour une capacité de 11,76 kWh (contre 20,45 kWh).
« Elle ne roule pas souvent ! », confie Christian Lucas au sujet de l’AEK que vous découvrez grâce aux photos qui illustrent l’article. « Seuls les bruits des divers roulements se font entendre lorsqu’elle prend la route », poursuit-il. Elle est le plus souvent exposée au conservatoire de Mobil’Eco, près de Bordeaux, sauf quand elle participe à une manifestation, comme Rétromobile à Paris en 2009, la Bourse d’automobiles anciennes de Créhange (57) en 2011, Les volants des voitures du futur en Haute-Saintonge (17) en 2013, ou encore les 50 ans de la Saft en 2014 (86).
Automobile Propre et moi-même remercions chaleureusement Christian Lucas pour la transmission de son savoir, ainsi que pour les nombreux documents et photos fournis.
La suite de votre contenu après cette annonce
Notre Newsletter
Faites le plein d'infos, pas d'essence !
S'inscrire gratuitement