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La prestigieuse marque italienne aborde l’ère du « zéro émission » avec prudence. Et grâce à une nouvelle usine.
Flap, flap, flap, flap… Sous le soleil écrasant de Maranello arrive un hélicoptère placé sous très haute surveillance. L’engin transporte le président de la République italienne, Sergio Mattarella, preuve que la journée est importante. Le 21 juin dernier, le chef d’État avait rendez-vous chez Ferrari avec John Elkann (président exécutif), Piero Lardi Ferrari (vice-président) et Benedetto Vigna (directeur général). L’agenda prévoyait la visite du e-Building, un bâtiment de trois étages habillé de panneaux gris et de grandes verrières. Il sera le lieu de naissance des nouvelles Ferrari.
Ce site d’assemblage tout neuf se situe à quelques centaines de mètres de l’atelier originel bâti en 1943 par Enzo Ferrari, avec ses murs ocres, ses fenêtres carrés et son toit à double pente. Mais aussi des lignes actuelles, qui ont donné naissance à près de 14 000 voitures l’an dernier. L’e-building – qui travaillera en complément des lignes actuelles – enfantera à partir du début de l’année prochaine des Ferrari 296 GTB et GTS, de la Purosangue ou encore de la toute nouvelle 12Cilindri. La conception du bâtiment a été confiée à l’architecte Mario Cucinella. Il entend être plus efficient avec ses 3 000 panneaux solaires sur le toit ou la récupération des eaux de pluie.
Bien.
Mais cet investissement à 200 millions d’euros, annoncé en 2022 et inauguré à peine deux ans plus tard, permet surtout de lire entre les lignes les directions futures du cheval cabré, à l’heure de l’électrification et des turbulences internationales. C’est d’ailleurs ici que naîtront – dès 2026 – les premiers véhicules électriques de la marque, conçus sur une plateforme inédite. « Nous ne faisons pas ce nouveau bâtiment en vue d’augmenter nos capacités, explique Benedetto Vigna, patron de Ferrari, lors d’une conférence de presse en marge de l’inauguration. Il s’agit d’avoir plus de flexibilité ».
Plus de flexibilité ? Pour mieux comprendre, commençons par faire quelques pas dans le nouvel édifice, large, aéré, éclairé par de vastes verrières et orné de murs végétaux. À une époque où l’on parle de Giga Press et d’automatisation maximale, visiter une usine Ferrari renvoie aux fondamentaux. Devant Automobile Propre, quelques robots placés derrière des vitres en plastique se contentent de coller des pare-brise. Beaucoup d’hommes et de femmes en uniforme écarlate prenant le temps de bien effectuer des tâches multiples et de vérifier attentivement, par exemple, la bonne attache d’un tableau de bord. L’usine est encore en phase de test. Sur cette nouvelle chaîne dotée d’une soixantaine de postes, comme sur l’ancienne, située à quelques dizaines de mètres, le takt-time relève du quart d’heure. L’industrie automobile de masse pense en général en secondes.
Au-delà, quelques spécificités interpellent. D’abord, l’espace. L’e-building revendique 42 500 m², soit l’équivalent de cinq terrains de football, là où l’ancien site pêchait par manque de place. Logique : la production de Ferrari a doublé depuis son ouverture il y a deux décennies. La superficie permet d’intégrer davantage de technologies : « Au sein de l’e-building, nous avons des véhicules autonomes pour transporter les caisses, détaille Andrea Antichi, le responsable de la fabrication de Ferrari, mais aussi des cobots (robots collaboratifs voués à aider un technicien dans ses tâches, ndlr) et à terme, nous envisageons de pouvoir maintenir plus ou moins longtemps un véhicule sur chaque poste en fonction des besoins ». Voilà qui facilitera la vie des 300 salariés de ce site, mais aidera aussi à assurer la juteuse personnalisation des véhicules. Et il y aura aussi de l’espace pour assembler les voitures électriques au milieu des thermiques et hybrides, avec leur matériel spécifique et leurs procédures de sécurité.
Surtout, 30 % de l’espace de l’e-building demeure vide à ce jour. « Comme c’est le cas pour nos voitures thermiques et hybrides, nous voulons faire en interne tout ce qui est un facteur différenciant dans la performance, explique Davide Abate, le monsieur technologies et infrastructures de la marque. Nous sommes, par exemple, l’un des derniers constructeurs à avoir une fonderie dans nos murs ». L’e-building abritera prochainement l’assemblage des batteries et des machines électriques qui animeront les premières Ferrari électriques. Pour l’heure, on ne sait pas quel type de rotor ou de bobinage sera utilisé. Mais lors de notre visite, certaines machines destinées à la production des machines étaient déjà là.
Car la révolution commencera dès 2025. Ferrari présentera, en effet, sa première voiture électrique au dernier trimestre pour une commercialisation l’année suivante. « Vous devrez attendre pour en savoir plus » esquive Benedetto Vigna. Mais l’administrateur général est finalement assez bavard sur le marché potentiel pour une Ferrari à électrons. « Nous rencontrons dans certains pays des gens qui nous disent : « Je n’achèterai pas de Ferrari tant que vous n’avez pas d’électrique ». D’autres fidèles de la marque nous disent qu’ils ne voudront jamais d’un véhicule électrique. Les gens sont différents. Un jour, j’ai fait une erreur : on m’a demandé quel genre de clients pourraient acheter Ferrari électrique. J’ai répondu : « probablement des gens en dessous de 50 ans ». Des clients plus âgés m’ont interpellé : « Vous croyez vraiment que je ne suis pas conscient de l’environnement ? » ».
Avec celle de président du Conseil — l’équivalent de notre Premier ministre — ou de sélectionneur de la nazionale de football, le poste de Benedetto Vigna est l’un des plus prestigieux et observés de la Botte. Il entend rassurer : « Il y aura une nouvelle clientèle. Des gens qui voudront entrer dans la famille Ferrari parce qu’il s’agira d’une très bonne voiture électrique. Des passionnés de tech, mais pas seulement ». M. Vigna refuse néanmoins de s’engager sur un pourcentage de véhicules électriques dans ses immatriculations futures : « ce serait irrespectueux vis-à-vis de nos clients ».
Où en est le développement de cette première voiture électrique prévue dans un an et demi à peine ? « Nous avons déjà des prototypes sur la route, qui ont déjà parcouru des milliers de kilomètres, confirme Benedetto Vigna. Et nous avons aussi, chez nous, des clients qui s’y connaissent vraiment, ont conduit énormément de voitures, ils peuvent facilement comparer avec d’autres ».
L’un des mulets a été aperçu par le spotter Derek Cornellisen à proximité de la bourgade industrielle où l’entreprise a bâti sa légende. Si la chaîne de puissance demeure inconnue, le maquillage fait sourire : une carrosserie de Maserati Levante, des feux de Ferrari Roma et de vrais-faux échappements. Si certains avancent que cela annonce une voiture électrique grand format dans l’esprit de la récente Purosangue, nous serons ici plus prudents.
« La première Ferrari électrique coûtera plus de 500 000 euros » titrait le bureau milanais de l’agence de presse Reuters il y a quelques semaines. On ne comptait évidemment pas sur le cheval cabré pour populariser le genre ; aujourd’hui, la Ferrari la moins chère est la Roma « démarrant » au-delà de 215 000 euros (hors malus). Dans la même dépêche, le journaliste Giulio Piovaccari indiquait qu’un second modèle électrique était déjà en cours de développement derrière les murs en brique de Maranello. La maison n’a pas commenté ces informations, mais assuré que la définition des tarifs intervient bien plus tard dans le développement d’une nouveauté.
Pour convertir les plus sceptiques à l’électrique, Ferrari entend d’ailleurs utiliser l’ouïe. La marque a notamment déposé des demandes de brevets concernant des moyens de doter ses voitures électriques d’une identité sonore, via des canaux transformant le son produit par les moteurs électriques ou des aérophones placés sous la voiture. Il ne s’agit pas ici de vrai-faux bruits projetés par des haut-parleurs, comme sur la récente Hyundai Ioniq 5 N.
À lire aussiLa première Ferrari électrique fera du bruitSera-ce assez pour convaincre les réfractaires ou provoquer la même exaltation qu’une sportive thermique ?
On peut comparer cette stratégie à celles mises en place par d’autres grands noms. Lamborghini prévoit de proposer à son catalogue une première voiture électrique à l’horizon 2028, probablement dérivé de son concept Lanzador. Chez Bugatti, il faudra sans doute attendre la fin de la décennie pour assister à la manufacture d’un modèle électrique, malgré l’accord signé avec le spécialiste croate Rimac. « Il existera des niches où le moteur à combustion interne poursuivra sa route nettement plus longtemps que ce à quoi les gens s’attendent, expliquait Mate Rimac à Forbes. Certaines marques auront du mal à se différencier sans blocs thermiques, parce que c’est là-dessus qu’elles ont construit leur héritage ».
Ferrari n’entend pas non plus mettre tous ses yeux dans le panier électrique. La rossa entend conserver encore longtemps des moteurs thermiques à son catalogue. Traduction de cet électro-scepticisme en LV1 investisseur : « L’introduction de la technologie électrique dans nos voitures est coûteuse et son succès à long terme est incertain » résumait la marque dans son dernier rapport annuel à destination de ses actionnaires.
« Nous voulons offrir des électriques, des hybrides et des voitures thermiques, prévoit Benedetto Vigna. Quand vous pensez au moteur thermique à long terme, il faut penser aux carburants synthétiques. Nous travaillons déjà avec notre partenaire (Shell, ndlr.) sur le carburant neutre en carbone pour la Formule 1 à partir de 2026 ».
Chez Ferrari, la fin des moteurs thermiques alimentés par des carburants conventionnels pour le marché européen est prévue pour 2036 (et non 2035 comme les grands constructeurs). Mais des solutions comme les carburants dits neutres en carbone ou l’utilisation de l’hydrogène (H2) devraient changer la donne.
La volonté d’inscrire ces « carburants alternatifs » à l’agenda de l’UE était d’ailleurs d’un des grands thèmes abordés par le parti populaire européen (PPE) – plus gros groupe d’eurodéputés – lors de sa dernière réunion d’été à Cascais (Portugal) destinée à définir ses axes pour la nouvelle législature. Un groupe dont est issu Ursula von der Leyen, tout juste reconduite à la tête de la Commission européenne.
Côté H2, les moteurs à combustion interne fonctionnant à l’hydrogène sont attendus dès 2027 aux 24 Heures du Mans. Ferrari brille d’ailleurs dans la Sarthe, avec deux victoires consécutives lors des deux dernières éditions. Pour les Ferraristes canal historique, ce type de bloc permet de conserver le son et le caractère tout en se passant d’énergie fossile conventionnelle et transmettent un message « écolo » plus clair que les carburants synthétiques. Toyota, Alpine, Oreca ou AVL travaillent déjà publiquement sur le sujet, notamment en compétition.
Ferrari y pense aussi. La griffe a d’ailleurs déposé une fascinante demande de brevet dénichée par Autoguide, présentant un « véhicule automobile équipé d’un moteur à combustion interne à hydrogène ». L’inventeur indiqué est Fabrizio Favaretto, présenté par sa fiche LinkedIn comme étant le responsable de l’innovation sur les véhicules et les architectures de chaîne de puissance à Maranello.
La fiche technique potentielle exposée dans le document est éblouissante : l’engin est une supercar hybride notamment animé par un six-cylindres en ligne placé la tête en bas (le vilebrequin est en haut). Cette curieuse architecture permet de « laisser davantage de place » aux volumineux et cylindriques réservoirs de H2 sur ses flancs. Ce packaging agressif laisserait de l’espace pour un diffuseur XXL, générant un appui monstrueux dans un empattement court. Le document décrit également deux compresseurs entraînés par de l’électricité récupérée via le moteur électrique avant. Il ouvre aussi la possibilité d’utiliser les gaz d’échappement pour récupérer de l’électricité via la turbine, à l’image des MGU-H en Formule 1. Même si l’on se trouve là dans la recherche (presque) pure, la radicalité des 44 pages laisse baba.
Mais dès aujourd’hui, près de la moitié des Ferrari immatriculées sont hybrides. Elles disposent donc d’un moteur électrique et d’une batterie. « De l’extérieur, on pense que Ferrari ne connaît rien à l’électronique de puissance. C’est faux, tranche Benedetto Vigna. L’administrateur général est d’autant plus légitime pour parler du sujet qu’il a travaillé un quart de siècle chez STMicroelectronics, développant notamment les applications automobiles. Nous n’arrêtons pas d’embaucher, mais nous avons aussi beaucoup d’ingénieurs électroniques qui savent gérer la haute tension. Nous avons commencé dès 2009 en Formule 1, en 2013 sur la route avec LaFerrari. Nous avons beaucoup d’expérience dans le domaine ».
Ferrari assure donc avoir les hommes et les femmes pour tout faire en interne. Y compris l’assemblage des batteries, au sein du e-building. Logiquement, sur ce chapitre comme sur d’autres, il est plus question de performance que d’économies. « La LFP (lithium-fer-phosphate, ndlr.), ce n’est pas pour Ferrari », tautologise le patron auprès d’une consœur italienne. Les nickel-manganèse-cobalt (NMC) proposent évidemment plus de densité énergétique, allégeant le véhicule. Le faible kilométrage parcouru en moyenne par les voitures et le pouvoir d’achat des clients pointent également dans cette direction.
« Ces derniers temps, il y a beaucoup d’allers-retours en avion entre Bologne et Séoul », nous glisse en aparté un habitué de Maranello. La marque se fournit en cellules depuis 2019 chez SK On pour équiper ses modèles hybrides récents comme la SF90 Stradale ou les 296 GTB et GTS. Ferrari et le chaebol ont récemment signé un accord d’échange d’informations. SK On est également pourvoyeur de « pouch » pour Volkswagen, Hyundai ou Ford, plutôt sur des hauts de gamme. L’entreprise coréenne a notamment l’habitude de travailler avec une tension de 800 volts sur la plateforme E-GMP de Hyundai-Kia. Logiquement, Ferrari devrait privilégier cette architecture pour accélérer les recharges, mieux gérer les températures de fonctionnement et alléger le câblage.
À lire aussiEssai – Maserati GranTurismo Folgore : colpo di fulmine !Et le cheval cabré investit aussi sur la recherche. En témoigne le tout nouveau E-Cell Lab, inauguré au printemps. Ce laboratoire rattaché à l’université de Bologne est financé par la marque et le fabricant néerlandais de semi-conducteurs NXP (lointaine excroissance de Philips depuis revendue). Doctorants, chercheurs et professeurs planchent spécifiquement sur la chimie des batteries solides, les électrodes ou encore la gestion logicielle des accumulateurs. Avec un accent tout particulier porté sur les applications hautes performances (charge/décharge rapide, gestion thermique, etc.). Ferrari n’entend tout de même pas fabriquer ses propres piles : il s’agira d’en découvrir les secrets pour « établir un langage commun avec les partenaires » comme l’indique le communiqué.
Le budget n’est pas indiqué, mais ne devrait pas être un problème. Selon son rapport annuel, Ferrari a investi plus de 800 millions d’euros l’an dernier dans la recherche et le développement sur un chiffre d’affaires total de 5 milliards. Ces grandeurs demeurent évidemment bien inférieures aux géants de l’automobile. À titre de comparaison, Stellantis assure avoir dépensé 6 milliards d’euros en R&D sur son dernier exercice. Il convient donc de ne pas se tromper et de garder les yeux ouverts.
Dans les questions/réponses liées à l’inauguration de la nouvelle ligne de production, Benedetto Vigna évoquait la nature mortelle d’une marque prestigieuse, même si elle est aujourd’hui valorisée à près de 100 milliards d’euros et classée parmi les « défensives » par les boursicoteurs.
« Le évhicule électrique est un univers totalement différent (…) Quand vous avez du succès, le danger réside dans le fait de penser que vous en aurez toujours, explique le dirigeant, formé comme docteur en physique nucléaire. Nous travaillons énormément sur cette dimension culturelle : ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Avoir une équipe de course dans nos murs nous aide beaucoup. Il y a des week-ends où nous gagnons, d’autres où nous perdons (…) Il faut être prêt à capter les signaux faibles. Mes antennes sont très sensibles, car je viens de la tech, un milieu où les choses avancent avec une cadence beaucoup plus rapide que dans l’automobile ».
La méthode Vigna entend accélérer les temps de développement pour toujours proposer une solution plus moderne au client. Et elle détonne dans une maison très attachée à son patrimoine. « Il nous a appris beaucoup sur l’agilité ou ce que l’on peut apprendre du monde extérieur, témoigne Davide Abate, responsable des nouvelles technologies, au sujet de son patron. Un projet comme cette usine met normalement trois ou quatre ans à se réaliser. Ici, nous inaugurons une usine dont la première pierre a été posée en janvier 2023 ». Aujourd’hui, même Ferrari doit appuyer sur l’accélérateur.
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