Camions

Très à la traîne sur la part du ferroviaire pour le transport de marchandises, la Bretagne dispose cependant d’un outil pour se mettre en marche. C’est ce que le dispositif régional Mixenn a voulu mettre en avant auprès des professionnels du secteur en conviant à un nouveau webinaire deux témoins au tout début de ce mois de juillet.

Mixenn dynamise la décarbonation du transport de marchandises

Soutenu par l’Ademe et animé par la Bretagne Supply Chain, le programme régional Mixenn lancé en 2021 a pour mission d’accélérer la transition écologique du transport des marchandises à la pointe ouest de la France. Il propose pour cela d’activer trois leviers : la conversion des flottes aux énergies alternatives, le report modal sur l’eau et le rail, et l’optimisation des flux. Son équipe endosse trois rôles principaux : informer, mobiliser et susciter l’engagement.

Signe de son dynamisme et du sérieux de sa démarche, c’est la troisième fois que nous évoquons Mixenn. En mai dernier, c’était à la suite de son webinaire concernant l’idée d’un rétrofit ouvert à un mix d’énergie. Le mois d’avant, nous avions assisté à sa table ronde organisée dans le cadre du salon Mobizi avec le témoignage de différents dirigeants d’entreprises bretonnes déjà engagées dans la réduction de l’empreinte carbone pour la mobilité des personnes et des marchandises.

Parmi elles, la société Lobodis spécialisée dans la torréfaction et le commerce de gros en cafés. Son responsable logistique, Guillaume Brohan, avait alors présenté un éventail rare et assez large de pistes suivies pour décarboner le fret : adaptation du conditionnement pour loger davantage de marchandises sur les palettes, recours à la mutualisation, report modal à venir sur des bateaux à voile, etc.

Un retard à gommer

Depuis deux mois, Lobodis est allé encore plus loin en cherchant des voies pour reporter sur le ferroviaire une partie de ses expéditions dont un nombre majeur — les deux tiers en volume — rejoint les plateformes de l’enseigne carrefour. Le torréfacteur peinait à trouver des possibilités d’exploiter le rail. Pourquoi ?

Chargée de mission à la Bretagne Supply Chain, Noémie Rousseau a donné en chiffres et en introduction de ce nouveau webinaire programmé le 1ᵉʳ juillet 2024, un élément de réponse : la part ferroviaire selon le tonnage de fret n’est que de l’ordre de 1 % en Bretagne, contre 10 % à l’échelle de la France et 17 % en Europe. La plus grosse partie, soit 94,5 %, est acheminée par la route. Même le transport par la mer est mieux développé avec ses 4,5 %.

Pour réduire son retard, la région compte se mobiliser. Alors que l’objectif à horizon 2050 pour notre pays est de porter la part du ferroviaire à 25 %, la Bretagne prévoit de multiplier par 6 son maigre score à cette échéance. Et ce, en poursuivant trois axes principaux dans le cadre d’un contrat-plan État-Région : réhabiliter des lignes au départ des ports de Brest et de Lorient, agrandir le terminal combiné de Rennes, remettre en service des installations terminales embranchées.

Installations terminales embranchées : c’est quoi ça ? La SNCF définit une ITE comme étant « une voie ferrée desservant une entreprise, une usine, un dépôt, une zone industrielle ou portuaire à partir du réseau ferroviaire national afin de permettre le transport de marchandises sans rupture de charge ».

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CO2 et NOx du transport de marchandises

Faut-il revenir sur les raisons de diminuer drastiquement l’acheminement du fret par les camions diesel ? Il y a déjà ces 9 % d’émissions en équivalent CO2 attribués aux poids lourds. Et puis la pollution. Devant les participants à distance, Noémie Rousseau a comparé : « Les émissions d’oxydes d’azote en France, ce sont 48 000 décès prématurés par an, soit l’équivalent des ravages de l’alcool dont on parle davantage ». Les poids lourds et les utilitaires légers sont respectivement responsables à hauteur de 26 et 45 % des émissions nationales de NOx.

Sur le papier, recourir au ferroviaire additionne les avantages : un convoi ferré remplace 40 camions, en nécessitant 6 fois moins d’énergie, en abaissant de 85 % les émissions de CO2 et en divisant par huit la pollution atmosphérique. Ce mode de transport offre une forte capacité de massification, permet d’organiser des flux réguliers et de sécuriser l’acheminement de matières sensibles, et apporte une réponse à la pénurie de conducteurs de camions.

Pour un grand nombre de chargeurs, c’est-à-dire d’entreprises qui commandent des services logistiques à des transporteurs, passer par le rail apparaît plus compliqué que de recourir aux camions. Et quid du coût ?

Plateforme Appel d’air

Avec un financement tiré du dispositif des certificats d’économies d’énergie comme c’est le cas également pour le programme Fret 21, AI Cargo Foundation exploite le numérique et l’intelligence artificielle pour faciliter le report du fret sur le ferroviaire. Primée par le programme Propulse de l’Agence de l’innovation pour les transports, cette association loi 1901 développe à l’échelle de l’Hexagone la plateforme Appel d’air pour le report modal fluvial et ferroviaire.

Pour en parler aux chargeurs, transporteurs et autres entreprises bretonnes concernées : Antoine Mionnet, responsable développement et partenariat pour la structure conviée au webinaire par Mixenn. Accessible à partir d’un site Internet, le scénario de mise en place des liaisons ferroviaires pour le transport de marchandises se joue en trois actes : numérisation des offres et des besoins, connexions numériques entre les demandeurs et les opérateurs, développement de nouveaux services.

Lobodis se prête désormais à ce jeu : « Depuis notre plateforme de Bain-de-Bretagne, nous envoyons 5 000 palettes à l’année avec de nombreux flux vers l’Ile-de-France, la région Rhône-Alpes et l’est du pays. S’y ajoutent 8 000 colis de e-commerce. Aujourd’hui encore, les expéditions sont réalisées à 100 % par la route. Cette année, nous avons été approchés par Appel d’air ».

Trois maillons

Les objectifs qui pèsent sur le programme Appel d’air sont ambitieux : sensibiliser 4 000 entreprises à l’assistance numérique au report modal, labelliser 250 d’entre elles (elles sont déjà 120 début juillet 2024), assister numériquement l’équivalent de 2 milliards de tonnes-km pour le report modal fluvial et ferroviaire. À destination des chargeurs, transporteurs et commissionnaires, l’équipe renseigne sur les enjeux (GES, pollution, économies d’énergie, risques associés, etc.), les évolutions réglementaires, et facilite la mutualisation des flux entre demandeurs.

Parce que le succès du report modal nécessite parfois des interventions sur des infrastructures, AI Cargo Foundation communique régulièrement avec SNCF Réseau, Voies navigables de France, mais aussi les collectivités. Il s’agit tout à la fois d’accompagner les territoires à la transition écologique des entreprises, de développer l’attraction de l’arrière-pays pour les zones portuaires, et d’aider à la prise de décision pour maintenir et/ou développer des infrastructures.

En troisième maillon, les opérateurs ferroviaires et fluviaux. Ils bénéficient avec la plateforme Appel d’air d’une visibilité des opérateurs du fret sur leurs services, avec la possibilité d’en développer de nouveaux et une optimisation des moyens (meilleurs taux de remplissage, fréquences en augmentation, exploitation du contre-flux encore trop souvent négligé par des retours à vide ou à faibles charges).

Un service gratuit

Afin de ne pas rester sur une approche trop théorique, Antoine Mionnet a montré lors du webinaire quel chemin numérique un chargeur ou assimilé emprunte gratuitement pour pouvoir trouver des propositions de service ferroviaires pour son fret. La démarche commence par la création d’un compte. Un onglet permet de trouver des liaisons entre un point A et un point B dans un rayon paramétrable. Par exemple à 50 ou 100 km des lieux d’embarquement et de livraison.

Les résultats sont donnés sur une semaine glissante, avec une heure limite de remise, une visualisation de l’acheminement, et l’économie en CO2 estimée par rapport à un trajet en camion diesel. Importante, mais facultative, cette étape permet déjà de rassurer les donneurs d’ordres sur la possibilité pour eux d’envisager le report d’une partie de leurs flux par le rail.

C’est toutefois le travail plus minutieux de renseignement du plan de transport qui va permettre à toutes les parties de progresser. En décrivant tous les besoins, on aboutit à une cartographie complète de laquelle vont ressortir les possibilités déjà existantes de services : « L’application va balayer en quelques secondes toutes les offres de transport ».

Mutualisation

Cet effort pour créer un plan de transport, Guillaume Brohan l’a fait pour Lobodis : « En retour j’ai reçu un taux d’éligibilité de 27 % ». En clair, 27 % des flux d’acheminement de son entreprise pourraient basculer vers le ferroviaire : « A moi de m’organiser pour trouver des possibilités routières afin d’acheminer le fret jusqu’au lieu d’embarquement et depuis le terminal d’arrivée jusqu’aux points de livraison ».

Un exemple qui a incité Antoine Mionnet à préciser : « Des opérateurs proposent des solutions porte-à-porte, d’autres se concentrent uniquement sur le trajet ferroviaire ». On peut aller encore plus loin. Lorsqu’il n’existe pas d’offre, il est possible d’intéresser les opérateurs en mutualisant les demandes. C’est-à-dire en trouvant d’autres entreprises qui ont des besoins d’acheminements sur de mêmes liaisons.

Ainsi, les flux modestes peuvent s’ajouter pour devenir un ensemble intéressant décidant de la création de nouveaux services. Le responsable chez AI Cargo Foundation explique : « Ce travail permet d’identifier anonymement des volumes potentiels. Suit une étape de faisabilité technique et de définition d’un tarif à comparer avec le transport routier ».

Plus rentable pour les longues distances

Si un nouveau service devait être mis en place grâce à la mutualisation, l’autorisation est demandée au préalable aux donneurs d’ordre intéressés pour une mise en relation entre eux : « Il est aussi possible de créer un groupe local ou régional. Par exemple pour la Bretagne Supply Chain. On aura ainsi une cartographie pour toutes les entreprises du groupe créé. Telle entreprise aura des besoins pour 2 camions, une autre pour 3, etc. Ce qui permettra de convertir le tout en taux de remplissage d’un train et d’aboutir à l’ébauche d’un appel d’offres ».

Si Antoine Mionnet assure que le report sur le ferroviaire bénéficie d’un TCO compétitif par rapport à la route même sur de petites distances, le responsable logistique chez Lobodis a lui déjà pu observer : « L’intérêt économique est plus évident pour nos liaisons depuis la Bretagne jusqu’à la région Paca que vers l’Ile-de-France, en raison des coûts de chargement et déchargement qui sont alors écrasés sur de plus longues distances ».

Les entreprises intéressées peuvent bénéficier d’un accompagnement gratuit de quatre jours par Appel d’air pour effectuer les démarches de renseignement des flux sur la plateforme. Aujourd’hui limitée au national, elle va s’ouvrir à l’Europe, pouvant prendre en charge à terme les flux au départ, à l’arrivée, ou en transit par la France.

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