En achetant fin 2018 sa Bolloré Bluecar ex-Autolib’ pour moins de 4 000 euros, Julien pensait avoir trouvé à pas cher la voiture électrique idéale pour l’utilisation qu’il voulait en faire. Il n’aura finalement pu l’utiliser que quelques mois.

L’ère Autolib’

Quelle était belle la Bolloré Bluecar quand elle était vraiment bleue et sortie du cerveau de l’ingénieur Philippe Guédon, ancien PDG de Matra Automobile et auquel on doit entre autres le concept du Renault Espace ! Repris par Pininfarina, le projet a pu encore séduire, devenant, en 2011, la voiture du service parisien Autolib’ sous une présentation un peu moins valorisante.

Sans jamais devenir rentable, l’enseigne d’autopartage en freefloating a été dissous en 2018, laissant orphelines environ de 3 000 à 4 000 Bluecar dans des états souvent très moyens. En août de cette année-là, ces citadines électriques, handicapées par une batterie LMP (lithium-métal polymère) à maintenir quasi constamment à une température autour de 60° C, ont été expédiées dans le Loir-et-Cher à Romorantin. Un lieu où, comble du mauvais sort, était localisé le siège de Matra.

Attendant leur destruction, beaucoup de ces engins étaient encore entreposés à l’extérieur en 2021 quand les urbexeurs Gabriel de Saint-Exupéry et Corentin Talamon sont venus tourner une de leurs vidéos d’exploration urbaine. Un gâchis monstre pour sans doute la plus mauvaise voiture électrique du marché français !

3 700 euros pour les 50 premiers

À l’automne 2018, beaucoup de ces Bolloré Bluecar arrivées à Romorantin pouvaient rouler à nouveau après une remise en état. C’est pourquoi un garage local a eu l’idée de les proposer à la vente avec des prix cassés, batterie incluse. Internet se souvient encore de ce samedi 10 novembre 2018 où les cinquante premiers acquéreurs pouvaient bénéficier d’une baisse à 3 700 euros au lieu de 4 500.

Julien était sur place ce jour-là, très motivé : « J’avais lu l’annonce sur Internet. L’ouverture de la vente était programmée à 9 h 00. Il y avait pas mal de monde, bien plus de cinquante personnes. Les attentes étant dépassées, le garage a finalement appliqué bien plus largement que prévu le tarif promotionnel. J’ai trouvé que c’était un bon geste. J’avais toutefois souscrit en plus pour 192 euros une extension de garantie sur la batterie. Quand on sait comment ces voitures ont été traitées, c’est l’élément qui me faisait un peu peur ».

La Bluecar correspondait à ses souhaits : « Habitant en région parisienne, on avait déjà eu l’occasion de louer des Autolib’ et d’apprécier leur maniabilité. À l’époque, nous avions une Honda Civic 8 et une Toyota Celica de 1998. Déglinguées comme elles étaient au niveau de la carrosserie, les Bluecar ne risquaient plus grand-chose. On pouvait se garer gratuitement à Paris. Il y avait des places juste en face du cinéma où j’allais avec des amis ».

Déjà au bout de 150 m

Au moment de l’achat, le foyer vivait en appartement : « Nous savions que nous allions prochainement le quitter pour une maison en centre-ville, la Bluecar pouvant alors être rechargée dans le garage. D’où des économies sur le carburant. Au quotidien, cette voiture nous paraissait aussi idéale pour emmener les enfants à l’école. Nous avons demandé au garage vendeur de la garder un peu et de nous la livrer quand nous serons dans notre nouveau logement ».

Un service consenti gratuitement : « Elle est finalement arrivée un peu plus tôt, le 22 février 2019, alors que l’intermédiaire en charge de la livraison a eu une opportunité de venir en région parisienne près de chez nous. Comme les batteries doivent être maintenues à une certaine température, il fallait que la voiture reste branchée. C’est pourquoi des amis nous l’ont gardée quelques mois en attendant notre déménagement ».

À la première utilisation, Julien a remarqué un problème sur sa Bluecar : « Au bout de 150 mètres, j’ai entendu un bruit flippant au niveau du train avant. Le vendeur m’a dit d’amener le véhicule chez un partenaire à Livry-Gargan (93). Bien que déclarée réparée et essayée, ma Bluecar continuait à être anormalement bruyante. Ce que j’ai fait constater sur place. Ma voiture a alors dû être rapatriée à Romorantin, d’où elle est revenue le 15 juillet 2019 après un remplacement du bloc moteur-réducteur ».

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Une panne derrière l’autre

Malheureusement, Julien et sa famille n’auront profité de leur Bolloré Bluecar que quelques mois : « Jusqu’au 13 décembre 2019, tout allait bien. Nous étions super contents d’avoir cette voiture pour aller à Paris et se garer facilement tout comme pour emmener les enfants à l’école. Un jour de pluie où ma femme s’en servait, tous les voyants se sont allumés avec un message en gros demandant de s’arrêter dès que possible ».

C’est là que la galère a vraiment commencé : « Aucun garage ne voulait prendre notre Bluecar prétextant avoir trop de problèmes avec les batteries de ces voitures. Puis le vendeur nous a dit que ce n’était pas très grave, juste un problème connu d’infiltration d’eau par la trappe de recharge et que l’ajout d’un joint silicone résoudrait le problème. J’ai été invité à amener à nouveau le véhicule à Livry-Gargan ».

Notre lecteur a donc payé le 16 décembre un dépanneur pour transporter sa Bluecar jusqu’au garage de Seine-Saint-Denis : « C’était effectivement bien le problème. Après la pose du joint et réinitialisation avec la valise, notre voiture refonctionnait. Mais, alors que le technicien l’essayait, elle est retombée tout de suite en panne avec un code plus grave concernant la batterie de traction ».

L’assurance se défile

Très ennuyé par ces pannes, Julien pensait pouvoir se reposer sur la garantie payée 192 euros couvrant la batterie : « Le 19 décembre, un devis de 3 888 euros est envoyé à l’assurance qui m’a demandé dans la foulée des précisions concernant la panne. J’ai répondu dès le lendemain. Malgré ma réactivité, la compagnie a refusé de prendre en charge le problème sous les prétextes d’un défaut de déclaration dans les cinq jours et que le SoH de la batterie serait à moins de 75 % ».

Des raisons qui sont en dehors des clauses d’exclusion figurant dans le document signé par notre lecteur : « J’ai répliqué en disant qu’aucun délai de déclaration ne figurait dans le contrat et que j’avais de toute façon réagi tout de suite. En outre, le seuil d’exclusion indiqué était de 50 %. Là, l’assurance a soutenu que les pertes de puissance étaient dues à la défaillance de plusieurs modules et que le SoH était donc en dessous des 50 % ».

Aujourd’hui, le Francilien a ses propres convictions : « En bref, l’assurance fournissant la garantie cherchait à se dégager de l’affaire. Elle ne pouvait pas avoir de certitudes sur l’état exact de la batterie. Sur ces modèles, seul le fabricant peut le vérifier ».

De quoi s’y perdre

Comme le service avarie de l’assurance maintenait sa position en dépit du bon sens, Julien a envoyé un dernier message en date du 17 février 2020 : « Je leur ai indiqué que je transmettais le dossier à mon service juridique. Depuis, j’ai compris que l’assureur a dû supporter le remplacement de beaucoup de batteries sur ces Bluecar vendues à Romorantin, avec une suspicion de magouille portant sur les deux garages ».

Les ennuis ne se sont pas arrêtés là : « Le garage de Livry-Gargan chez lequel ma voiture est depuis le 16 décembre 2019 m’a réclamé 15 euros de gardiennage par jour. J’ai répondu que ce n’était pas à moi de payer puisque la voiture est tombée en panne chez eux et que c’est leur technicien qui conduisait à ce moment-là ».

Très remonté au départ, l’automobiliste de 41 ans est désormais désabusé, se sentant un peu noyé dans les rebondissements : « On ne sait plus vraiment qui attaque qui et qui défend qui. Le vendeur a attaqué Bolloré pour ventes de voitures avec vices cachés, le garage de Livry-Gargan a attaqué le vendeur, etc. Aujourd’hui, l’ancien patron du garage de Romorantin a même été nommé liquidateur dans une procédure engagé par l’assurance de l’établissement. J’estime qu’il est ainsi à la fois juge et partie. C’est à ne plus rien y comprendre ».

Perdu d’avance ?

Julien n’est pas tout seul : « J’ai rejoint un collectif d’une trentaine d’utilisateurs qui ont confié leurs intérêts à Maître Vinet, avocat au barreau de Blois. Comme toutes les autres Bluecar de la procédure, la mienne a été expertisée. Il en ressort que ma panne relève bien d’un vice caché et pas d’une mauvaise utilisation. Le problème est que quand on attaque Bolloré, ça peut durer longtemps. L’affaire suit son cours, comme on pourrait dire ».

Ce qui a décidé notre lecteur à nous contacter, c’est sans doute ce rafraîchissement du dossier qui date de début juillet dernier : « L’assurance du garage de Romorantin, distincte de l’organisme auquel j’ai payé pour la garantie sur la batterie, veut conclure sa procédure au 27 novembre prochain. Ce que je veux, c’est que ça se termine au plus vite. Je paye encore pour cette Bluecar l’assurance Auto. Si on peut se faire rembourser du prix d’achat, tant mieux ».

C’est loin d’être gagné d’avance : « Au pire, s’il faut mettre cette Bluecar à la casse sans rien recevoir, même si on n’est pas riche, on fera une croix dessus. Comme la voiture n’est pas chez moi aujourd’hui, tout se fait de loin en loin. Ça ne m’impacte plus spécialement ».

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Un simple problème de sonde de température ?

Un impact, il y en a quand même un chez Julien, et il est de taille : « Ma femme ne veut plus entendre parler de voitures électriques. Après être passés par une charmante Daihatsu Trevis au style néo-rétro, elle aussi défaillante, nous roulons actuellement avec une Fiat Panda essence de 2004. On aimait bien pourtant la japonaise un peu key-car, petite à l’extérieur, mais château dedans ».

Notre lecteur a aujourd’hui un doute sur la gravité de la panne : « Un utilisateur de Bluecar a pu être dépanné rapidement par un garage lambda pour un coût que j’imagine raisonnable puisque le temps de main-d’œuvre n’a été que de 30 minutes. Il a tout simplement remplacé une des cinq ou six sondes de température de la batterie et c’est reparti. Quand une seule lâche, c’est tout le pack qui se met en défaut ».

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Julien pour sa réactivité, sa confiance et son témoignage.

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Avis de l'auteur

La piste de la sonde me paraît effectivement intéressante à suivre. Sur les Renault Kangoo électriques du début des années 2000, c’est-à-dire ceux à batteries nickel-cadmium, il suffisait d’une différence trop importante de consommation entre les six ventilateurs de refroidissement de la batterie pour que la recharge s’arrête et ne reparte plus.

Quoi qu’il en soit, ces Bolloré Bluecar n’ont jamais été de bonnes voitures électriques si on les compare à d’autres citadines comme les Mitsubishi i-MiEV et Volkswagen e-Up! et leurs dérivées respectives Citroën C-Zero et Peugeot iOn d’une part, et Skoda Citigo et Seat Mii de l’autre.

Pourtant ces voitures minimalistes ont réussi à séduire nombre d’utilisateurs des services d’autopartage qui les ont exploitées en France et à l’étranger.

L’idéal serait qu’aujourd’hui Julien et sa femme puisse essayer au quotidien un modèle plus convaincant. Ce qui devrait les rassurer sur la fiabilité des voitures électriques. Mais attention : Un prix d’achat de trois ou quatre mille euros risque de cacher un problème installé ou qui s’annonce.