La Ford Mustang V8 5 litres de Thierry

Automobiliste passionné, Thierry Meurgues pensait bien avoir franchi en 2020 pour de bon le pas de l’électromobilité en adoptant une Model 3 Performance. Déçu par le manque de fidélisation de Tesla et inquiet par l’instabilité du marché, il a repris une sportive essence dont il sait que la valeur ne chutera pas en quelques années.

Ford Mustang V8 > Tesla Model 3 > Ford Mustang V8

Un tel article, nous ne devrions jamais avoir à l’écrire. Déjà et principalement parce qu’il ne va pas a priori dans le sens de la mobilité durable. Il nous apparaît cependant important de relayer l’expérience mal vécue de Thierry Meurgues que nous avions interviewé en mai 2023. À l’époque, cet automobiliste confronté pour la première fois aux véhicules électriques en 1996 était particulièrement heureux d’avoir abandonné une Ford Mustang V8 5 litres, contre une Tesla Model 3 Performance pour laquelle il avait ressenti un véritable coup de cœur.

Son enthousiasme était à l’époque nettement communicatif. Un an plus tard, ce n’est plus du tout la même chose. Entre temps, la garantie de quatre ans accordée par le constructeur est arrivée à échéance, imposant de poser un choix. Un choix difficile qui aurait dû être pris en compte et accompagné un minimum par le réseau de la marque.

Cet épisode, Thierry n’est pas le seul à l’avoir vécu. C’est bien parce que plusieurs de nos lecteurs électromobilistes ont déjà été confrontés à des doutes similaires et ont dû prendre des décisions également déroutantes, que nous abordons le cas de Thierry Meurgues, parmi les plus extrêmes dont nous avons connaissance. En espérant que les constructeurs de véhicules électriques, et pas seulement Tesla, prennent la mesure de leurs actes.

Le problème n’est pas la voiture

Dissipons d’abord un potentiel nuage qui pourrait s’abattre sur le véhicule lui-même : « Je n’ai rien à reprocher à la Tesla Model 3 Performance que j’ai utilisée pendant quatre ans. Je n’ai rencontré absolument aucun problème avec elle. L’électrique n’a pas tué l’attrait que je ressens pour les voitures américaines ».

Sa décision radicale, Thierry Meurgues ne l’a pas prise sur un coup de tête ni de gaîté de cœur. Elle a nécessité un temps de maturation qui se ressent dans le discours parfaitement posé et fluide que nous allons entendre pendant plus d’une heure : « J’ai retourné ce sujet dans tous les sens depuis six mois. Ma décision est le fruit d’une combinaison d’éléments et de réflexions débutée au début de cette année 2024. Elle intervient à un carrefour créé par la fin de la garantie de quatre ans ».

Notre lecteur a alors entrevu trois seules possibilités avec l’idée de rester électromobiliste : « Soit continuer de rouler avec ma Model 3 hors garantie, soit prolonger cette dernière comme c’est possible, soit passer à un Tesla Model Y Performance ». À aucun moment, il n’a imaginé ne plus rouler en électrique de la marque dans les premiers mois de cogitation.

À lire aussi Témoignage – Ce médecin se rend chez ses patients en Tesla Model 3 Performance

Deux possibilités pour conserver la Model 3

La première question qui est venue à l’esprit de Thierry Meurgues est : « Est-ce que je me sépare de ma Model 3 parce que la garantie constructeur arrive au bout ? Une chose était claire pour moi, je ne voulais pas rouler sans garantie et devoir supporter le risque de remplacement d’un élément coûteux sur le véhicule. Logiquement, j’ai pensé à prolonger la garantie, ce qui est proposé par l’intermédiaire d’une société helvétique ».

Il faut alors faire un choix : deux ou quatre ans : « Ce n’est pas reconductible. On ne peut pas dire je prends deux ans et je poursuivrai ensuite avec deux de plus. Je m’attendais à trouver en ligne le tarif global détaillé selon les modèles. Mais non, il faut entrer le numéro VIN du véhicule. Ce qui ne m’a pas vraiment plu. Déjà parce qu’avec lui l’entreprise va disposer d’informations me concernant avant que je prenne la décision d’accepter une offre ».

Notre lecteur s’est donc demandé pourquoi avoir à se plier à cette demande ? « En entrant le numéro VIN, l’assureur peut donc formuler une offre sur mon exemplaire précis. Donc potentiellement en tenant compte d’informations sur la vie du véhicule, comme des accrochages ou des pannes subis. Pour le savoir, il aurait fallu effectuer des simulations avec plusieurs Model 3 identiques. J’ai joué le jeu. J’ai reçu en retour une proposition à 3 300 ou 3 400 euros pour quatre ans, à diviser strictement par deux pour avoir le prix sur deux ans ».

L’enfer en occasion

Le manque de transparence pour la prolongation de la garantie a poussé Thierry Meurgues à vouloir remplacer sa Model 3 par un Model Y : « En conservant l’autonomie, les performances et le FSD pas très utile chez nous, mais que j’avais pris pour encourager Tesla à le développer. Je me suis dit : ‘Si je me mets dans cette configuration, qu’est-ce que ça donne ?’ ».

La Tesla Model 3 de Thierry Meurgues

Le jeune sexagénaire n’imaginait pas à quel point la réponse allait lui revenir de façon dramatique pour lui : « Je n’étais pas naïf, je savais qu’avec la forte baisse appliquée en une nuit sur le prix du neuf, les Model 3 de 2019, 2020 et 2021 sont devenus difficiles à vendre ? C’est peut-être le jeu, mais en attendant, c’est le client qui paye à la fin. Aujourd’hui, une Highland dans la même configuration que ma voiture, avec en plus la pompe à chaleur, le double vitrage et plein d’autres choses coûte 10 000 euros de moins que ce que j’ai mis en 2020 ».

La proposition de reprise formulée par Tesla frise d’ailleurs l’indécence par rapport au prix d’achat d’origine et au nouveau projet : « Le constructeur m’en donne précisément 30 700 euros, pour une voiture que j’ai achetée 73 200 euros en juillet 2020, aujourd’hui encore en parfait état intérieur et extérieur, avec un kilométrage de 65 000 km ».

« Vous avez un boulet »

Avec une proposition si basse, Thierry Meurgues a cherché à passer par des entreprises étrangères spécialisées dans la reprise de véhicules : « On a une liste sur Internet. J’ai lancé des requêtes auprès de six d’entre elles en avril dernier. Trois n’ont tout simplement pas répondu. La société danoise EV Marketing qui alimente le marché nordique m’a proposé 29 000 euros. Une autre plateforme voulait bien me prendre ma voiture en dépôt-vente moyennant une commission et que je l’amène ».

La dernière réponse d’un intermédiaire norvégien a brutalement bouleversé notre lecteur : « Votre Tesla Model 3 est de 2020, sans processeur Ryzen ni double vitrage. Elle est obsolète, on n’en veut plus, vous avez un boulet ».

Il marque une pause : « Voilà la situation à laquelle je suis arrivé en mai dernier. Je n’ai donc donné suite à aucune proposition ». Pourtant, Tesla le relance en lui demandant si son projet d’achat d’un Model Y Performance tient toujours : « Avec l’arrivée de la fin du deuxième trimestre, et des ventes en chute libre pour cette voiture au quarter précédent, ça s’est affolé chez Tesla ».

« Je n’ai pas envie de remettre un jeton dans la machine »

Proposition déclinée : « J’ai répondu à Tesla que le marché de l’occasion ne m’incitait pas à reprendre une voiture chez eux. Je veux bien contribuer à financer leur R&D, mais avec des limites. Je n’ai pas envie de remettre un jeton dans la machine. Si j’achète un Model Y aujourd’hui, il sera obsolète l’année prochaine à cause du lifting. Les voitures sont bonnes, mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la politique commerciale. Ils sont dans l’incapacité d’effectuer le moindre geste pour fidéliser le client ».

Pourtant, Thierry Meurgues était prêt à se laisser séduire : « Ce qui aurait pu me convaincre, ça aurait été de reconduire gratuitement et à l’identique le FSD sur le Model Y. Il ne m’a pas servi à grand-chose. Ça ne leur coûtait rien, mais ça ne leur est pas venu à l’esprit. Ils ne vont pas rechercher dans l’historique client afin de faire le pas supplémentaire qui leur permettrait de le conserver ».

Autre geste possible : « Le rétrofit de l’unité d’entertainment, avec une migration hardware du calculateur électronique de 2.5 à 3.0. Ça pouvait m’embarquer quatre ans de plus dans la marque. Aujourd’hui, il n’y a pas encore de vrais compétiteurs face à des modèles comme les Model 3 et Model Y. Mais demain ? ».

À lire aussi Témoignage – Arnauld roule en Tesla Model 3 sans avoir de solution de recharge chez lui

Le plaisir d’avoir une Tesla

Comment définir le plaisir d’avoir une Tesla ? « Pour moi, c’est aussi de pouvoir profiter des améliorations techniques. Comment expliquer que Tesla le refuse à ses clients ? À la place, ils me parlent eux-mêmes de l’obsolescence technique de ma voiture. C’est très étonnant de leur part. Leur priorité est-elle ailleurs ? Un client n’est-il juste qu’un numéro de carte bancaire ? ».

Thierry Meurgues a depuis reçu un questionnaire ouvert de Tesla France : « Ils ont compris que je ne reprendrai pas une voiture chez eux et me demandaient quel bilan je tire de l’aventure. J’ai répondu que pour avoir choisi un produit high-tech, le taxer d’obsolescence, c’est dramatique. Tesla se contrefiche d’envoyer ses clients sur une île déserte. C’est à la base de la relation de renvoyer l’ascenseur à ceux qui ont fait confiance très tôt pour le lancement d’un produit ».

Il compare : « J’ai été client de différentes marques de voitures américaines. Chez Jeep, par exemple, ils savent sortir de leurs tiroirs un peu de souplesse en fonction de l’historique chez eux. Mais non, chez Tesla c’est : ‘Vous voulez partir, eh bien partez !’ ».

Un marché instable

Cette mésaventure chez Tesla entraîne même Thierry Meurgues à ne pas acheter une voiture électrique neuve chez un autre constructeur : « L’histoire peut se répéter ailleurs. Prenons Ford, par exemple, et la Mustang Mach-E. On en voit en Norvège, mais quasiment pas chez nous. Le positionnement est tout simplement délirant en France. Celui qui en achète une neuve aujourd’hui n’est pas à l’abri que les tarifs tombent ensuite de 10 000, 12 000 ou 15 000 euros, avec un marché de l’occasion qui va se dégrader ».

Pour notre lecteur, sa mésaventure est le reflet « d’un marché en recherche de stabilisation. Différentes causes sont susceptibles d’influer sur les prix. Par exemple, les progrès sur les batteries, l’arrivée des marques chinoises, les nouvelles offres des constructeurs européens de plus en plus nombreux à s’y mettre, etc. ».

Tout cela affecte aussi le marché de l’occasion de façon brutale : «  J’ai essayé de vendre par moi-même à des particuliers ma Model 3. Mais les acheteurs potentiels qui connaissent le contexte jouent à fond la carte de la concurrence pour négocier les prix au plus bas. C’est un vrai jeu de massacre. J’avais mis la mienne à 35 500 euros. C’est simple, je n’ai pas eu un seul appel ».

Vers quoi se tourner ?

Au bout de tout ce travail de réflexion, Thierry Meurgues est arrivé à un point de blocage : « Vers quoi pouvais-je aller alors que je conservais ma passion de l’automobile en général et des Américaines en particulier ? Je suis tout simplement retourné d’où je venais, vers les Ford Mustang thermiques. J’ai abandonné le Tesla Owners Club France ».

Une offre intéressante lui a été adressée : « C’est finalement l’importateur de voitures américaines American Car City qui a repris ma Model 3 en me proposant la meilleure offre reçue depuis le début. Ils ne l’ont gardée qu’une semaine ». Aujourd’hui, une Ford Mustang V8 comme celle qu’il a vendue il y a quatre ans s’échange toujours au même prix.

Les Ford Mustang et Tesla Model 3 de Thierry Meurgues

Il imagine bien qu’il en sera de même pour le cabriolet 5 litres de 2019 qu’il vient d’acheter : « Elle vient d’Allemagne. L’acheter neuve en France est impossible : à 60 000 euros environ, le malus double quasiment le prix d’achat. En occasion, une dégressivité annuelle s’applique. Je n’ai eu à payer que 4 200 euros à ce titre. L’effet malus a créé en France la rareté sur ce modèle qui pourrait bien voir sa valeur augmenter sur le marché dans les prochaines années ».

Revenir plus tard à l’électrique

L’année dernière, en parlant de sa passion pour les américaines thermiques musclées, Thierry Meurgues nous avait dit : « Je me suis fait égoïstement plaisir avec ces voitures. À un moment, j’ai senti que tout ça, ça n’était pas vraiment raisonnable. Pas raisonnable de claquer 1 800 euros pour une carte grise. Pas raisonnable de continuer à nourrir un véhicule qui consomme 12 à 13 litres d’essence tout en étant doux sur l’accélérateur. Pas raisonnable de devoir faire face à d’importants coûts d’entretien ».

Ce qu’il ne renie pas aujourd’hui : « Je continue à dire la même chose ».

Notre lecteur toujours très actif sur les réseaux sociaux ne rejette pas la voiture électrique. Il rejette une situation née à la fois du comportement de constructeurs et d’un marché qui accuse un flou en se retrouvant submergé par des modèles plus ou moins dépassés en quelques années, et qui sont restés trop longtemps à un niveau de prix élevé. Thierry Meurgues devrait donc repasser à l’électrique quand il n’aura plus la crainte de trop y perdre.

Automobile Propre et moi-même remercions vivement Thierry Meurgues pour son nouveau témoignage que nous avons sollicité et son accueil toujours très chaleureux.

Avis de l'auteur

Pour les pionniers de l’électromobilité, lire ce témoignage de Thierry pourra apparaître insoutenable. En particulier en raison de la lutte contre le dérèglement climatique qui est au final la grande perdante dans l’histoire.

Alors qu’Automobile Propre puise ses origines dans la volonté de porter un éclairage positif sur la mobilité durable, voilà qu’est publié un article qui semble aller dans l’autre sens. Vraiment, ce n’est pas quelque chose de satisfaisant.

Toutefois difficile de ne pas pointer le comportement de constructeurs qui finissent par dégoûter de l’électrique des électromobilistes convaincus. Ils doivent mesurer les conséquences de leurs œillères.

Thierry, je ne lui jette pas la pierre. En fin d’année dernière, je suis passé tout près d’abandonner également l’électrique. Et ce en raison des voitures devenues franchement inaccessibles pour moi alors que je suis dépendant des bornes publiques où la recharge AC est passée de 0,22 à 0,49 euro le kilowattheure. Et ce, dans une ville que je venais de choisir entre autres pour la disponibilité de son réseau.

Comme Thierry, je pensais retourner d’où je venais. Me concernant : les anciennes et youngtimers. J’avais sélectionné deux modèles : Citroën C3 Pluriel 1,6 l essence et Renault Supercinq Baccara 1,7 l. Avec une feuille de route précise : Fonctionner quelques années avec le moteur d’origine sans le toucher, puis conversion au bioGNV dans une deuxième phase, et rétrofit électrique si possible plus tard selon l’évolution de la législation.

In extremis, le concessionnaire auquel j’ai accordé ma confiance m’a soumis une proposition de LOA sur une voiture électrique répondant bien à mes besoins. Depuis, en revanche, voir ce modèle être tombé en occasion au niveau du prix de rachat fixé pour fin 2027 dans mon contrat me laisse penser que j’aurais été gagnant en reprenant une thermique pour quelques mois avant de revenir à l’électrique.

Qu’importe finalement : je suis très satisfait de ma nouvelle voiture et du concessionnaire. Je vais donc faire avec.