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Octroi de mer à la Réunion : un coup de frein incompréhensible pour les voitures électriques

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Vincent de la chaîne Youtube Stator
Vincent de la chaîne Youtube Stator

Jean, un de nos lecteurs réunionnais et Vincent de la chaîne Youtube Stator lancent un gros pavé dans la mare concernant la situation qui s’annonce officiellement à partir du 1ᵉʳ mars 2025 pour les automobilistes intéressés sur l’île par la mobilité électrique. Au centre de l’équation, la disparition de l’exonération de l’octroi de mer avec des calculs qui arrivent même à privilégier les hybrides à l’électrique dans certains cas. Nos deux interviewés espèrent vivement un retour en arrière avec la mise en place d’un éventuel système plus équilibré.

Problématiques

Avant de nous lancer dans l’exposé et la recherche d’explications, résumons la lourde équation à laquelle les automobilistes réunionnais qui souhaitent acheter un véhicule électrique pour modérer l’empreinte carbone et la pollution de leurs déplacements individuels sont confrontés en ce début d’année 2025. Comme les français de métropole, ils doivent déjà encaisser la disparition de la prime à la conversion et la baisse du bonus gouvernemental ici rehaussé de 1 000 euros.

En outre, le prix des voitures est déjà plus élevé de quelques milliers d’euros en raison du coût de transport perçu à l’avance pour envoyer au moment venu dans l’Hexagone la batterie à recycler. La disparition de l’exonération de l’octroi de mer se fait avec une grille qui dépend de la puissance du véhicule. Et ça grimpe vite ! La réincorporation de cette taxe fait augmenter les prix, de telle sorte que ça joue aussi sur l’éligibilité au bonus.

Cerise sur le gâteau, le calcul de l’octroi est différent sur les modèles hybrides. Ce qui amène à des situations insensées, alors même que les ventes de voitures, et en particulier électriques, ont été en retrait à La Réunion en 2024. La nouvelle situation pourrait dissuader de grands groupes comme TotalEnergies à poursuivre le déploiement des bornes de recharge à haute puissance alimentées avec de l’énergie solaire. Quid du respect des objectifs de la norme européenne Cafe ?

D’une certaine manière déjà en vigueur

Que se passe-t-il donc à la Réunion ? « La présidente de la région, Huguette Bello, n’est pas particulièrement anti-VE. Elle serait plutôt anti-voitures. À 74 ans, je pense qu’elle a été mal conseillée et qu’elle ne mesure pas les conséquences du nouveau calcul de l’octroi de mer. Dans son esprit, il s’agit de diriger les Réunionnais vers des véhicules électriques peu chers et peu polluants. Sauf que la mesure est clairement anti-VE, mais à son insu », estime Vincent.

Avec la passion de l’électrique pour moteur, c’est le Maxime Fontanier ou le Soufyane Benhammouda de Stator. Sous le pseudo Twents, il est l’un des trois réguliers de la chaîne Youtube à effectuer des essais de véhicules branchés dans les conditions d’utilisation que connaissent les habitants du département 974. Pour ses besoins personnels comme professionnels, il roule en électrique : Kia EV6 et MG5.

Concessionnaire automobile toutes marques, Jean aussi est électromobiliste au quotidien, actuellement en BMW i4. Ce lecteur d’Automobile Propre est un véritable passionné des VE. Comme l’influenceur, il craint un net recul des ventes de VE avec la nouvelle mesure qui est en quelque sorte déjà en vigueur : « La présidente de région dit qu’elle laisse un temps d’adaptation de deux mois, mais comme il faut un minimum de deux mois de délai pour recevoir un véhicule en le commandant aujourd’hui et que l’octroi est perçu à la livraison, le nouveau calcul est déjà effectif, sauf pour les automobilistes qui achètent sur stock ici ».

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Le VE et la région

Au fait, qu’est-ce que l’octroi de mer ? Il s’agit d’une taxe spécifique aux outremers applicable aux importations et livraisons de biens effectuées à titre onéreux. C’est une source importante de revenus pour les territoires concernés. D’ailleurs le rapport d’orientations budgétaires 2025 introduit par Huguette Bello explique : « Les recettes fiscales perçues au titre de la consommation des ménages (octroi de mer, rhum, carte grise) apparaissent moins dynamiques depuis le début d’exercice 2024 dans un contexte de conjoncture économique plutôt morose ».

Il pointe en particulier un affaiblissement causé par « l’électrification progressive du parc automobile (taxe sur la consommation de carburants) ». Il est indiqué dans le document que l’adaptation de la taxation de l’octroi de mer doit « répondre aux enjeux du développement économique et social », mais aussi « contribuer au développement durable dans la perspective d’une économie ‘verte et décarbonée’ ».

Le même document de 259 pages met en avant des actions à mener en faveur des VE pour 2025 : promotion de la mobilité douce et électrique dans les lycées, participation aux travaux de l’Avere pour accompagner le développement du véhicule électrique et les changements induits, déploiement des infrastructures de recharge par production solaire via des appels à manifestation d’intérêt. En outre, la région a remplacé l’année dernière 78 des 262 véhicules de sa flotte par des VE.

Calcul de l’octroi de mer

Pour le calcul de l’octroi de mer des véhicules électriques, c’est la puissance en pic communiquée par le constructeur qui est choisie. C’est-à-dire celle qu’il est possible d’obtenir pendant un minimum de 30 secondes. Alors que le certificat d’immatriculation se base sur la moyenne calculée pendant 30 minutes. D’où un écart important. Jusqu’à 150 ch, l’exonération perdure sur les VE. Jean illustre : « En 2025, ça va principalement concerner les Citroën ë-C3 et Renault 5 E-Tech ».

De 151 à 250 ch, l’octroi sera de 8 % : « Dans cette tranche, et pour un prix de l’ordre de 40 000 euros, on a, par exemple, des Renault Megane et Scenic ainsi que des Peugeot e-208 et e-3008. La taxe alors à ajouter sera d’environ 3 200 euros ». Entre 251 et 400 ch, le pourcentage grimpe à 14,5 % : « Pour un prix de 50 000 euros, on a à La Réunion des Skoda Enyaq, Volkswagen ID.4 et BMW iX1 xDrive 30. La facture sera pour elles majorée de plus de 7 000 euros ».

Pour les puissances supérieures, le taux passe à 24,5 % : « C’est, par exemple, le cas pour les Kia EV6 GT et Hyundai Ioniq 5 N que l’on trouve aux alentours des 80 000 euros. Les concernant, on aura un octroi de mer dans les 19 600 euros. La MG4 XPower va se prendre aussi ces presque 25 % ». C’est forcément très dissuasif !

Octroi de mer 2025 pour voitures électriques
Puissance Taux de taxation
Jusqu’à 150 ch

0 %

De 151 à 250 ch

8 %

De 251 à 400 ch

14,5 %

A partir de 401 ch

24,5 %

Une grille différente pour les hybrides

Comme pour les autres thermiques, l’octroi de mer des voitures hybrides se calcule sur la cylindrée, mais avec une grille spécifique : « On arrive alors parfois à des taxations bien inférieures. Ainsi le Volkswagen Tiguan à moteur 1 498 cm³ sera taxé à 6,5 % alors qu’il est doté d’une puissance de 272 ch. On peut lui opposer l’ID.4 du même constructeur qui, avec ses 286 ch sera soumis à un taux de 14,5 %. Ça donne l’impression que le Tiguan hybride est moins polluant que l’électrique. Ça ne va pas du tout dans le sens d’un octroi vert ».

S’il s’agit de frapper la consommation, augmenter la taxe selon la puissance est également à côté de la plaque : « Sur une MG 4, on va avoir à la Réunion une moyenne de 15-16 kWh/100 km. C’est aussi la consommation d’une BMW i4 qui est dotée de bien davantage de chevaux ».

Stator a testé sur l’île 62 VE, obtenant une base de données qui permet de réaliser des classements : «  Un Kia e-Niro ne sera jamais au-dessus de 16 kWh alors qu’une Peugeot e-208 va être à une moyenne de 18 kWh/100 km. Le nouveau Peugeot e-2008 de 156 ch consomme 20 % de moins que l’ancien qui n’en avait que 136. Le plus logique serait de taxer sur la consommation WLTP qui tient compte des pertes à la recharge. Au poids, ça n’aurait en revanche pas d’intérêt. Le Peugeot Rifter électrique qui pèse environ 1,8 tonne consomme autant que la BYD Seal de 2,4 t ».

Octroi de mer 2025 pour voitures hybrides
Cylindrée Taux de taxation
Inférieur à 1,5 l

6,5 %

De 1,5 à 2,5 l

14,5 %

A partir de 2,5 l

34,5 %

Coup de frein

Les VE en chiffres à La Réunion : « Au 1ᵉʳ janvier 2023, il y avait environ 7 500 voitures électriques en circulation, et 10 900 un an plus tard, sur un volume total qui est passé de 423 000 à 429 000 voitures. En 2024, environ 3 000 voitures électriques ont été nouvellement immatriculées. Nous avons 80 modèles de VE commercialisés ici. Pas de Tesla, mais des Chinoises que vous n’avez pas en métropole. Ainsi la Yudo 3 et la Geometry C de Geely ».

Jean et Vincent imaginaient bien que l’exonération d’octroi de mer disparaîtrait un jour : « Mais pas si tôt, pas dans un marché morose. La baisse du bonus a déjà fait du mal au marché. En 2024, par rapport à 2023, on est en repli de 22 % concernant les VE sur un marché en baisse de 12 % pour les voitures toutes énergies confondues. Finalement, le peu de bonus qu’il reste pas être englouti dans l’octroi. Il faudra s’attendre à une nouvelle baisse des ventes d’électriques en 2025, d’au moins 30 % ».

Tout cela avec des effets pervers : « Le marché de l’occasion va être freiné. On voit déjà la baisse de l’offre sur le site LeBonCoin avec une vraie pénurie sur les modèles entre 10 000 et 20 000 euros. Les Réunionnais commençaient à peine à se mettre à l’électrique. Forcément, ce clou qui vient d’être enfoncé, ça va faire mal ».

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Poids du recyclage sur le prix

Il existe à La Réunion des phénomènes qui jouent sur les prix des véhicules électriques, comme nous l’explique Jean : « Si Peugeot est interpelé parce qu’il y a une vieille 205 dans le fond d’un ravin, il peut répondre sans problème que ça ne le concerne pas parce qu’il n’est pas propriétaire de cette voiture. Mais si c’est une e-208, le constructeur est obligé d’aller la récupérer à cause de la batterie à faire recycler ».

Cette obligation fait gonfler les prix des VE : « Normalement, avec une TVA à 8,5 % à la place de 20 en métropole, les voitures électriques devraient être moins chères à La Réunion. Mais à cause de l’obligation de recyclage de la batterie, les prix sont au contraire souvent plus élevés. MG, par exemple, ajoute systématiquement 3 000 euros pour toutes ses voitures. Les constructeurs n’ont pas d’autre choix que d’envoyer les batteries déclassées à l’usine de recyclage homologuée la plus proche, en l’occurrence la Snam, en métropole. Il n’est même pas possible de récupérer les packs pour faire de la seconde vie ou utiliser des éléments pour réparer d’autres batteries. C’est interdit par la loi ».

Le voyage coûte cher : « À la suite d’un incendie de véhicule électrique, dont la batterie n’était peut-être même pas la cause, le transporteur maritime considère les batteries comme des déchets dangereux, au même titre que les matières radioactives. Elles doivent être conditionnées dans un conteneur réfrigéré et étanche. Et ce, au prix de 11 à 12 euros le kilo de batterie. Ce serait tout de même mieux de les broyer ici et d’envoyer la matière inerte, voire de la réutiliser sur l’île ».

Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Jean et Vincent pour leur accueil, leur disponibilité et leurs témoignages que nous avons sollicités.

Pour rappel, toute contribution désobligeante à l’encontre de nos interviewés, de leur vie, de leurs choix, et/ou de leurs idées sera supprimée. Merci de votre compréhension.

Avis de l'auteur

Combien de Réunionnais dont le budget était déjà ric-rac pour leur projet vont devoir renoncer à passer à l'électrique à cause de la grille d'octroi de mer ? Si l'on additionne la perte de la prime à la conversion, la diminution du bonus et la fin de l'exonération de l'octroi de mer, ça fait vraiment beaucoup de freins qui sont ajoutés dans un court intervalle. Jean envisage une baisse de 30 % minimum des ventes de VE en 2025 : c'est fort probable. Avec l'électrique, le phénomène peut sans doute s'oublier, mais passer une vitesse quand ce n'est pas le moment peut provoquer l'étouffement ou la casse du moteur. Pour redémarrer ensuite la machine à convertir les automobilistes, ce sera certainement très dur. Il reste bien sûr la possibilité pour les Réunionnais de se reporter sur un modèle de moins de 150 ch. Le tour de l'île ne fait que 220 km, ce qui ne nécessite pas forcément d'avoir une grosse batterie ni une grosse puissance. C'est bien sûr à voir par chacun selon les besoins et les usages. Ce choix apparaîtra peut être acceptable pour des automobilistes. Pour d'autres, ça risque de placer de façon plus nette le VE comme genre réservé aux automobilistes aisés. Surtout quand l'hybride apparaît "plus vertueuse" comme en témoignent les tranches spécifiques aux motorisations. Et si les constructeurs contournaient cette difficulté avec des modèles à la puissance spécifiquement diminuée ?

Philippe SCHWOERER

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