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A la suite de l’article de Florent consacré à l’utilitaire Tensity E-Truck mis au point avec des pièces de Dacia Spring, nous avons voulu remonter l’histoire de son constructeur Tony Gillet plus connu pour sa sportive Vertigo. Dans l’entreprise, l’idée de modèles électriques est bien plus ancienne qu’on pourrait le croire. Elle remonte à 1994.
Le présent article est né de façon assez amusante. Me supposant lecteur habituel du hors-série « Toutes les voitures du monde » de l’Auto-Journal, Pierre, notre rédac-chef, me lance d’une façon un peu énigmatique : « Tu as forcément entendu parler de la Gillet Vertigo toi, non !? ». Alors oui, j’ai fiévreusement attendu à une époque chaque année la sortie de la nouvelle édition, mais je ne le faisais déjà plus au début des années 1990 quand la première Vertigo est sortie. Je ne connaissais donc pas ce modèle.
De plus, ce ne sont pas les sportives que je recherchais dans cette publication. Mes orientations étaient particulières. Je voulais déjà savoir où étaient encore fabriquées dans le monde les Renault 12, Peugeot 404 bâchée et 504 berline quand elles ne l’étaient plus en France, et la Volkswagen Coccinelle hors d’Allemagne.
J’aimais y retrouver les bizarreries comme la Renault Siete (R5 3 volumes), la Zastava 101 à l’avant de Fiat 128 avec un arrière façon Simca 1100, la Ford anglaise Cortina Mk3 si proche et différente de la Taunus TC1 allemande, les Reliant à trois roues, etc. Il y a bien une sportive que j’espérais revoir, la Jensen Interceptor, parce que découverte un jour dans le catalogue Dinky Toys.
Avec sa petite phrase, Pierre avait toutefois réussi à piquer ma curiosité, me donnant envie de découvrir l’histoire du Belge Tony Gillet et de sa marque. À 79 ans, il est toujours l’amiral de son vaisseau. Il a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme notre volonté de l’interviewer. L’histoire de Automobiles Gillet, c’est la constante recherche de l’équilibre nécessaire pour durer, entre la passion et la raison. En voici les grandes lignes.
Au départ, Tony Gillet est un pilote de compétition : « J’ai commencé en courses de motos en Belgique, le pays du motocross et du fameux champion du monde Joël Robert. Plutôt que de passer pro, j’ai préféré changer de discipline et m’orienter vers l’auto. Le propriétaire d’une Renault 4 CV avait financé ma transformation de sa voiture avec un moteur Gordini. J’avais ajouté un radiateur à l’avant. Ça s’est arrêté au premier rallye. Alors que j’étais bien parti, j’ai mis la voiture dans un trou ».
L’aventure ne s’est pas arrêtée là pour autant : « En Belgique, il y avait le constructeur Méan, créé par Jacques d’Heur. J’ai assemblé une de ses voitures très avant-gardistes. Ne pouvant l’homologuer, j’ai participé à des courses de côte avec elle. Puis j’ai engagé une F2, ancienne de Jean-Pierre Jabouille, décrochant deux fois le titre de champion de Belgique. En 1980, j’ai participé à 19 courses de côte que j’ai toutes gagnées, établissant 14 records ».
À lire aussiMondial de Paris 2024 – Renault veut révolutionner les utilitaires avec cette nouvelle Estafette électriqueTony Gillet s’ouvre aussi une place comme artisan : « J’avais un mécano professionnel avec moi. On a fait de l’assemblage de voitures hollandaises Donkervoort. Je me sentais assez innovant. À force d’effectuer des transformations pour les clients, je me suis demandé : ‘Pourquoi ne pas construire notre propre voiture ?’. L’idée du projet de la Vertigo est née en juillet 1990, l’année où j’ai battu un record du monde avec une Donkervoort ».
Le développement de la sportive s’est poursuivi : « La Vertigo a été mise au point le 31 décembre 1991, avec un premier exemplaire sorti en 1992 et présenté au salon de Bruxelles. En mars de la même année, on a fait la course de l’Orient-Express entre Londres et Milan. J’ai été invité à présenter la voiture au salon de Détroit aux États-Unis. Mais je voulais auparavant battre le record du 0 à 100 km/h ».
Les 3,2 secondes enregistrées le 23 décembre ont été inscrites au Guinness Book : « Le lendemain, nous sommes partis à Détroit où nous avons rencontré beaucoup de succès. CNN nous a accordé 20 minutes, le média japonais NSK s’est aussi intéressé à nous. Tout le monde pensait que la Vertigo était un show car alors que c’était déjà une voiture destinée à la route. On a ensuite lancé la production ».
En 30 ans, il n’a été construit qu’une trentaine d’exemplaires de la Vertigo. Son design et ses performances ont cependant vite amené ce modèle à s’inscrire durablement dans le monde automobile. Y compris dans l’univers du jeu vidéo où elle figure depuis des années dans les bolides à sélectionner de Gran Turismo : « Là, c’est un heureux hasard. Le directeur européen de Sony pour la Playstation était belge ».
Tony Gillet a reçu avec lui une proposition inhabituelle : « D’habitude, les constructeurs paient pour que leurs voitures puissent entrer dans les jeux. Au contraire, notre sélection nous a assuré une importante source de revenus. Nous avons même construit un exemplaire à l’image de la Vertigo du jeu. Elle a été exposée en diverses occasions. Nous n’étions pas au bout de nos surprises avant d’aller en Chine et découvrir des miniatures de notre voiture ».
La Vertigo est officiellement entrée dans la compétition en 2002 : « Elle a décroché trois titres en FIA GT trois années de suite : 2006, 2007 et 2008. À Francorchamps, elle s’est inscrite à la troisième place. Avec une de nos voitures, Vanina Icks est devenue la femme la plus rapide du monde des cent premières années de la course Pikes Peak ».
Les conducteurs de la Gillet Vertigo sont loin d’être tous des pilotes professionnels. On compte aussi un prof de maths de l’est de la France qui a économisé des années pour s’en acheter une, et un certain Johnny Hallyday : « Pour sa voiture, j’ai passé une semaine avec lui à Ramatuelle. C’est une expérience vraiment remarquable d’avoir pu vivre ça. Il voulait une voiture avec les yeux de Laura et des flammes sur la carrosserie ».
Ce n’est pas le seul moment fort vécu avec la vedette : « Alors que 13 000 personnes l’attendaient pour un de ses concerts, il a pris la Vertigo depuis chez lui pour rejoindre Bercy. Le lendemain, on voyait dans un journal télévisé Johnny traverser Paris avec cette voiture ».
Ceux qui suivent l’histoire d’Automobiles Gillet connaissent ces anecdotes. Mais peut-être pas que la Vertigo a aussi été un temps imaginée en électrique : « C’était quand nous étions dans l’idée de décrocher des records. Le poids des batteries nous a fait y renoncer à ce moment-là. Un modèle avec un moteur thermique alimenté à l’hydrogène serait beaucoup plus léger ».
Comment une entreprise peut-elle tenir des dizaines d’années en ne construisant qu’une trentaine d’exemplaires de son modèle phare ? « Automobiles Gillet, c’est un constructeur, mais aussi un bureau d’études pluridisciplinaires. En parallèle à la construction de la Vertigo, nous menons beaucoup d’autres activités. Nous faisons de la réparation et de la reconstruction automobiles, par exemple sur des anciennes Ferrari, Maserati ou Mercedes. Nous avons aussi réalisé en 10 jours le toit en plexiglas de la voiture qui a servi au mariage de Philippe et Mathilde maintenant roi et reine de Belgique ».
Certaines réalisations sont cependant très éloignées de l’automobile : « Pour la centrale nucléaire de Doel alors en réfection, nous avons fabriqué à la main en quatre mois 3,75 millions de petits dés style Apéricubes. Nous avions pour cela embauché 25 personnes et réalisé au préalable 500 moules. En poudre d’inox avec de la résine, ils servent à protéger des radiations ».
Un projet de taxis électriques a aussi occupé un temps le bureau d’études : « C’était en 1994. La carrosserie était en fibre de lin. Pour comparaison, celle de la première Vertigo était en fibre de carbone. Nous avions déjà la forme du taxi et les grandes lignes du concept. La batterie plomb devait être interchangeable ». Même lorsqu’il s’agit d’épreuves dans le désert, Automobiles Gillet est apprécié : « Pour les deuxième et cinquième Paris-Dakar, nous avons été contactés afin de réaliser des carrosseries en carbone, par exemple sur le camion de Regazzoni et le truck d’Eric Vigoureux qui organise aujourd’hui la Croisière verte en Citroën Ami ».
Nous en arrivons au fourgon Tensity E-Truck : « L’électrique était toujours chez nous en arrière-plan. En 2020, quelqu’un est venu nous voir en nous disant que la Poste belge était à la recherche d’un utilitaire électrique pour 2025. Nous avons défini avec leurs ergonomistes et les ingénieurs le camion comme ils le désiraient. La Poste belge nous a passé une précommande pour 50 véhicules afin de les tester ».
Le projet avec l’entreprise nationale semblait bien parti : « À la suite d’un changement de direction à la Poste belge en 2022, la commande a été suspendue. J’ai voulu continuer le projet de mon côté. Maintenant, je suis propriétaire à 100 % du véhicule dont l’extérieur de la cabine est terminé, mais pas encore l’intérieur. Comme je le dis souvent, notre proto aujourd’hui est beau à quinze mètres, mais il doit encore être affiné. Nous sommes pour cela à la recherche de capitaux ».
Dans une vidéo disponible sur Youtube, une animation montre que le Tensity E-Truck s’appuie sur la Dacia Spring : « Pas pour son châssis aluminium en nid d’abeilles fabriqué au Luxembourg par Euro-Composites. Il se présente comme un plancher bas et plat tout du long et d’une épaisseur de 100 mm. C’est aussi rigide que léger. Au final, notre camionnette pèse 940 kg, le même poids que la Dacia Spring ».
Quelles sont les pièces qui seront au final empruntées à la citadine électrique de la marque roumaine ? « Son moteur et sa suspension qui sera toutefois modifiée. J’ai d’ailleurs rencontré Luca de Meo. Nous allons cependant installer une batterie de 45 kWh. À ce sujet, nous avons pris des contacts pour avoir un pack à la bonne géométrie de notre utilitaire ».
Au moins dans un premier temps, il n’y aura pas de déclinaison du fourgon Tensity E-Truck pour d’autres usages : « On se rapproche d’une aide de l’État belge. S’il devait y avoir une déclinaison, ce serait plutôt au niveau dimensionnel, pour le raccourcir en fonction des demandes. Je souhaite conserver la légèreté du véhicule et ne pas le surcharger. Nous avons des pistes de débouchés. Il est pile ce dont les blanchisseurs ont besoin pour chercher dans les grands hôtels les draps sales et les ramener une fois lavés. Ils ne pèsent pas énormément, mais il faut du volume : là, nous avons 8,5 m³ ».
Un autre client se profile à l’horizon : « J’ai un contact chez DHL qui m’a dit au sujet de notre utilitaire : ‘C’est le genre de véhicule qu’il nous faut pour la livraison du dernier kilomètre de colis légers’. Il leur faudrait un prototype terminé. Ce qui demanderait six mois et un million d’euros. Pour l’homologation, nous saurons faire, nous avons à ce sujet une expérience de trente ans ».
À lire aussiPV5 en 2025, PV7 en 2027 : l’offensive de Kia sur le marché des utilitaires électriques se précisePar rapport aux utilitaires électriques proposés par les grands constructeurs, le fourgon Tensity E-Truck aligne différents avantages : « Il offre une facilité pour passer du poste de pilotage à la zone de charge avec la possibilité de s’y tenir de bout. Grâce à un siège tout plat, le conducteur peut quitter aisément sa place par la droite. Du côté de la chaussée, il aura une porte à glissière ».
La fréquence des arrêts a bien été prise en compte : « Un conducteur peut être amené à effectuer de 200 à 300 livraisons par jour. C’est pour cela que nous avons un plancher bas et des systèmes d’ouvertures rapides à volets plutôt que des portes à l’arrière. Grâce à un diamètre de braquage à 9,4 m, les manœuvres sont plus faciles ».
Ceux qui ont déjà essayé le modèle en cours de réalisation ont trouvé inhabituelle la position de conduite par rapport à un utilitaire classique : « C’est plus celle que l’on connaît dans une voiture, ont ressenti des personnes de DHL et de la Poste belge. C’est le résultat d’une équipe chez nous habituée à l’univers de la compétition. À noter que nous recevons depuis 30 ans un renouvellement d’étudiants ingénieurs français de l’Estaca et de l’Isat pour leur fin d’étude ».
Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup Tony Gillet pour sa confiance, sa réactivité, son accueil et son témoignage que nous avons sollicité.
Pour rappel, tout commentaire désobligeant à l’encontre de nos interviewés, de leur vie, de leurs choix, et/ou de leurs idées sera supprimé. Merci de votre compréhension.
Philippe SCHWOERER
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