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Aujourd’hui à la retraite, le lieutenant-colonel Michel Gentilleau a été en charge de la formation des pompiers et des personnes concernées par les accidents et incendies des véhicules à énergies alternatives. Faut-il plonger dans un bassin d’eau une voiture électrique en flamme ? C’est une des questions auxquelles il nous a répondu.
Devenir sapeur-pompier est une vocation. La trajectoire du lieutenant-colonel Gentilleau (ER) en est un exemple vécu à l’échelle de la famille : « J’ai été pendant 40 ans dans le milieu des pompiers. On peut même dire que je suis issu d’une dynastie de pompiers qui s’étend sur quatre générations en comptant mon grand-père, mon père et mon fils ».
Son rôle majeur pour les interventions sur les voitures électrifiées n’est pas tout récent : « C’est une histoire longue d’une vingtaine d’années. J’étais dans la Vienne après être passé par Paris et l’Oise. Le Sdis 86 voulait construire un centre de formation. Il s’est tenu en parallèle au Futuroscope un congrès des mobilités avancées. On était au début de la commercialisation de la Prius. J’ai rencontré le responsable de Toyota Europe qui souhaitait répondre aux demandes officielles pour intervenir sur les voitures hybrides en feu ».
Le centre de formation de la Vienne a alors eu un rôle clé : « On a établi un protocole d’intervention sur la seule Toyota Prius. Puis d’autres constructeurs sont venus nous voir : Renault Trucks, Renault, Bolloré, etc. Le champ s’est élargi avec le colonel Delaunay du Sdis 44 qui s’occupait des véhicules fonctionnant au GPL et au GNV ».
Former pour intervenir suppose déjà de connaître le comportement des véhicules à énergies alternatives en cas d’incendie ou d’accident : « On a fait pas mal d’essais et de brûlages, notamment avec Renault. On l’a fait sur des tonnes de batteries, mais aussi sur des bus à hydrogène. Il en est sortie un document de 130 pages sur lequel nous nous sommes appuyés pendant 20 ans pour nos formations ».
L’expertise qui en a découlé n’est pas redistribuée qu’en France : « Tous les deux ans, nous accueillons sur trois jours 500 pompiers de 20 à 25 pays et des entreprises comme TotalEnergies qui s’intéressent à la mobilité et des assureurs. Le programme est riche de dizaines d’ateliers, conférences et tables rondes. Cette année 2025, ces journées techniques vont se tenir du 13 au 15 mai ».
Des démonstrations sont également prévues : « Il y aura des brûlages sur des véhicules électriques et un bus hydrogène. Une partie du programme est tournée vers les poids lourds. Nous aurons aussi des essais avec du rDME, un carburant renouvelable qui serait en phase de développement ».
À lire aussiTémoignage : voici pourquoi la MG4 accidentée d’Adrien est immobilisée depuis 9 moisÀ 64 ans, Michel Gentilleau n’est pas inactif : « Au-delà de mon ancienne fonction, je représente la voix des pompiers pour les crash-tests de l’Euro NCAP. Ça fait maintenant huit ans que je siège à Bruxelles pour intégrer leurs demandes. Depuis l’année dernière, les poids lourds sont aussi concernés ».
Deux types de situations sont étudiés : « Il y a bien sûr les incendies pour une raison ou une autre. Mais aussi les accidents de circulation avec les risques électriques et un éventuel départ de feu spontané à la suite. Ainsi dans les Deux-Sèvres en octobre dernier où quatre personnes ont péri dans l’incendie qui a suivi lq sortie de route de leur Tesla. Mon sentiment est que les voitures de cette marque sont les électriques les plus sensibles à un emballement thermique après un choc. Il faudrait avoir des statistiques officielles pour en être sûr ».
L’équipe de notre interviewé espère parvenir à réduire de façon importante un tel drame : « C’est un des problèmes principaux dans le monde des pompiers. Aujourd’hui, l’Euro NCAP demande cinq minutes de stabilité avant les flammes pour que les occupants puissent sortir du véhicule si un voyant s’allume en roulant. C’est trop peu et ça ne permet pas l’arrivée des secours. Il faut que ce delta soit bien plus élevé, avoisinant l’heure, pour que les pompiers puissent intervenir ».
Il a souvent été dit qu’il faut immerger une voiture électrique en proie aux flammes : « C’est une bonne réponse pour des batteries isolées, des trottinettes, des vélos électriques ou des unités de stockage. Ce n’est en revanche pas ce que je préconise pour une voiture, ce serait une hérésie. Vous imaginez le temps de mise en œuvre que ça demande alors qu’un emballement thermique ne dure pas plus d’une heure ? ».
Il y a aussi la solution des couvertures thermiques : « J’en ai essayé mi-2024. Certaines peuvent supporter jusqu’à 1 300° C sur une période relativement courte. Ces couvertures permettent de limiter la propagation thermique et des fumées. Cette solution n’est pas simple à mettre en œuvre non plus. Elle est plutôt intéressante pour les milieux confinés, les usines ou grosses entreprises. Elle permet d’éviter l’effet domino, c’est-à-dire la propagation aux véhicules à proximité ».
Moins connues du grand public, les lances perforantes : « L’eau est un excellent agent d’extinction. Elle est efficace si on arrive à joindre le cœur de la batterie. Ce qui est très compliqué, sauf pour la petite mobilité où le casing est en plastique. S’il est en aluminium, comme sur certains bus, la chaleur peut le faire fondre, faisant apparaître des trous par lesquels il serait possible d’intervenir. Quand la batterie est sous le châssis, voire dedans, si les pneus éclatent, la voiture se retrouve sur le ventre et le pack est devenu inaccessible ».
Une solution très coûteuse : « Percer le casing d’une batterie nécessite des moyens sophistiqués et onéreux. Ça marche en labo, mais pas sur le terrain. Une lance Cobra, c’est 300 000 euros. On ne peut pas mettre ce matériel dans tous les centres de secours. Pour l’utiliser, les pompiers doivent être au contact avec la batterie, avec de possibles torchères de trois ou quatre mètres et un risque électrique important ».
Immersion, couverture thermique, lance hydraulique perforante : si toutes ces solutions ne sont pas applicables à grande échelle, comment les secours doivent-ils intervenir en cas d’incendie d’un véhicule électrique ? « Je préconise de le faire de manière traditionnelle, comme l’ont montré tous les essais que j’ai réalisés. Si ce n’est pas efficace, on laisse brûler en protégeant l’environnement pour éviter d’y consacrer 30 000 litres d’eau. L’emballement thermique de la batterie s’arrêtera de lui-même en 15 à 60 minutes ».
Solution universelle : « Il s’agit d’intervenir avec deux lances, l’une pour éteindre l’incendie et l’autre pour refroidir la batterie afin d’éviter l’emballement thermique et/ou les réservoirs. Elle est applicable sur les motorisations électriques ou fonctionnant à l’hydrogène, au GPL et au GNC. Au préalable, il y a un protocole à respecter avant d’intervenir ».
Sur un VE, la démarche sert à éliminer le risque électrique : « Avant d’essayer de sortir les occupants, il faut découpler la batterie du reste du véhicule. Ça se fait au niveau des gros câbles orange. Le problème est qu’il existe actuellement 70 protocoles différents pour intervenir sur les voitures électriques et hybrides. Ils sont fournis par les constructeurs comme aides à la décision pour les secours. À l’Euro NCAP, on veut essayer d’harmoniser tout cela ».
Il est admis que le risque d’incendie est moins élevé sur les voitures électriques que sur les thermiques : « On manque encore de statistiques dans le domaine. Deux études ont été cependant effectuées au niveau international il y a un ou deux ans. Les résultats qui nous viennent d’Australie indiquent qu’il n’y a pas plus d’incendies de véhicules électriques que thermiques ».
Aux États-Unis, c’est plus flou : « On nous dit qu’il y a beaucoup moins de feux de VE en proportion, mais, en même temps, il y aurait beaucoup plus de problèmes avec les hybrides qu’avec les thermiques. Ce qui ne dédouane pas complètement les voitures électriques. On voit bien qu’il y a quelques cas dramatiques d’incendie spontané après des accidents. Quand on connaîtra les résultats des enquêtes, on saura s’il y a un problème spécifique ou non à ce sujet ».
Peut-on dire que l’incendie d’une voiture équipée d’une batterie LFP (lithium fer phosphate) est moins grave que si elle embarque un pack NMC (nickel manganèse cobalt) ? « Ça, c’est de la grande littérature, une vue de l’esprit. Ce qui est vrai, c’est qu’une batterie LFP est plus compliquée à faire partir en emballement thermique. Ensuite, c’est pareil, c’est la même cinétique ».
En décembre dernier, la flotte du réseau de transport en commun Optymo active sur le secteur du Territoire de Belfort comptait sept autobus Van Hool A12 LF FC 12 mètres qui ont été incendiés vers 4 h 00 du matin le jeudi 2 janvier 2025. Le moteur électrique de chacun de ces véhicules était alimenté par une pile à combustible recevant l’hydrogène de cinq réservoirs installés sur le toit pour une contenance totale de 40 kilos de gaz.
Également à ce niveau, la batterie tampon d’une capacité énergétique de 36 kWh. Pour comparaison, c’est moins que le pack 44 kWh d’une Citroën ë-C3. Les sécurités ayant bien fonctionné, l’hydrogène s’est échappé des réservoirs sous la forme de torchères sans provoquer d’explosion. Il a été évoqué un flash au niveau du poste de conduite d’un des véhicules, suivi d’une lueur. La motorisation et son alimentation semblent avoir été mises hors de cause.
L’architecture du groupe motopropulseur explique-t-il que les sept bus hydrogène ont tous été détruits à Belfort ? « Ça ne m’étonne pas que tous les véhicules soient partis dans l’incendie, car ils étaient garés les uns à côtés des autres avec peu d’écart. Dans ces conditions, l’effet domino a joué, comme ça aurait été le cas avec un modèle diesel ou GNC. Pour le réduire, on peut garer les véhicules par trois ou quatre, les îlots ainsi formés étant, par exemple, séparés par un espace de quatre à cinq mètres ».
À lire aussiPourquoi les voitures électriques se font-elles davantage percuter par l’arrière que les thermiques ?Automobile Propre et moi-même remercions beaucoup le lieutenant-colonel Gentilleau (ER) pour son accueil, sa disponibilité et son témoignage que nous avons sollicité.
Pour nous avoir permis d’entrer en relation avec notre interviewé, un grand merci également à Marc Mouthon, animateur de formation en gaz (GPL, GNV, hydrogène), et sapeur-pompier volontaire expert. C’est lui que nous voyons en vêtement d’intervention de pompier en illustration de l’article. La photo a été prise lors d’une formation sur les spécificités de l’hydrogène à laquelle j’ai assisté chez Energy Formation.
Pour rappel, toute contribution désobligeante à l’encontre de nos interviewés, de leur vie, de leurs choix, et/ou de leurs idées sera supprimée. Merci de votre compréhension.
Philippe SCHWOERER
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