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Les prises de position à contre-courant de Carlos Tavares, patron de PSA, au sujet de la voiture électrique, ont le plus souvent été interprétées comme une volonté de retarder un nécessaire virage vers la mobilité durable. Et s’il s’agissait d’une erreur d’interprétation ?
Fin août 2013, en raison de propos sans doute imprudents, Carlos Tavares, alors directeur général délégué aux opérations de Renault, est évincé de l’entreprise après 32 ans de service incluant un passage chez Nissan. Quelques mois plus tard, tout début 2014, il est invité à siéger au directoire du groupe PSA.
Cette chicane dans son parcours professionnel a eu pour résultat de faire penser que son discours détonnant au sujet de la voiture électrique était un moyen de savonner la planche du programme Z.E. de Renault et de gagner du temps pour trouver une voie originale vers la mobilité durable (comme la technologie Hybrid-Air abandonnée, dont la genèse est largement antérieure à 2014). Et ce, tout en continuant à vendre du diesel à tout-va et en redressant la barre du navire PSA.
Le 11 janvier 2012, alors DG chez Renault, Carlos Tavares défend cependant très bien la voiture électrique en commission des affaires économiques.
Il commence ainsi : « Dernier thème que je souhaite aborder, celui du véhicule électrique. Contrairement à ce qu’affirment certains, ce n’est pas un ‘pari’ mais une démarche courageuse et stratégique vers laquelle il convient d’aller. Nous avons un défi environnemental devant nous qu’il convient d’affronter et de régler au mieux ».
Il évoque ensuite des raisons « géopolitiques qui nous conduisent à insister sur ce programme », se traduisant par une augmentation du prix du pétrole. « Les études montrent que le véhicule électrique est plus économique et que son développement est inéluctable », affirme-t-il ensuite.
Carlos Tavares a ensuite balayé la question du véhicule hybride. « Nous pensons qu’il ne peut constituer qu’une solution transitoire, car il nécessite deux types de motorisation, thermique et électrique, ce qui se ressent sur le coût total du véhicule, et in fine sur les prix. Deux motorisations, c’est une de trop ».
En réponse aux questions des députés, il assure en 2012 : « Notre travail, à Renault, est d’apporter des réponses innovantes et des réponses économiques, en phase avec les attentes du marché. Et nous le faisons. Nous sommes innovants. Nous avons lancé les véhicules zéro émission ce qui est un choix stratégique décisif ».
En 2012, Carlos Tavares était persuadé d’être dans la bonne voie en soutenant une mobilité électrique capable de booster l’activité d’une marque : « Grâce à notre programme mettant l’accent sur le véhicule ‘zéro émissions’, nous avons l’opportunité de prendre une longueur d’avance considérable sur nos concurrents. Il serait très dommageable que nous n’y parvenions pas, faute d’un ensemble cohérent de mesures en faveur de l’électrique ».
Il réclamait déjà, comme il le fait toujours en 2019 par l’intermédiaire de l’association européenne des constructeurs automobiles (ACEA) dont il est le président, des aides des pouvoirs publics.
Ces derniers, en France, et à ses yeux, n’en faisaient manifestement pas assez : « Les bonus versés aux consommateurs et les subventions aux collectivités territoriales pour le financement d’infrastructures sont une bonne chose. Je compte sur le soutien public pour lever l’inconvénient majeur du véhicule électrique, l’autonomie, en multipliant l’installation de points de chargement ».
En 2017, Carlos Tavares, alors aux commandes de PSA, n’a plus le même discours. Au salon automobile de Francfort, cette année-là, il lâchait : « Si on nous donne instruction de faire des véhicules électriques, il faut aussi que les administrations et les autorités assument la responsabilité scientifique. Parce que je ne voudrais pas que dans 30 ans on ait découvert les uns ou les autres quelque chose qui n’est pas aussi beau que ça en a l’air ».
En facteurs de risques, pour lui : l’origine de l’électricité, le recyclage des batteries, la gestion de certains matériaux ou les éventuelles émissions électromagnétiques des véhicules en cours de recharge.
Une position qui devient alors récurrente, alternant les demandes d’aides en tout genre des gouvernements pour développer la mobilité électrique, et les alarmes autour de la voiture à batterie de traction.
Un des plus grands freins à la voiture électrique est de rester fixé sur des problèmes dépassés ou actuels mais qui peuvent être plus ou moins rapidement effacés. Tous les risques mis en avant par Carlos Tavares, et d’autres encore, ont été traités souvent plusieurs fois sur le site d’Automobile Propre.
Ainsi concernant les matériaux dits « rares » qui entrent dans la composition des batteries lithium, le recyclage de ces accumulateurs, et bien d’autres sujets.
Les progrès technologiques doivent embrayer sur toutes les difficultés mises au jour par le développement de la mobilité branchée. D’où l’importance d’écouter les lanceurs d’alertes et de prendre en compte les problèmes avérés qu’ils dénoncent.
Si son jeu est bien de cet ordre, Carlos Tavares a raison de s’exprimer sur les points noirs de la voiture électrique. S’il s’agit au contraire d’une manœuvre pour détourner l’attention sur le retard pris par PSA sur la mobilité branché et pour recevoir des aides supplémentaires, c’est bien sûr beaucoup moins satisfaisant.
Que penser de la solution hydrogène mise en avant par PSA ? Prudence justifiée et visionnaire ? Volonté de ne pas suivre une voie pour laquelle Renault apparaît un peu comme un chef de file ?
En avril 2018, Carlos Tavares justifie la nouvelle direction prise pour s’affranchir des « lacunes » de l’électrique, notamment concernant le temps de recharge des batteries.
Il s’agirait de comparer les vertus environnementales de chaque solution, sans doute en espérant que la balance penche du côté de l’hydrogène grâce à des moyens de plus en plus propres de produire le gaz. Une offre en modèles H2, pour les professionnels, serait même lancée avant la fin 2021.
A Francfort, en septembre dernier, Carlos Tavares se montre déjà un peu moins enthousiaste sur l’avenir de la mobilité hydrogène, même s’il confirme que son groupe est très intéressé par cette solution.
« Pour l’hydrogène comme pour l’électrique, on est revenu au même point de départ : où est l’infrastructure qui va rassurer les clients sur le fait qu’ils peuvent recharger leur véhicule électrique ou réservoir à hydrogène avec une densité du réseau suffisante ? » interroge-t-il.
Puis il renvoie la balle, cette fois, non pas dans le camp des pouvoirs publics, mais dans celui des automobilistes : « Les citoyens ont voté dans une certaine direction, nous sommes là pour servir cette intention. Peut-être que les citoyens n’ont pas compris l’ensemble des changements que leur vote porte implicitement et ils vont le découvrir au fur et à mesure que les choses vont se dérouler devant leurs yeux ».
Finalement, cette idée que Carlos Tavares voudrait freiner la voiture électrique n’est-elle pas dépassée ?
Chez Peugeot, la e-208 s’apprête à se faire une réputation sur les routes et le SUV e-2008 est à l’approche. Citroën vient tout juste de livrer quelques nouveaux éléments sur sa feuille de route électrifiée vers 2025, se positionnant plus particulièrement sur la clientèle de professionnels. La Corsa-e, au catalogue d’Opel, apparaît comme une citadine électrique assez convaincante. Sauf à freiner volontairement leur diffusion, les modèles électriques de PSA arrivent bel et bien. Et ils sont séduisants.
En outre, le mariage risqué et audacieux avec Fiat-Chrysler Automobiles va imposer à la nouvelle entité de donner un nouveau coup de barre, vigoureux, vers la mobilité durable. Actuellement, seul le développement dans l’urgence de modèles électriques à batterie de traction semble de nature à permettre, à ce désormais 4e groupe automobile mondial, de respecter les nouvelles normes européennes contraignantes.
Ce qui n’empêcherait bien sûr pas de diversifier les motorisations à énergies alternatives.
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