Ivan Segal, le Monsieur « Commerce » de Renault France, évoque les ventes du Losange en France, le coup de frein sur l’électrique, le lancement du Rafale ou les perspectives pour le réseau.

Automobile Propre – Nous venons de terminer le premier semestre 2024, comment voyez-vous la seconde partie de l’année ?

Ivan Segal – La première partie de ce semestre était la plus compliquée puisqu’on n’avait pas encore l’effet bénéfique des lancements. Le nouveau Scénic a démarré le 25 avril. La première partie de mai n’est pas la meilleure avec les ponts. Surtout, le gros de nos lancements va arriver maintenant. Nous allons connaître un deuxième semestre avec le vent dans le dos avec l’arrivée des Rafale, Captur, Symbioz et l’ouverture des commandes de R5 sur laquelle on observe un intérêt important.

Les chiffres clés :

En 2023 :

  • Renault n°1 en France sur les voitures particulières (Peugeot était leader en 2021 et 2022)
  • 277 000 voitures vendues, part de marché : 15,7 %
  • dont 44,5 % de véhicules électrifiés (hybrides ou électriques)

Sur les 4 premiers mois de 2024 :

  • Renault toujours n°1, 15,2 % de part de marché

AP – Les derniers mois ont été marqués par les progrès rapides de l’hybride dans votre gamme… (+ 50 % en 2023)

Ivan Segal – Sur l’essentiel de nos modèles, nous sommes embarqués sur un passage à l’hybride, ce qui correspond à la demande française et européenne. Aujourd’hui, en France, nous sommes devant Toyota sur ce créneau. On se bagarre, on s’observe, mais nous sommes devant. 70 % de nos ventes sur le segment C (via Arkana, Austral, Espace, ndlr.) se font sur des véhicules hybrides. La part est environ de 50 % sur le segment B (Clio, Captur). C’est aujourd’hui notre énergie phare, avec la bonne techno et nous sommes dans le match en termes de prix.

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AP – Où en est le véhicule électrique aujourd’hui chez Renault ?

Ivan Segal – Nous avons connu une partie un peu compliquée à la fin de l’année dernière, avec l’arrêt progressif des Zoe et Twingo. Le marché a été très difficile à décrypter en début d’année 2024, avec le lancement du leasing social du gouvernement. Evidemment, vous ne pouvez pas planifier votre gamme en fonction. Nous n’avions pas de nouveauté ou de modèle complet à proposer. Nous n’avons donc bénéficié que partiellement du dispositif par rapport à d’autres acteurs. Nous proposions la Twingo – qui était en fin de vie – et la Mégane avec la batterie de 40 kWh sans peinture métallisée pour proposer avec le loyer plafonné à 150 euros/mois. Mégane a pesé 60 % des immatriculations liées au leasing social, 40 % pour la Twingo. Aujourd’hui, nous en sommes au redémarrage avec Scénic, puis R5 et R4. Nous avons un plan produit très riche et ambitieux sur le VE.

« Le marché de l’électrique n’est pas mûr »

AP – Il était beaucoup question en ce moment d’un « coup de frein » des ventes de voitures électrique. Le constatez-vous concrètement ?

Ivan Segal – À la fin de l’année dernière, le VE pesait 19 à 20 % du marché des véhicules particuliers. Cela poussait. Et début 2024, nous étions sur les mêmes chiffres. Mais si l’on retirait le leasing social, nous observions au fil des jours une tendance qui était plutôt à la baisse. Cela était déjà visible sur les carnets de commande ; on sent un peu d’attentisme partout en Europe. Les clients se posent des questions sur la baisse des bonus, sur le prix de l’électrique par rapport au thermique. Le marché n’est pas mûr aujourd’hui. Les gens rationnalisent leurs achats et se demandent : « est-ce le bon moment » ? Côté flottes, cela ne démarre pas vraiment. Les loueurs sont inquiets sur leurs valeurs résiduelles après les baisses massives de prix du neuf de l’an dernier. Côté particuliers, le recul du bonus génère des questions rationnelles sur le montant des loyers ou le coût total de possession.

AP – La courbe des ventes de voitures électriques va-t-elle repartir à la hausse ? Ou bien avons-nous durablement atteint un plateau ? 

Ivan Segal – Aujourd’hui, je pense que nous sommes sur un plateau. Le marché de l’électrique n’est pas mûr, encore au milieu de chemin. Nous allons connaître beaucoup d’évènements de ce type. En mars 2022, nous avions vu les effets du déclanchement de la guerre en Ukraine et du baril de pétrole qui explosait. Nous avions des queues en concessions lors des opérations portes ouvertes pour acheter des VE. Nous avons vu un pic de commande, puis cela s’est tassé. Une autre fois, il y a une nouveauté produit ou une annonce politique comme le leasing social. Tout le monde veut alors de l’électrique. Aujourd’hui, c’est un marché très sensible à l’instant, vers le haut comme vers le bas. Dans nos commandes, nous ressentons le coup de frein, mais il peut se passer plein de choses. Notre vision, chez Renault, c’est que le marché basculera vers l’électrique. Il peut y avoir des paliers, mais la croissance repartira avant sans doute de s’arrêter à nouveau…

AP – Quels pourraient justement être les facteurs de croissance ou de freinage à court et moyen terme ?

Ivan Segal – Il y aura des stimuli. Il y a par exemple une réflexion en cours sur la loi LOM sur le verdissement des flottes. Ceci devrait déboucher sur quelque chose qui poussera les entreprises à renforcer leur parc électrique. Certains concurrents vont aussi arriver sur le marché. Cela conduira les prix à un bon niveau : l’électrique deviendra rationnellement intéressant par rapport aux autres énergies. La fiscalité en France sera aussi un stimulus. Avec notre malus sur le thermique, l’électrique va naturellement trouver sa place. Et notre plan produit devrait stimuler aussi le marché. Certains modèles devraient donner de l’appétit à nos clients. Le chemin vers le tout électrique va prendre du temps. Nous avons une gamme prévue pour répondre aux besoins d’une transition qui sera longue.

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AP – Le marché de l’électrique est aussi heurté par la valse des prix. Quelle est votre stratégie ?

Ivan Segal – Notre politique a été de ne pas nous affoler quand Tesla avait réduit ses prix de 8 000 euros en mars dernier. Nous avons tenu le cap le plus longtemps possible. Nous avons beaucoup travaillé nos loyers, essayé de trouver des astuces pour maintenir le prix facial et nos valeurs résiduelles. Nous avons tenu le plus longtemps possible, mais en janvier, nous avons décidé de rabaisser le prix facial de la Mégane de 4 500 euros. Nous l’avons fait en accord avec notre réseau et avec des engagements de reprise : notre réseau peut être rassuré sur le fait que nous serons au rendez-vous sur le parc emmagasiné. Depuis cette décision, nous sommes dans le match côté tarif même si le marché continue à être fluctuant. Il va se passer des années avant que le marché se cote à la virgule près, comme c’est le cas aujourd’hui pour les voitures thermiques. On apprend du marché VE et l’on s’adapte. Ce qui est certain, c’est que le marché basculera à l’électrique. Ce que l’on ne connaît pas, c’est la vitesse. Cela dépendra des décisions politiques, des futurs malus… Cela mettra trois ans, dix ans ou quinze ans, nous verrons.

CV express d’Ivan Segal :

Directeur commercial Renault France depuis 2019

Formation : EDHEC

1997-2013 : PSA Peugeot Citroën

  • Retour de Citroën en Afrique du sud
  • Patron du réseau de distribution Citroën en Slovaquie, Pologne puis Belgique
  • Directeur général de Citroën Brésil puis Citroën Amérique latine

2013-2016 : Volkswagen do Brasil

  • Directeur de la vente et du réseau

2016 à aujourd’hui : Groupe Renault

  • Directeur général de Renault Espagne/Portugal
  • Directeur commercial de Renault France

AP – Vous avez lancé le Renault Scénic électrique il y a deux mois. Quels sont les premiers retours ?

Ivan Segal – Les premières commandes nous indiquent que nous avons un taux de conquête proche de 50 %. Nous avons une grosse partie qui vient du véhicule thermique. Sur le mix, l’intérêt des clients porte sans surprise sur la grosse batterie et les finitions hautes : nous avons environ 70 % de commande en Esprit Alpine et Iconic, ce qui est bon pour notre panier moyen.

« Rafale n’est pas un enjeu pour Renault en termes de volumes, mais en termes deimage »

AP – Au même moment, vous annoncez le lancement du Renault Rafale hybride rechargeable de 300 ch. Misez-vous vraiment sur un retour du PHEV ?

Ivan Segal – Ceci n’est pas un changement de stratégie ou de vision. Avec Fabrice Cambolive (le directeur général des opérations de Renault, ndlr.), nous sentons qu’en Europe, c’est l’hybride « simple » qui va prendre de la place. On pense avoir la bonne technologie et l’on n’en démord pas. Nous avions des offres hybrides rechargeables qui ont peu à peu disparu, en fonction de la demande. Les récentes études sur l’utilisation réelle du PHEV ne nous poussent pas à croire qu’il va exploser. Une fois que l’on a dit cela, il existe des usages. Sur le segment D – qui est celui du Rafale plutôt que de l’Austral – on trouve des clients qui font des usages courts et urbains et ont en même temps des besoins de trajets très longs, type week-end ou vacances. Là, on pense que notre hybride rechargeable peut être la meilleure solution. Ici, le 100 % électrique est trop cher. Le coût et l’impact sur les prix est trop élevé pour une marque généraliste. Nous n’irons pas chercher de l’ultra haut de gamme à 65 000 euros. Sur Rafale, nous avons déjà la chaîne de puissance hybride de 200 ch. Pour ceux qui recherchent plus de puissance et 300 ch, l’hybride rechargeable est la meilleure solution.

AP – Du coup, vous attendez-vous à vendre plus de Rafale hybrides de 200 ch ou hybrides rechargeables de 300 ch ?

Ivan Segal – Nous pensons que plus de 50 % de nos immatriculations iront vers le plug-in. C’est pour cela que la question de réintroduire cette technologie s’est posée.

AP – Chez Renault, le segment D a toujours été problématique. Pourquoi Rafale réussirait-il là où Laguna, Koleos ou Talisman ont connu bien des déboires ?

Ivan Segal – Premièrement, nous ne cherchons pas à concurrencer les constructeurs premium. Nous sommes sur des tranches de prix raisonnables (45 000 euros en entrée de gamme, ndlr.), donc nous sommes dans le match. Deuxièmement, Renault a changé. Nous sommes passés sur une politique de valeur. Par exemple, dans nos pratiques commerciales, nous avons réduit les ventes tactiques. Nous devons être vertueux pour maintenir nos valeurs résiduelles. Pour nous, c’est le cœur du sujet. On va tenir à cette valeur. Rafale n’est pas un enjeu pour Renault en termes de volumes, mais en termes d’image. On ne va pas le « flinguer » en faisant des remises abyssales qui nuisent à sa valeur de revente à long terme.

AP – Et pourquoi viser ce segment précisément ?

Ivan Segal – À son arrivée, Luca de Meo a très vite dit dans le groupe : nous allons renaître de nos cendres à travers le segment C, qui est un peu le barycentre de Renault. Jusqu’ici, la marque était très dépendante du A et B avec Twingo, Clio ou Captur. Arkana, qui était déjà lancé, a été le premier. On a rajouté Austral pour étendre la couverture de Renault vers le C+, voire le D. Notre gamme possède désormais Espace pour un usage familial et Rafale, plus orienté sur le plaisir. Nous n’avons pas l’intention d’aller au-dessus, car nous n’en avons pas les capacités. Enfin, il y a la question de l’image de marque. Elle est liée à la politique de valeur. Nous voulons attirer des consommateurs un peu plus aisés qui vont se dire : « Tiens, pourquoi pas Renault ? », alors qu’ils ne nous mettaient pas dans leur top 3 il y a trois ou quatre ans. Tout cela va nous amener sur ce segment de manière un peu plus solide.

« La R5, c’est pharaonique »

AP – Vous lancez en ce moment Scénic et Rafale. Captur restylé, Symbioz et R5 arrivent prochainement. Comment le réseau peut-il absorber autant de lancements ?

Ivan Segal – Pour nous, les commerçants, c’est un vrai sujet. Nous formons nos vendeurs en continu sur des modèles avec plusieurs modèles. Mais nous avons aussi choisi de libérer juin de toute formation pour laisser un maximum de place à Scénic. On aura cet été Rafale, puis Captur restylé et le nouveau Master. Après, nous devons cibler nos clients. Si l’on fait venir tout le monde aux portes ouvertes de juin, cela devient un capharnaüm. Nous allons cibler par profil avec des journées pro, des journées Captur… Il y aura bien des frottements et des questions, mais nous avons essayé de dissocier au maximum. Après, nous enchaînerons avec R5 à l’automne. Je ne vous donnerais pas le nombre de leads (contacts avec des clients potentiels, ndlr.) que nous avons, mais c’est pharaonique.

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AP – La Renault 5 électrique est teasée depuis des années maintenant. Ne craignez-vous pas que l’intérêt s’émousse ?

Ivan Segal – Nous avons eu des débats en interne. Mais nous avons besoin d’image de marque chez Renault. Et la R5 est une machine à tirer notre image vers le haut par rapport à ce qui était ressenti il y a trois ou quatre ans. C’est très important. De plus, nous étions d’accord sur le fait qu’il fallait la teaser très tôt, car nous n’avions sur ce segment qu’une Zoe née en 2012. Cela n’allait pas faire de différence. Tout le monde pense que la voiture est là depuis des longtemps, mais les commandes n’ont été ouvertes qu’il y a quelques jours.

AP – On connaît désormais les tarifs et les caractéristiques techniques de la R5. À quoi vous attendez-vous pour le lancement ?

Ivan Segal – Pour nous, la voiture a tellement d’attractivité en design et le nombre de leads est tellement grand que nous envisageons une vague de trois ou quatre mois pendant laquelle nous allons attirer une première clientèle. Elle aura sans doute un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne et nous allons naturellement attirer des nostalgiques de R5, veulent passer à l’électrique, trouvent la voiture super sexy, etc. Ils vont se faire plaisir, ils vont l’agrémenter d’options, ils vont mettre du toit avec des cinq partout. Ils pourraient aussi opter pour de plus grandes batteries, parce qu’ils ont les moyens avec leur loyer. Puis dans un deuxième temps, on rentrera dans un match plus sérieux et plus large. Il y aura une phase où l’argument prix/loyer sera prépondérant. C’est là que l’on introduira la batterie un peu plus restreinte. On aura un temps effet waouh, puis un temps waouh plus rationnel.

AP – Vous êtes au quotidien au contact des concessionnaires et agents Renault. Quel est votre regard sur les constructeurs chinois et la manière dont ils construisent leur réseau en France ?

Ivan Segal – Je vois certains de nos concessionnaires ouvrir des espaces avec des marques chinoises. Mais je ne les vois plus aussi enthousiastes que pendant la phase de démarrage. Les constructeurs chinois découvrent qu’en Europe du sud, notamment en France, les achats se font beaucoup par proximité. Et les concessionnaires apprennent aussi à travailler avec des constructeurs chinois. Nos partenaires ont souvent de l’expérience, des années de hauts et de bas avec des constructeurs historiques. Ils se disent : « cela fait 40 ans que je travaille avec Renault, 40 ans que je gagne de l’argent ». Avec des hauts et des bas, évidemment, mais le bilan reste positif. Rationnellement, ils se disent aussi qu’en travaillant avec une marque française, un actionnariat français, il y aura toujours un avantage. Après, ils voient de nouvelles marques avec des paris potentiellement très juteux à court terme et des tickets d’entrée limités. Puis au fil du temps, ils découvrent qu’il y a d’autres difficultés dans la vie de la marque. Il ne s’agit pas seulement de vendre, mais aussi d’entretenir, de faire de l’après-vente, d’avoir des pièces. Les process ou les équipes mettent parfois du temps à se stabiliser. Nous ne pouvons pas interdire à nos distributeurs de s’ouvrir à d’autres marchés. Et à la limite, rien de mieux qu’ils puissent eux-mêmes comparer et juger à la fin.

AP – Nos lecteurs nous font régulièrement remonter la faible connaissance de la voiture électrique chez les vendeurs automobiles de toutes les marques. Comment améliorer cela ?

Ivan Segal – Pour des réseaux aussi structurés que les nôtres, c’est un changement énorme. Nous avons un avantage sur d’autres : nous avons commencé de bonne heure avec la Renault Zoe. Former les vendeurs, les rassurer, les aider à trouver les bonnes solutions prend du temps. Nous essayons de conserver notre longueur d’avance. Deuxièmement, nous faisons des enquêtes mystères massives chez nous comme chez nos concurrents. Des personnes testent tout le parcours client : prospect, contact, visite en concession, essai de la voiture jusqu’à l’offre. J’ai reçu les résultats la semaine dernière : on sort largement devant nos concurrents. Si je regarde le verre à moitié vide, je vois que le niveau est encore très hétérogène. Il y a encore des marges de manœuvre sur l’écosystème des bornes ou la fiscalité. Nous lancerons des choses au deuxième semestre. Lors des formations, nous constatons que les meilleurs vendeurs de véhicules électriques sont ceux qui roulent tous les jours en électrique. Comme le client, ils ont connu le pourcentage qui dégringole, la borne qui ne fonctionne pas… Et personne n’est plus convaincant qu’une personne qui a vécu quelque chose. Chez certains de nos concessionnaires, les vendeurs roulent tous en électrique. Nous devrons systématiser cela.

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