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On parle souvent de la puissance phénoménale de certaines voitures électriques, mais est-ce encore un sujet pertinent ?
Près de 2000 chevaux pour la Rimac Revera, 761 chevaux pour la Porsche Taycan Turbo S. Mais aussi plus de 1000 chevaux pour la Tesla Model S Plaid, près de 300 chevaux pour la Tesla Model 3 « de base » (et plus de 500 pour la version Performance, voire près de 580 selon certaines mesures), ces dernières étant trois berlines familiales à l’aspect plutôt tranquille… Est-ce bien raisonnable ?
On pourrait multiplier les exemples de voitures électriques dont même les versions d’entrée de gamme sont dotées d’une cavalerie qui aurait fait frémir n’importe quel passionné de puissance il y a seulement quelques années. Prenez par exemple une Kia EV6, un crossover peinard et ultra-confortable, qui avec 325 chevaux développe presque la même puissance qu’une Porsche 911 Carrera d’il y a 10 ans, mais un couple largement supérieur (605 Nm contre 390 Nm pour l’Allemande).
Alors, les constructeurs d’électriques sont-ils devenus fous, à proposer des engins à vocation familiale qui poussent comme des sportives exclusives ? Pas vraiment. En fait, la puissance est inhérente à la propulsion électrique, et elle est beaucoup plus facile à obtenir, voire « gratuite », puisque notamment le couple en est l’un des vecteurs naturels. Il s’avère également que, contrairement à ce que l’on connait avec le thermique, la puissance ne s’obtient pas au détriment de l’efficience, et donc de l’autonomie. Une réalité technique illustrée notamment par Tesla, dont la Model 3, y compris dans sa version Performance, fait partie des voitures électriques les plus efficientes au monde.
C’est donc tout naturellement que les voitures électriques sont d’origine souvent bien dotées en chevaux, et qu’il n’est pas rare de les compter en centaines, un privilège naguère réservé aux voitures d’exception. Une donnée qui s’est donc presque banalisée depuis quelques années.
Mais compter les chevaux est-il encore pertinent ? Pas sûr. Notre récent article sur la vraie puissance des Tesla, et surtout les discussions qui ont suivi, montrent que les points de vue sont très divers sur le sujet, qui de fait devient clivant, pour de nombreuses raisons.
Essayons d’y voir un peu plus clair.
Tout d’abord, d’un point de vue purement technique, la puissance des voitures est depuis plusieurs années exprimée non plus en chevaux mais en kW. Mais comme les habitudes ont la vie dure et que la plupart des automobilistes raisonnent encore en « cheval-vapeur » (!), cette mesure reste de fait la mesure universelle courante. Pour être complet, rappelons la correspondance : pour convertir 1 kW en cheval, il faut multiplier par 1,36. Une auto affichant une puissance de 200 kW développera donc 272 chevaux. Cependant, la puissance exprimée en kW semble d’autant plus pertinente et adaptée à la voiture électrique puisque les chevaux prennent en compte à l’origine le régime moteur, ce qui n’a plus vraiment de sens pour un moteur électrique.
D’autre part, les chiffres de puissance telle qu’ils sont indiqués aujourd’hui ne correspondent plus vraiment à la réalité d’un groupe propulseur électrique puisque ces dernières dépendent entre autres d’un élément crucial qui est celui du niveau de charge de la batterie. A fortiori quand on sait que la gestion de cette dernière est différente selon les constructeurs, et même en fonction des modèles chez un même constructeur… voire de leur date de sortie. Alors qu’une voiture thermique fournit la même puissance réservoir plein ou vide, les performances d’une voiture électrique ne sont pas 100% constantes selon l’état de charge. Selon cet essai par le célèbre Youtubeur Teslabjørn, le logiciel de gestion des versions 2021 de la Tesla Model 3 Performance briderait de façon drastique la puissance quand le niveau de charge tombe en-dessous de 20%, au point de multiplier par 3 le temps de passage de 0 à 100 (près de 10 secondes contre 3,3) ce qui ne semble pas être le cas avec les versions précédentes.
Bref, la mesure et l’indication de la puissance d’une électrique dépend de plusieurs paramètres qu’il conviendrait peut-être de prendre en compte pour avoir une vue plus large, et plus proche de la réalité. On pourrait imaginer que celle-ci soit indiquée selon un ou plusieurs niveaux de batterie, par exemple 100%, 50% et 20%. Certes cela compliquerait quelque peu les fiches techniques, mais cela permettrait aussi de voir comment chaque constructeur gère la puissance en fonction de la performance des batteries.
Mais l’aspect technique n’est peut-être pas le plus important. Partant du constat que la puissance des voitures électriques est souvent importante et « suffisante », est-ce encore un critère influant sur le choix au moment de l’achat ? Pas sûr. A part quelques férus de performance et autres amateurs de sensations fortes, les consommateurs privilégient aujourd’hui clairement le confort, l’efficience, l’autonomie, le temps de recharge, la praticité et la ligne plutôt que la course aux chevaux. Quand n’importe quelle électrique abat aujourd’hui le 0 à 100 en moins de temps qu’une sportive des années 80/90, l’essentiel est probablement ailleurs.
D’autre part, les puissances importantes de voitures finalement accessibles financièrement au plus grand nombre peuvent également poser un problème de sécurité, puisqu’un jeune conducteur tout ayant tout juste obtenu son permis peut se retrouver sans formation spéciale au volant d’une auto de 300 chevaux, voire plus – mais surtout avec un couple monstrueux agissant littéralement comme une catapulte entre deux feux rouges – pour le prix d’une 3008 diesel. Peut-être faudrait-il que les constructeurs introduisent un bridage qui se libérerait progressivement au fil de l’utilisation de la voiture ?
Enfin, la question de la sobriété – tellement débattue ces derniers temps – et de l’écologie se pose également. Car si l’on sait que puissance et efficience ne sont pas incompatibles en matière d’électromobilité, « tirer » sur la batterie pour faire fumer ses pneus générera forcément plus de dépense énergétique, et donc d’usure de cette dernière, sans parler des autres pièces mécaniques.
Reste la question – difficile à mesurer – du plaisir de conduire. Si la puissance n’est pas le seul critère en la matière, elle y participe cependant fortement. Mais c’est un autre débat, beaucoup plus large : plaisir et sobriété sont-ils compatibles ?
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