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Le principal argument commercial de Tesla pourrait bien ne plus tenir très longtemps.
Quand on dit Tesla, plusieurs caractéristiques viennent immédiatement à l’idée : icône de la voiture électrique, avance technologique, Autopilot, performance, ordinateur sur roue, autonomie de chameau, grands écrans, intelligence embarquée… et prix élevés.
Autant de qualités (ou perçues comme telles) qui participent de l’ADN de la marque.
Mais si ces marques de fabrique constituent une partie de l’argumentaire commercial pour un constructeur qui ne dépense pas un centime en publicité ni en marketing, quand un client compare avec la concurrence (encore maigre sur le segment de la berline premium électrique), la décision d’achat se fait souvent sur un autre argument, le seul qui soit unique à la marque, et donc imparable : son réseau de Superchargeurs.
C’est connu, et les fans le répètent à l’envi : Tesla est la seule marque de voitures électriques avec laquelle on peut traverser l’Europe d’Oslo à Lisbonne ou de Nantes à Berlin dans les mêmes conditions qu’à bord d’une thermique. Et ceci essentiellement grâce à son réseau de Superchargeurs, particulièrement dense, parfaitement réparti, et exclusif à la marque. Un argument massue qui éclipserait presque tous les autres, y compris celui de l’autonomie, puisque, où que l’on soit en Europe (et c’est encore plus vrai dans des pays comme la Norvège, l’Allemagne ou même la France), l’on est jamais à plus de 200 kilomètres d’un Superchargeur Tesla, prêt à vous accueillir pour refaire le plein de kWh – ou au moins de quoi rouler 2 heures – en quelques minutes. Le meilleur remède contre la fameuse range anxiety qui ronge les électromobilistes, bien avant le rayon d’action.
Elon Musk avait vu juste dès le départ : le développement du réseau de recharge était la condition sine qua non à la réussite de son pari. Un peu comme Steve Jobs, qui avait compris que le succès de l’iPod passerait par iTunes et celui de l’iPhone par l’App Store. D’un côté le hardware, le « contenant », de l’autre le « contenu ». En l’occurrence, avec Tesla, l’électricité.
Chapeau l’artiste.
Mais bon, voilà. Les temps changent, et il se pourrait que cet argument massue, même s’il reste entier, voie son impact fondre comme neige au soleil, jusqu’à disparaître plus vite que prévu. Bien sûr, le réseau de stations de recharge Tesla a encore quelques bonnes longueurs d’avance, et le constructeur californien continue à le développer au pas de charge, mais il n’est plus seul. Ou en tout cas il ne sera plus seul pendant très longtemps.
Si l’on dresse un état des forces en présence, on voit que la concurrence se met en ordre de bataille, même s’il faut reconnaître que c’est encore un peu le bazar. Mais cette grande foire ne va pas durer très longtemps, car les choses s’organisent, et la plus grosse erreur stratégique que pourrait faire Tesla serait de sous-estimer la concurrence.
En mettant de côté la grosse blague Izivia/Corri-Door, il y a d’abord Ionity, qui malgré un petit retard sur son plan de marche (principalement à cause du Covid, mais possiblement aussi d’un manque de financement, ce qui est plus gênant) ouvre régulièrement de nouvelles stations, qui sont désormais au nombre de 74 en France, contre environ 75 pour Tesla. Kif-kif, donc. Alors certes, les stations Ionity comptent généralement entre 4 et 6 bornes là où celles de Tesla en comptent entre 8 et… 20, mais pour en avoir testé quelques-unes en France et en Suisse à bord de différents véhicules et en toutes périodes de l’année, même avec seulement 4 bornes, elles sont loin d’être saturées. D’autre part, Ionity a fait le choix d’implanter son réseau sur les aires d’autoroute, contrairement à Tesla. Difficile de dire quel est le meilleur choix, tout simplement parce qu’il n’y a pas de meilleur choix : tout dépend de sa façon de circuler, autoroute ou nationale. Disons que l’avantage de rouler en Tesla est là aussi évident, car une Tesla peut se charger chez Ionity, alors qu’une voiture d’une autre marque ne peut pas se charger chez Tesla… Dernier point sur ce chapitre, juste pour situer les choses : il y a désormais autant de stations Ionity que de stations Tesla sur l’axe Paris-Nice (13 pour chaque réseau). On peut donc envisager de faire ce type de long trajet dans le même temps, que l’on roule en Tesla ou avec une autre marque, toutefois compatible avec une recharge haut débit (150 kW ou plus).
Mais il n’y a pas que Ionity, et heureusement. Même s’ils ont un peu de retard à l’allumage, les projets foisonnent. On peut citer Total, avec son réseau TOTAL MOBILITY, encore balbutiant, mais qui devrait se développer très vite, car si le géant de l’énergie, doté de la puissance de feu qui le caractérise, se lance sur le créneau, ce n’est certainement pas pour bricoler ni faire de la figuration. Le pétrolier revendique déjà plus de 20 000 bornes en France et 100 000 en Europe, avec un objectif affiché d’opérer 150 000 points de charge en Europe d’ici 2025. Un réseau qui compte déjà 13 stations à haute puissance en France, proposant jusqu’à 175 kW, installées dans ses stations-service sur autoroutes et voies express. L’objectif est d’équiper 300 stations de recharge haute puissance en France d’ici fin 2023, dont 100 sur les routes nationales, 100 sur autoroutes et 100 autres dans les périphéries des grandes villes.
Il y a d’autres chantiers en cours, dont le plus intriguant est peut-être celui en gestation chez… Porsche et Audi, visiblement déçus par Ionity, et à qui l’on prête l’intention de développer leur propre réseau de chargeurs haut débit. Porsche a déjà commencé en équipant progressivement ses concessions de chargeurs réservés essentiellement au Taycan et accessoirement aux hybrides rechargeables de la marque. Vu l’investissement du constructeur sur le secteur de l’électrique, on peut facilement imaginer que ce projet ne va qu’accélérer dans un futur proche.
Enfin, on pourrait citer aussi Ubricity et son implantation originale en milieu urbain, secteur de plus en plus stratégique, et grand oublié de ceux mentionnés précédemment. Le rachat de cet opérateur par Shell est probablement un signal intéressant.
Alors bien sûr il reste encore du chemin avant que les autres réseaux de recharge fassent réellement de l’ombre au principal avantage de Tesla, mais ce n’est qu’une question de deux ou trois ans au maximum pour que celui-ci soit totalement effacé. Parions qu’à l’horizon 2023-2025, si l’on fonde le raisonnement sur la densité et la disponibilité des réseaux, il sera aussi facile, confortable et rassurant de faire Oslo Lisbonne (ou plus simplement Lyon Bordeaux) à bord d’une électrique d’une autre marque qu’à bord d’une Tesla.
Restent trois questions : celle de la rapidité de recharge, l’aspect pratique « plug and play » et celle du coût. Concernant la rapidité, toutes les voitures ne sont pas encore équipées pour recevoir entre 150 et 250 kW, loin de là, cette performance restant l’apanage du haut de gamme (Tesla, Porsche, Audi…), mais toutes les routières dignes de ce nom seront au moins compatibles avec du 50 kW a minima.
Concernant le côté pratique, là aussi les choses devraient rapidement se normaliser, soit avec des systèmes de paiement facilités et standardisés, soit avec une identification automatique de la voiture lorsqu’elle est branchée à une borne, avec facturation au kWh directement prélevée sur un compte bancaire.
Enfin, le coût. Aujourd’hui, pour reprendre les deux exemples les plus courants, Tesla facture 0,30 € le kWh à ses clients non éligibles à une recharge gratuite à vie, et Ionity 0,39 € aux clients propriétaires d’une voiture appartenant à une marque du consortium (le reste n’étant pas significatif, car très marginal). La différence n’est donc pas énorme, soit par exemple 4,5 € sur une recharge de 50 kWh.
Bien sûr, Tesla a de nombreux autres arguments dans sa manche, mais il semble de plus en plus probable que la marque américaine ne devrait plus trop compter sur celui de son réseau de Superchargeurs dans un avenir à moyen terme. Peut-être alors sera-t-il temps pour elle de sortir un nouveau coup de poker : ouvrir son réseau aux autres constructeurs. Moyennant finances, bien sûr, et sous certaines conditions.
Histoire de reprendre l’avantage.
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