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(illustration : « Money in hands » Fickr CC)
Les levées de fonds massives se succèdent dans le monde de la recharge électrique, faisant de ce secteur le nouveau terrain de jeu des fonds d’investissement. Le signe d’un véritable basculement ?
Réseaux sociaux, applications, fintech, biotech, healthtech, cryptos, blockchain, métavers… Jusqu’à il y a peu, les levées de fonds massives faisaient presque exclusivement partie du vocabulaire des start-up évoluant dans le monde de la tech, du digital et d’internet. Il faut dire que si ces activités ne demandent pas énormément d’investissement au départ, puisqu’il s’agit avant tout de lignes de code matérialisant une idée d’usage, leur rentabilité dépend essentiellement de leur capacité à être adoptées très rapidement par le plus grand nombre d’utilisateurs. Or pour engranger très vite des millions d’adeptes, qui seront ensuite convertis en abonnés payants ou en cibles publicitaires, la seule présence sur internet ne suffit plus depuis longtemps. De lourds investissements en marketing sont par conséquent cruciaux si la bonne idée ne veut pas finir rapidement au cimetière des opportunités ratées.
C’est ainsi que l’incontournable levée de fonds intervient, même si elle n’est pas pour autant synonyme de succès assuré. Les Uber, WeWork (1), Instagram, WhatsApp, Airbnb, ou plus près de nous, Blablacar, Sorare ou ContentSquare n’auraient probablement jamais rencontré le succès qui est le leur si ces start-up, souvent nées pour leurs créateurs de la frustration liée à un besoin d’usage non satisfait, n’avaient pas dès leurs premières années d’activité attiré de riches investisseurs.
Des levées de fonds qui ont permis de soutenir et accélérer la croissance en la finançant, de semer la concurrence (voire de la racheter et/ou de la tuer) et d’atteindre plus rapidement le point d’équilibre financier.
On dirait que ce schéma est en cours de reproduction dans le domaine qui nous intéresse ici, l’électromobilité, et plus particulièrement dans celui de la recharge.
Si les paramètres ne sont pas exactement les mêmes, car déployer un réseau de recharge coûte infiniment plus cher et est probablement beaucoup plus compliqué qu’une application pour réserver une voiture ou un appartement, les besoins en capitaux pour « accélérer » s’imposent de la même manière. La différence se situe alors sur les besoins en ingénierie, sur la capacité à trouver du foncier bien situé et à nouer des partenariats, et bien sûr sur la capacité à financer tous ces actifs coûteux. Avec en contrepartie l’avantage de devenir propriétaire de « surfaces commerciales » garantissant à terme des revenus récurrents en provenance d’une clientèle captive et abonnée, et rassurant justement les investisseurs, qui mettent parfois un petit billet pour la valeur du foncier autant que pour celle de la start-up.
C’est ainsi que l’on voit ces derniers temps les levées de fonds se multiplier dans les entreprises du secteur, que ce soient des start-up ou des opérateurs appuyés à des groupes déjà bien établis. En tout cas suffisamment pour voir se dégager une tendance qui montre que les fonds d’investissement, et pas n’importe lesquels, identifient peut-être dans les réseaux de recharge le nouvel eldorado dans lequel placer quelques billes sans prendre trop de risques.
Tour d’horizon des dernières levées de fonds dans le secteur de la recharge électrique.
À tout seigneur tout honneur, et c’est donc à Ionity qu’il revient d’ouvrir le bal. Si la fondation de départ s’est faite à l’initiative d’un consortium réunissant plusieurs marques automobiles allemandes, puis américaine et coréennes, (BMW, Ford, Hyundai-Kia, Daimler, Volkswagen, Audi et Porsche), c’est la dernière levée de fonds de l’opérateur teuton qui interpelle. En effet, en novembre 2021, Ionity a annoncé un nouveau tour de table de près de 700 millions d’euros. Dans cette belle rentrée d’argent frais, 200 millions ont été apportés par les constructeurs partenaires, mais le plus intéressant est les 500 millions restants, qui proviennent de l’un des fonds d’investissements et de gestion d’actifs les plus puissants de la planète, à savoir BlackRock. Si cette entreprise n’est pas à proprement parler un fonds spécialisé dans la tech ni dans les énergies vertes (elle compte plusieurs pétroliers à son portefeuille), le fait qu’elle investisse dans un opérateur de l’électromobilité est probablement un signal intéressant.
À lire aussiIonity ouvre sa 100e station et passe à la tarification au kWh !Le réseau américain, monté dans l’urgence par le groupe VW sur le territoire américain en compensation du scandale du dieselgate dans le cadre d’un décret de consentement conclu avec les autorités américaines en 2016, a ouvert ses premières stations début 2017. Comptant aujourd’hui plus de 730 stations de recharge et 2 438 points de charge, Electrify America vient d’annoncer une levée de fonds de 450 millions de dollars (433 M€) auprès de Siemens, ce qui valorise l’opérateur à 2,45 milliards de dollars.
Là, on est en plein dans l’actu puisque la start-up française Electra vient d’annoncer jeudi dernier une levée de fonds record de 160 millions d’euros, qui vient s’ajouter aux 15 millions déjà levés il y a un peu plus d’un an. Pourquoi record ? Parce que, de mémoire de start-up, y compris dans d’autres secteurs habituels de la tech, on n’a jamais vu une aussi jeune entreprise (à peine plus d’un an d’existence) lever une telle somme en un laps de temps aussi court. Ce qui en dit long sur la confiance des investisseurs et sur leur foi en ce marché, surtout quand on sait que des fonds appartenant à la SNCF et à la RATP font partie du tour de table. Une levée qui servira entre autres à amorcer le déploiement européen du jeune opérateur, qui vise 8 000 points de charge rapide à horizon 2030.
Lancé en 2018, l’opérateur français, qui a fait ses premières armes au Portugal, a annoncé une levée de fonds de 150 millions d’euros en mai dernier, et adopte une voie originale en adaptant son réseau aux usages, qui nécessitent selon lui une offre de charge différente selon que l’on fait ses courses ou que l’on déjeune au restaurant. L’opérateur compte 490 sites en cours de déploiement en un an et demi, et Power Dot vise a minima 7 000 points de recharge rapide sur le territoire français en 2025. Dès la fin d’année 2022, il y aura 800 points de recharge rapide opérationnels.
Fondé en 2012, l’opérateur néerlandais connaît actuellement une croissance éclair en Europe et plus précisément dans l’Hexagone, où le déploiement de nouvelles stations semble se faire au pas de charge. Pour soutenir et financer cette croissance, Fastned a eu depuis son lancement recours à une dizaine de levées de fonds pour un total de 235 millions d’euros, dont la dernière de 150 millions a été bouclée en février 2021. Comme beaucoup d’entreprises faisant appel à des investisseurs extérieurs, Fastned n’est pas encore rentable, mais sa croissance très forte avec un CA multiplié par deux sur le dernier exercice et un EBITDA opérationnel en progression de 171 % laisse penser que le point d’équilibre n’est pas très loin.
Un autre opérateur d’origine néerlandaise, qui a entrepris une démarche différente pour sa dernière levée de fonds de 145 millions d’euros puisqu’il est passé par… Wall Street. Le fournisseur de systèmes de recharge pour véhicules électriques a donc réalisé une introduction en bourse sur le New York Stock Exchange à travers une fusion avec le SPAC Spartan Acquisition Corp III. Une opération qui valorise l’entreprise à 2,45 milliards d’euros. Il faut dire qu’Allego, s’il n’est pas encore très connu par ici, n’est pas vraiment un perdreau de l’année, et dispose déjà d’une solide expérience dans la recharge électrique, avec déjà un réseau de 28 000 bornes publiques sur le Vieux Continent, qui devrait s’étendre notamment en France suite à un accord avec des chaines de supermarchés comme Carrefour et Casino.
Fondé en 2018, le français Station-e propose une offre originale de stations multiservices proposant des recharges électriques, mais également du haut débit mobile (4G et WiFi) et des services de proximité. Comptant jusque-là sur ses fonds propres pour son développement, Stations-e a fait rentrer dans son capital des investisseurs comme Breega et la Banque des Territoires avec une levée de fonds de 30 millions d’euros en octobre 2021. Ce tour de table permettra à la société de déployer 10 000 stations de recharge d’ici 2027.
À lire aussiCe qui change pour les automobilistes le 1er juillet 2022 : bonus écologique, facturation au kWh des recharges, ZFE, boîte noire…Il y a eu d’autres levées de fonds au cours des derniers mois dans le monde de la recharge électrique, comme celles, plus modestes mais aussi encourageantes de ChargeGuru ou G2 Mobility, preuve d’un secteur en pleine croissance qui gagne progressivement l’intérêt, puis la confiance des investisseurs. Alors, la levée de fonds est-elle là aussi un passage incontournable pour les jeunes entreprises opérant dans le domaine des stations de recharge ? Probablement, car les investissements sont lourds (de 20 000 euros pour une borne 22 kW avec deux points de charge jusqu’à 50 000, voire 100 000 euros pour une borne haut débit entre 300 et 350 kW) et que la vitesse de déploiement est clé dans un secteur de plus en plus concurrentiel.
(1) Pour WeWork il peut y avoir débat vu les turbulences de valorisations qu’a connues l’entreprise entre sa création et son entrée mouvementée en bourse…
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