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Comme en informatique, le système d’exploitation devient un élément stratégique dans l’automobile, et c’est encore la voiture électrique qui donne le tempo.
Comme nous l’avons vu dans nos deux précédentes éditions de Zone Verte, lors de la présentation de la nouvelle Megane e-Tech 100 % électrique au Salon IAA de Munich, l’accent a été mis par les équipes de Renault sur l’interface utilisateur de la voiture, son ergonomie, sa fluidité, son design, et, au final, son intelligence.
Renault serait-il devenu en quelques années, voire en quelques mois, le champion des interfaces automobiles et du tout-à-l’écran ? Pas vraiment. Le système proposé n’a pas été développé par Renault, mais par Google. Il s’agit de l’une des premières intégrations de son système d’exploitation (ou Operating System, ou OS) Android Automotive, dans un véhicule d’une marque grand public, l’autre prétendant fraîchement élu étant Volvo, puis Peugeot en 2023.
Android ? On connaît déjà depuis longtemps dans le domaine automobile. Certes, mais il ne faut pas confondre ce que nous connaissons jusqu’à présent, Android Auto, qui n’est qu’un simple affichage déporté sur l’écran de la voiture des données issues d’une application pour smartphone, avec des fonctionnalités limitées, et Android Automotive, qui est un véritable OS installé – certains diront incrusté – nativement dans la voiture.
Chez Google, on a très vite compris l’opportunité fantastique que représentait le marché automobile pour continuer à développer son savoir-faire en matière d’extraction, de gestion et de redistribution de données. L’automobile est à cet égard une mine inépuisable, puisqu’une voiture est probablement l’un des objets grand public qui comportent le plus de capteurs. Mais la source de données ne s’arrête pas à la technique ou au simple comportement de la voiture. Son conducteur et ses occupants sont également dans le focus, car ce qui se passe dans une auto est aussi riche en enseignements de toutes natures. De la musique ou des radios écoutées aux trajets empruntés (et leur fréquence), jusqu’au nombre d’occupants et au style de conduite, tout peut être capté, enregistré, décortiqué.
Ce qui au passage n’est pas sans poser quelques questions sur la confidentialité des données et la vie privée, à tel point que l’on peut se demander pourquoi il ne nous est pas proposé de valider un document RGPD quand nous prenons place à bord. À ce sujet, je suis toujours surpris, et même un peu mal à l’aise, quand je vois que Tesla communique publiquement – même si cela ne dévoile rien de privé – sur les circonstances d’un accident de l’un de ses clients à bord de l’une de ses voitures. Ce qui signifie simplement que la marque a la main sur absolument toutes les données de notre vie automobile, et ce 24 heures sur 24, 365 jours par an. Deal with it, comme dirait mon ami anglophone.
À l’heure de l’électrique, alors que la technologie et la mécanique des voitures ont tendance à se simplifier et s’alléger, et – hormis quelques supercars (Model S Plaid, Taycan Turbo S…) – qu’il sera peut-être de plus en plus difficile de faire la différence par la motorisation et les performances, la bataille concurrentielle va se jouer sur d’autres critères. Nous avons vu précédemment que les interfaces devenaient un argument commercial de plus en plus important, et qu’il semblerait que l’attente des utilisateurs à ce sujet soit assez forte. Tout cela passe par le système d’exploitation, et si possible par un bon système d’exploitation.
C’est pour ces raisons que l’OS devient stratégique dans l’automobile, et que cette donnée est accélérée par le développement exponentiel du marché de la voiture électrique, puisque les technologies numériques sont inscrites dans son ADN.
Problème : les constructeurs ne sont pas des développeurs d’OS. S’ils ont jusqu’à présent donné le change en proposant quelques prestations pouvant laisser croire qu’ils faisaient le job, ils ne trompent personne. À quelques exceptions près, les systèmes embarqués fonctionnent souvent mal, et la fluidité ou l’ergonomie semblent des concepts très éloignés. C’est la raison pour laquelle, même dans une auto chère et « suréquipée », nous finissons souvent par jeter l’éponge et connecter notre bon vieux smartphone pour lancer Android Auto ou Apple CarPlay, ou plus simplement pour utiliser la navigation GPS Waze directement sur son écran fixé sur le tableau de bord.
Un constat d’échec pour les constructeurs ? Oui, et il est double. D’abord, celui de n’avoir jamais vraiment été capables de fournir une interface à la hauteur des attentes d’un public rompu aux subtilités des écrans, et très compétent en ce domaine. Ensuite, avoir laissé entrer le loup dans la bergerie en la personne de Google et Apple. Et, dans une certaine mesure, Microsoft et d’autres, comme BlackBerry avec QNX, ou Linux (ce qui est moins préoccupant dans le cas de ces derniers, qui fournissent seulement un noyau sur lequel les constructeurs déploient leur propre couche d’interface).
Quelles sont réellement les forces en présence ? Pour le moment, hormis Android Automotive, de nombreux autres éditeurs de systèmes d’exploitation déjà utilisés couramment dans divers objets connectés ne masquent pas leurs ambitions de conquérir le juteux et prometteur marché de la voiture connectée. Ainsi le géant Baidu (le Google chinois) travaille déjà avec des constructeurs locaux, mais on peut citer également LG avec WebOS, Samsung avec Tizen, ou même Huawei avec Harmony OS, développé dans l’urgence après que Google a rompu ses accords de licence Android avec la marque.
Difficile à dire. Car certains font de la résistance, conscients des enjeux et de la perte de valeur potentielle que représenterait le fait de donner les clés de leurs données aux éditeurs de logiciels. Tesla fut évidemment le premier sur les rangs, et ce n’est pas pour rien que les modèles de la marque californienne sont souvent désignés comme des « ordinateurs sur roues » ou des « tablettes avec une voiture autour ». Tesla ne s’est pas raté sur ce coup, et son OS vaut bien ce que nous connaissons de mieux en la matière hors automobile, même si l’ergonomie pourrait probablement encore être largement améliorée. De là à imaginer un « TeslaOS » distribué sous licence à d’autres constructeurs ? Personnellement je n’y crois pas, mais n’insultons pas l’avenir.
De son côté, le groupe VW a déclaré la mobilisation générale autour de son OS maison, VW.OS, qui équipe déjà ses modèles électriques ID.3 et ID.4, avec les débuts laborieux que l’on sait. Et ce n’est apparemment pas un effet de manche ou une dernière bravade avant de lâcher l’affaire puisque le géant allemand investit très gros depuis 2019 sur le sujet avec la création d’une véritable division dédiée nommée Car.Software, regroupant pas moins de 5 000 personnes ayant pour mission de développer un système d’exploitation pour les véhicules du groupe.
Une décision prise à partir d’un constat fait par Christian Senger, responsable de la division VW Group’s Digital Car and Services : « Aujourd’hui, nous construisons plus de 10 millions de voitures par an. Mais elles fonctionnent sur environ huit architectures électroniques différentes. Nous avons défini comment fonctionne réellement l’industrialisation mondiale des marques et des marchés. En ce qui concerne les logiciels, il n’y a aucune raison d’avoir huit architectures différentes », comparant la situation actuelle du groupe VW au système d’exploitation Android, où le même logiciel fonctionne sur des smartphones à 60 dollars comme sur des smartphones à 1 000 dollars.
Et les autres ? Pas grand-chose pour le moment, ou en tout cas rien de très nouveau sous le panneau solaire.
Cela étant, si l’on se réfère encore une fois à ce qui s’est passé dans l’informatique, on ne va pas se mentir, la bataille est et sera rude. Nous sommes dans des métiers industriels où les investissements sont colossaux et où la consolidation est souvent la règle. Il se pourrait qu’à terme il ne reste que deux ou trois fournisseurs d’OS automobile – au même titre que Windows et Apple, ou Android et Apple dans les téléphones – et que la plupart des constructeurs s’en soient remis à ces derniers pour motoriser l’intelligence de leurs voitures.
Difficile à dire. S’il est certain que les constructeurs automobiles ont certainement beaucoup à perdre à s’en remettre à Google ou autres, ils vont aussi probablement en tirer de substantiels avantages. Hormis le fait qu’ils s’appuieront sur des compétences d’ingénierie logicielle inégalables, ils pourront réorienter leurs investissements sur d’autres postes plus proches de leur ADN, comme le design, le confort, l’efficience, même si ces notions peuvent aussi être intimement liées au… système d’exploitation.
Cela étant, si l’on prend l’exemple de ce qui s’est réellement passé avec Android dans le monde des smartphones, l’on constate que certaines marques exsangues ont pu se refaire une santé grâce à l’arrivée et l’intégration de l’OS Google. C’est le cas de Nokia ou Motorola, qui sans cela auraient probablement disparu définitivement (même si dans le cas de Motorola, le rachat par Lenovo a certainement aidé). Et c’est aussi le cas de « petites marques » peu connues du grand public, qui ont émergé grâce à la licence gratuite Android, et qui n’auraient probablement jamais existé sans ce dernier.
Alors l’OS automobile, tueur ou vecteur de vitalité et de diversité de l’offre ? Et si on optait pour le scénario optimiste ? Reste une question : souhaitable ou pas, y aura-t-il un Windows de l’automobile, et si oui, existe-t-il déjà seulement ?
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Focus sur Tesla24 septembre 2024
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