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Le designer Benoît Jacob revient sur la naissance et le destin de la BMW i3, une des électriques les plus radicales de l’histoire.
Lui : « Je m’étais juré de ne plus en parler ».
Moi : « Pourquoi ? »
Lui : « Parce que c’est du passé ».
Lorsque nous avons rencontré cet automne le Français Benoît Jacob, nouveau directeur exécutif du design du groupe chinois GAC, nous n’avons pas pu nous empêcher de poser quelques questions sur la genèse de la BMW i3, dont il fut l’un des principaux auteurs. Après quelques secondes, notre interlocuteur transigea : « C’était génial, j’ai adoré travailler sur cette voiture ».
Sortie en 2013 – c’est-à-dire à la même époque que la Renault Zoe ou la Tesla Model S – la BMW i3 fut autant une pionnière de l’électrique qu’un choc esthétique. Volumes inusités, solutions innovantes, démarche écoresponsable… « Ce projet était d’abord un manifeste, nous explique aujourd’hui le designer. L’idée était de visualiser, à travers un produit, la transformation d’une entreprise. Un moyen pour BMW de dire : « on va être parmi les premiers dans l’électrification » ».
Au début des années 2010, une telle affirmation tenait de la témérité. L’industrie automobile allemande triomphait. Le groupe Volkswagen arrosait le monde de blocs TDI, empilait les yuans liés au boom du marché chinois et rêvait d’une voiture consommant 1/l aux 100 km.
De leur côté, Mercedes et BMW imposaient le premium dans des segments jusqu’alors laissés aux généralistes : ils approchaient alors des deux millions de voitures produites, soit le double de leurs volumes à peine dix ans plus tôt.
Les marges généreuses ne donnaient pas trop d’envies de disruption, d’autant que Wolfsburg, Stuttgart ou Munich avaient remarquablement résisté à la crise de 2008. Toutefois, un grand patron à petites lunettes sans montures décida de faire les choses différemment.
« Le CEO de BMW de l’époque, Norbert Reithofer, était d’une certaine façon très visionnaire, se souvient Benoît Jacob. Il pensait au devenir de l’entreprise à long terme, pas seulement à faire des coups d’opportunité. Il était un peu à l’image de Louis Schweizer chez Renault, quand il a eu l’idée de racheter Dacia ».
Petite incise de notre part : Benoît Jacob a bien connu le patron du Losange. Il a participé à l’une des époques les plus fertiles du design Renault, sous la houlette de Patrick Le Quément. Il a notamment enfanté le Spider, la Laguna 2 puis la Dacia Logan. Trois projets punks, chacun à leur manière…
Il a ensuite rejoint le design avancé de Volkswagen, puis le groupe BMW pour y passer près d’une décennie. On l’a ensuite retrouvé chez Byton – avec d’autres responsables de « i » — puis NIO. Il est depuis septembre le directeur exécutif du design de GAC.
Plus de précisions sur le parcours de Benoît Jacob dans une interview grand format chez nos confrères de LIGNES/auto.
L’idée novatrice de Norbert Reithofer, le patron de BMW ? « i ». Cette marque dans la marque devait signifier la bascule de l’Hélice vers les nouvelles énergies, misant à la fois sur l’électrique, l’hybride rechargeable ou l’hydrogène.
Le premier modèle commercialisé devait être un VE de moins de 4 mètres, d’abord nommé Megacity Vehicule (MCV). Elle était la future i3. Le second — qui vînt plus tard — fut celui d’une supercar hybride rechargeable : la future i8. La marque fit fuiter quelques crayonnés de sa citadine à l’été 2010. Cet engin inhabituel devait signaler l’ambition de BMW au monde entier.
« BMW à une culture d’ingénierie, de technologie, poursuit Benoît Jacob, alors patron du design de BMW i. Les gars se sont lâchés. Ils se sont dits : « on va aller à fond dans la démarche ». C’est comme cela qu’ont émergé la carrosserie thermoplastique ou la structure en carbone comme solutions techniques ».
Replaçons-nous d’ailleurs dans le contexte technique. Les batteries nickel-manganèse-cobalt (NMC) proposaient alors une densité énergétique d’environ 100 Wh par kg, contre le double aujourd’hui. De plus, le kWh d’accumulateur lithium-ion coûtait six à huit fois son prix actuel.
À Munich, on opta donc pour une batterie petit format (22 kWh bruts / 18 kWh nets à l’origine), placée sous le plancher. Pour assurer une autonomie suffisante, il fallait obtenir une bonne efficience. On opta ainsi pour de petites roues de 155 mm de large, limitant les frottements.
À lire aussiBMW i3 d’occasion – Prix, versions, fiabilité : tout ce qu’il faut savoir avant d’acheterBenoît Jacob explique : « Par la nature même du brief, nos choix design devaient être différents. Finalement, pourquoi une i3 ressemble-t-elle à cela ? C’est une voiture qui est très graphique dans son apparence, qui n’est pas la bella macchina, à l’italienne. C’était même plutôt le contraire. Ce choix n’était pas par préférence ou affinité stylistique ou esthétique sur ce genre de caractère, mais plutôt parce que c’était imposé par la technologie ».
Et l’on se livra surtout à une chasse impitoyable aux kilogrammes. Benoît Jacob raconte : « L’une des questions obsédantes était le poids, le poids, le poids… il fallait absolument activer ce levier pour garantir l’autonomie », rembobine le designer. Sans range extender, l’i3 60 Ah d’origine culmina d’ailleurs à 1 195 kg malgré le deux quintaux et demi des piles. Soit 200 kg de moins qu’une Nissan Leaf contemporaine.
Pour gratter des kilos, on fit aussi des paris sur les matériaux. La fibre de carbone était jusqu’alors cantonnée à la compétition ou à quelques supercars vendues à petite échelle. Les Jaguar XJR-15 et McLaren F1 avaient ouvert le bal dans la première moitié des années 1990.
La fibre de carbone fut adoptée par la BMW i3 pour sa structure de base, appelée « Life Cell » par les blouses blanches de Munich. En plus du gain de poids, la fibre de carbone autorisait une rigidité supérieure, permettant de se passer de montant central et ouvrant la possibilité d’offrir des portes antagonistes.
Elles permettaient de pénétrer dans un habitacle XXL habillé de bois d’eucalyptus et de matières recyclés, débarrassé d’une console centrale ou d’un tunnel de servitude. Les sièges ultralégers étaient fournis par BASF. Les passagers étaient assis au-dessus d’une batterie placée sur un châssis « skateboard » largement composé d’aluminium. Tradition BMW oblige, la machine synchrone à aimants permanents transmettait son couple aux roues arrière.
Une autre matière clé fut utilisé pour les éléments de carrosserie de la BMW i3 : « La peau en thermoplastique impose par exemple de travailler des coefficients de dilatation. Je crois qu’ils sont de 5 à 6 millimètres par mètre alors que c’est 1 millimètre pour l’acier en conditions extrêmes. Tu ne gères donc pas les jeux et la qualité de la même façon que si tu faisais une carrosserie classique. C’est pour ça que la voiture a des contrastes entre le noir ou les couleurs de caisse. Il s’agissait justement de « piéger » ce genre de choses ». `
Une citadine électrique chez BMW ? En interne, tout le monde ne souscrivait pas… « La boîte était presque divisée en deux, se souvient Benoît Jacob. Pour certains, c’était génial, pour d’autres, cela n’était pas béhème. Il a fallu faire pas mal de communication. J’avais fait réaliser un modèle en dur, donc quasiment un vrai proto. On pouvait s’asseoir dedans, on pouvait rouler avec. Pour ce genre de modèle, on parle tout de suite d’un million d’euros. Je peux te dire que c’est l’un des modèles qui a été le mieux amorti de l’histoire ».
Car cette maquette à l’échelle 1 capable de rouler sur piste discrète fut décisive, selon Benoît Jacob : « En général, le design, c’est secret. Là, j’avais adopté une stratégie un peu différente. Personne ne fait une voiture tout seul. Il fallait présenter, expliquer. On a présenté les maquettes à mille ou deux mille personnes dans la boite alors que la voiture était sous embargo. Je voulais ouvrir les portes du design pour susciter l’adhésion, le buy-in de gens qui étaient nécessaires à son développement ou à sa commercialisation ».
Un premier concept car fut présenté au public dans un pavillon du salon de Francfort 2011. Il annonçait assez directement la silhouette étroite, la carrosserie thermoplastique, les portes antagonistes ou les grandes surfaces vitrées. La BMW i3 Concept cherchait à « relever les défis futurs de la mobilité en ville et devenir le premier véhicule électrique premium » comme l’indiquait alors le communiqué de la marque.
L’assemblage de l’i3 définitive fut confié à la très moderne usine de Leipzig. Elle avait été inaugurée en 2005, alors que le Monsieur Fabrication chez BMW était le même Norbert Reithofer. En prévision du lancement du nouveau modèle, on dressa quatre éoliennes de 190 mètres sur le site, fournissant un quart de l’enveloppe d’électricité. Leipzig devait servir de laboratoire à de nouvelles manières de de fabriquer une voiture :
« Ce n’était pas du wishful thinking ou des délires de designer, poursuit le patron du design de BMW i. L’une des grosses motivations du projet était de réduire l’impact à l’usage, mais aussi à la fabrication. Dans un processus classique, il faut emboutir, souder, peindre, passer la carrosserie dans des bains de cataphorèse, qui sont chauds ou froids… C’est une énergie de dingue ».
Les esprits chagrins pourraient rétorquer que la confection de la trame en carbone aux États-Unis puis la fabrication des pièces en Allemagne n’était pas franchement économe… À l’époque, BMW revendiqua tout de même une réduction de 70 % du volume d’eau et de 50 % de l’énergie nécessaire pour fabriquer l’i3 par rapport aux techniques conventionnelles.
20 h 30 à Pékin, 13 h 30 à Londres, 08 h 30 à New York. Le 29 juillet 2013, fut le « jour i » ; l’Hélice dévoila son nouveau produit en simultané dans trois mégalopoles. En Chine, c’est le Dr. Friedrich Eichiner, monsieur finance de BMW, qui tenait le micro. Au Royaume-Uni, Benoît Jacob présentait la nouveauté avec un certain Herbert Diess, alors patron du développement chez BMW. À New York, les acteurs Sienna Miller et James Franco prenaient la pose devant l’i3 tandis que le grand patron de BMW, Norbert Reithoffer, prophétisait :
« Mesdames et messieurs, la voiture existe depuis près de 130 ans. Ce jour marque une transformation dans le futur de la mobilité. BMW est fier de mener ce changement. La BMW i3 inaugure une nouvelle ère. L’ère d’une vraie mobilité durable ».
Belles paroles. La presse se montra intriguée. « Électrique ? Oui. BMW ? Oui » écrivit le magazine américain Car&Driver après son premier galop d’essai. L’article vantait le ratio entre l’espace intérieur et l’encombrement extérieur ou les performances réelles de l’engin. En France, Joël Pape de l’Automobile Magazine s’amusait au volant d’une i3 : « Agile, équilibrée, elle est convaincante, aidée par une direction directe et consistante ». Il déplorait en revanche une autonomie limitée… Pendant ce temps, Der Spiegel s’inquiétait de : « la stratégie risquée de Norbert Reithofer ».
À lire aussiRétro – BMW E1 : la citadine électrique qu’on aimerait revoirRestaient des soucis plus prosaïques. La BMW i3 fut proposée à son lancement à partir de 27 990 euros en France en prenant en compte le bonus de 7 000 euros (donc 34 990 euros hors bonus). Ou 470 euros/mois sans apport. Pour ce prix, les batteries étaient inclues contrairement à l’usage de l’époque.
Des tarifs jugés hors-sol en 2013, même si Automobile Propre prenait alors le contre-pied du consensus. Ces prix ne semblent plus si délirants dans le contexte actuel de disparition des entrées de gamme, même en prenant en compte l’inflation.
Finalement, ce furent 250 000 exemplaires de la BMW i3 qui furent produits en neuf ans de production.
Ce modèle portait aussi une promesse. Celle que l’électrique nous porterait à conduire des véhicules différents, en termes deesthétique ou d’aménagement intérieur. Pourquoi sommes-nous retournés vers des formes plus classiques ?
« Le contexte était différent, tranche Benoît Jacob.
Tu aurais affaire à une clientèle d’early adopters. Ils sont un peu des pionniers et veulent d’une certaine façon le manifester. Les premières Tesla ont été vendues avec des soucis de qualité, mais à la limite, ça ne compte pas tant que ça pour le client tant qu’il fait partie d’une aventure. Là, les clients sont peut-être prêts à tolérer des choses différentes. Aujourd’hui, on fait plus du mainstream. Mais est-on obligés de challenger les gens plus que de raison ? »
Peut-être. Mais ça valait le coup d’en parler.
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