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Chaque année, l’ADAC E-Competition permet à des passionnés de s’affronter durant 24 heures au volant d’une voiture électrique. Nous avons pris le départ de la dernière édition avec des Alfa Romeo Junior Elettrica.
Le monde change. L’automobile change. Et les sports mécaniques aussi. Avec l’arrivée massive des technologies électriques, des compétitions d’un nouveau genre, ou presque, voient le jour ci et là. Bien sûr, les différents Eco-Rallye et autre Eco-marathon Shell n’ont rien de nouveau. Mais à la très officielle et sérieuse Formula E s’ajoutent désormais des courses d’endurance. C’est le cas de l’Audi e-Tron Endurance, présentée comme la première course d’endurance (3 heures seulement). Mais c’est aussi le cas de la tout aussi confidentielle, en tout cas chez nous, de l’ADAC e-Competition. Lancée en 2022, cette course d’endurance met à l’épreuve pilotes amateurs, montures et stratégies sur deux tours d’horloge, dans des conditions généralement très défavorables. Nous avons emmené deux Alfa Romeo Junior de 156 ch sur le mythique tracé GP d’Hockenheim en Allemagne.
Mais la tâche n’a pas été facile pour trouver directement la meilleure stratégie pour notre équipage uniquement composé de journalistes qui découvraient, tous pour la première fois, le circuit allemand, l’endurance en voiture électrique, et la course au milieu d’une meute de 30 autres voitures au style de conduite variable. Surtout, le règlement défini par l’organisation avait de quoi donner du piment : hormis le premier et dernier relais (quatre heures max.), un conducteur ne pouvait pas conduire plus de deux heures consécutives, temps de pointage compris, et deux voitures devaient se partager une seule borne en courant continu, bridée à… 19 kW ! Voilà qui a donné des migraines à nos équipes, dénuées de projections sur la consommation du véhicule dans ces conditions ou sur le taux de charge récupéré avec ces bornes. Surtout que si le programme permettait aux équipages d’effectuer des tests pendant une heure avant le départ, nous devions aussi penser à faire le plein des voitures pour partir avec le maximum de charge disponible dans la batterie. C’est donc la fleur au fusil, avec des bribes de stratégie, que nous nous sommes installés sur la grille.
Dès le départ, la décision est prise de provoquer l’écart avec l’autre Alfa Romeo Junior, mené par une équipe de champions FIA en éco-rallye. Le Junior n° 21, avec votre serviteur à bord, devra rentrer plus tôt au stand pour repartir avec suffisamment de charge pour un second relais de deux heures, avant de laisser la place au n° 22 qui, lui, rentrera plus tard avec une batterie quasiment vide. Ça sera la seule feuille de route à suivre pour ce début de course, où tout est à apprendre. Comme le fait de ne pas doubler de concurrents dans le premier tour. On reviendra sur l’importance de cette précision. Ou d’appréhender le tracé, finalement bien moins plat qu’à la télévision ou sur les jeux vidéos, et sans se laisser distraire par la nostalgie des batailles équipes aux grandes heures de la Formule 1 hurlante.
À lire aussiAudi e-tron Endurance Experience : patience est mère de vertuDès lors, je tente donc le tout pour le tout en essayant de me frayer un chemin au milieu de tous les autres concurrents, certains roulant très lentement, d’autres déboulant beaucoup plus rapidement dans les rétroviseurs. Difficile dans ces conditions de trouver la bonne trajectoire, puisque la plupart des pilotes ont décidé d’élargir au maximum la leur. Car tout le monde a le même but ici : perdre le moins de vitesse possible pour ne pas impacter la consommation, quitte à faire un peu plus de distance. Voilà qui prouve encore une fois de l’intérêt assez relatif du freinage régénératif sur les phases d’éco-conduite. Pire encore. Si le « nouveau » tracé (inauguré en 2002, tout de même) offre une piste très large dans la partie nord, là où nous avons décidé de gagner du temps, l’étau se resserre drastiquement au virage n° 8, à l’entrée du Stadium. De quoi donner des sueurs froides dans un trafic disparate, tant en termes de vitesse, que de style de pilotage ou de comportement dynamique des voitures présentes.
C’est là qu’arrive LE dilemme qui tournera en boucle dans nos têtes pendant 24 heures : qui de la conso’ ou du chrono’ doit être sacrifié ? Bien sûr, l’idéal serait d’être un lièvre avec l’endurance d’une tortue. Mais cela n’existe pas. Sachant que la voiture devra rentrer au stand prématurément et forcément repartir avec plus de charge qu’il n’en faut sans pénaliser la seconde auto, je décide donc de rejoindre le peloton de tête en tirant parti des qualités du Junior. Maniable, compact et léger (1 545 kg) il permet de se faufiler comme peu d’autres concurrentes dans les virages serrés du circuit. Difficile de se défaire dans le Hairpin, mais cela devient un jeu d’enfant dans Sachs et tous les autres virages jusqu’à la Parabolika. S’il y a du temps à gagner, C’est maintenant. Le rythme augmente et la consommation ne semble pas excessive. Mais voilà que le talkie-walkie se réveille avec au bout de la ligne un Allemand qui avait beaucoup de choses à me dire. Deux minutes plus tard, les confrères m’appellent : « tu as 8 minutes de pénalité à cause du dépassement, mais vous êtes plusieurs dans ce cas ». Mon erreur ? Avoir doublé comme les autres un Kia EV3 resté planté sur place au feu vert. Je marque l’arrêt et repart de plus belle, mais la barre des 50 % de charge restante est là.
Une fois dans les stands animés par des habitués de l’épreuve au regard de la logistique déployée, l’heure est au premier bilan avec l’ensemble de l’équipe. D’une part, il sera inutile de dépasser les 100 km/h puisque l’accélération, certes sobre avec le Junior léger et peu puissant, et surtout de la résistance aérodynamique avec une température de 0 °C, auront un impact trop significatif sur la consommation. Il faudra donc s’en tenir à 90 km/h maximum, les excès n’étant à réserver que pour de détacher de la meute. Surtout, il faudra rouler vraiment très fort pour tenter de prendre de l’avance sur les autres concurrents affichant, pour l’écrasante majorité, nous y compris, un chrono compris entre 3’20 » et 3’30’’. Et il ne faudra pas se laisser influencer par les temps exceptionnels des autres concurrents, d’ailleurs la seule donnée visible pour tenter de deviner leur stratégie.
En revanche, en raison du trafic et de la nuit tombant sur un circuit plongé dans le noir, la consommation est nettement plus difficile à estimer. Dans le meilleur des cas, il serait possible d’atteindre près de 17,5 kWh/100 km de moyenne, à condition de sérieusement sacrifier le chrono. À l’inverse, il faudra tabler sur près de 19,5 kWh/100 km en jouant contre-la-montre. Après concertation, on décide donc de faire tous nos petits calculs, bien aidé par notre base de données, en prenant en compte une consommation moyenne de 18,5 kWh/100 km, sur un tour de 4,51 km avec la plus large et efficiente des trajectoires selon notre balise GPS.
À lire aussiCupra : comment la Formule E devient un laboratoire pour la routeReste un problème de taille à résoudre : comment estimer le bon ratio vitesse/consommation sans connaître à l’avance le nombre de tours qu’on aura à effectuer ? La seule solution, certes discutable, est de rapporter le pourcentage consommé par tour de piste, puis par heure, afin de mieux pouvoir trouver le bon compromis avec la recharge qui, elle, ne permet pas de gagner plus 6 % de charge toutes les 10 minutes. L’expression d’une consommation en %/tour ou en %/heure aura donc été plus utile que de regarder le compteur habituel. À grand renfort de règle de trois, la formule semble trouvée. Selon cette dernière, passer d’une consommation de 18 à 19 kWh/100 km sur une heure de conduite ferait perdre cinq minutes à la recharge, soit presque deux tours de piste.
Aussi, ces projections permettent alors de raccourcir les temps de ravitaillement et de ne pas attendre inutilement le retour de la prochaine voiture, quitte à parfois frôler l’embouteillage. Sur quelques relais, la voiture n° 22 quittait tout juste le stand que l’autre s’engageait dans la voie, limitée à 20 km/h. Au cœur de la nuit, on arrive par trouver notre rythme, en essayant du mieux que possible de vaincre la fatigue, la baisse de concentration et l’obscurité. Car si l’éclairage matriciel du SUV italien peut aider à voir loin, certaines ondulations cachent une partie des trajectoires. Surtout, à chaque début de relais, les rétines ont besoin de quelques tours pour s’adapter au changement de luminosité. On prendra finalement la décision d’éteindre les lumières de notre box pour éviter cet écueil.
Si d’aucuns diront que les innombrables calculs n’assurent pas nécessairement une victoire, les mathématiques peuvent servir à faire des projections assez proches de la réalité. Preuve en est sur notre dernier relai où Andy a pu boucler la course conformément aux prédictions. Si nous sommes fidèles aux méthodes traditionnelles, quels que soient les besoins, l’intelligence artificielle peut toutefois faciliter la tâche. C’est ce que les équipes d’Alfa Romeo ont voulu expérimenter, d’abord avec les données acquises en région parisienne avec les Lancia Ypsilon prévues, ensuite avec les Alfa Romeo Junior. Et le prompt n’a rien de compliqué : « si je roule à 80 km/h de moyenne à 18,5 kWh/100 km, avec la recharge à 19 kW pour une batterie de 51 kWh, combien de km vais-je faire en 24 heures ? » Après tout un tas de calculs en prenant en compte les renseignements, le système prédit un total de 1 079 km, soit 239 tours du tracé GP d’Hockenheim. En lui soumettant les chiffres réels de notre monture à l’issue de l’évènement, ChatGPT indique alors un total de 1 013 km, soit 224 tours. L’intelligence artificielle pose les premières pierres d’une stratégie, mais reste assez éloignée de la réalité. Bref, elle ne fera pas plus gagner de course qu’une calculatrice traditionnelle.
Mais aussi modeste et silencieuse soit elle, une course reste une course. Et toutes les projections peuvent aussi voler en éclat rapidement. C’est le cas au petit matin, lorsque des chutes de neige se sont intensifiées pour condamner définitivement les trajectoires. Le moindre hors piste se traduirait dans ces conditions, et dans le meilleur des cas, par une perte de temps et une surconsommation excessive. Heureusement, les écarts qui se sont creusés dans la nuit et les différents ravitaillements ont permis de débarrasser le tracé de nombreux participants. Mais cela n’a pas facilité la tâche de mes confrères, arrivés au circuit au petit matin, et qui ont tout de même réussi à préserver la consommation générale sans sacrifier le chrono’ !
En fin de matinée, soit près de 6 heures avant la fin de la course, nous avons dû revoir les plans. Et ce afin de permettre aux deux voitures de repartir en piste le plus tôt possible et avec suffisamment d’autonomie pour terminer la course sur des poussières d’électron. Quand l’autre équipage semble trouver leur stratégie, nous élaborons la nôtre avec mon confrère Andy David, essayeur sur Automobile Propre. Car c’est à lui que reviendra la mission de passer la ligne d’arrivée et de tenter, si possible, de rattraper la Ora Funky Cat en deuxième position de notre catégorie.
Et nous voilà alors de retour à la case départ : est-il préférable de perdre un peu de temps à la recharge pour avoir suffisamment de charge disponible pour augmenter le rythme, ou vaut-il mieux se débrancher le plus rapidement possible et jouer la carte de la conso’ ? Au regard de l’écart qui nous sépare de la Funky Cat, et du peu de temps restant pour la dépasser, la deuxième place est hors de portée. Pendant qu’Andy se prépare, on réalise donc les ultimes prédictions, tour par tour, avec trois niveaux de consommation différents. « Tu ne me communiques que les informations essentielles sur le taux de charge à avoir » me scande Andy concentré, et que je guiderais depuis les stands. Rapide, mais pas furieux, il parvient toutefois à grappiller un tour à la Ora Funky Cat à l’agonie, tout en se maintenant à la limite de consommation prévue. Mais le sort est scellé : « on ne rattrapera jamais le retard. Garde le rythme et tu finiras normalement avec 3 % de charge ». Car l’autre enjeu est celui de pouvoir rentrer au stand pour ne pas être disqualifié.
Au terme de ces 24 heures qui réquisitionnent autant de matière de grise que de compétences en matière d’éco-conduite et de pilotage, les deux Alfa Romeo Junior engagés en dernière minute ont réussi à se hisser sur les marches du podium. La n° 22, menée par des spécialistes, a pu effectuer un total de 251 tours selon le classement officiel. Ou plutôt 252 tours officieusement, puisque l’équipage a pris la décision de sacrifier un tour afin de pouvoir passer la ligne d’arrivée au côté du Junior n° 21. Voilà qui risque de faire naître, à vous comme à nous, le souvenir des Ford GT40 aux 24 Heures du Mans en 1966.
De notre côté, journalistes, nous avons terminé la course avec un total de 244 tours, pour une distance totale de 1 104 km à 75 km/h de moyenne et avec une consommation finale de 18,6 kWh/100 km. Notre équipage a donc terminé à trois tours seulement de la Ora Funky Cat en deuxième position. Ce qui, en prenant en compte le temps moyen au tour, équivaut… au stop-and-go écopé au départ et à cet excédent de 3 % à la fin ! Autrement dit, les deux Junior auraient pu terminer sur les deux premières places de la catégorie des moins de 73 kWh ! Mais avec des « si », on mettrait le Hockenheimring en bouteille.
En tout état de cause, cela prouve une nouvelle fois le bon niveau d’efficience de cette nouvelle chaîne de traction, notamment composée d’une machine électrique M3 développée par eMotors. Un rapide tri dans notre base de données des Supertest suffit d’ailleurs à montrer que ce sont bien les électriques du groupe Stellantis (Peugeot e-208 et e-308, Jeep Avenger) les plus efficientes parmi les voitures dotées d’une batterie de 49 à 73 kWh de capacité nette. Bilan qui se confirme aussi au classement général avec l’Alfa Romeo Junior n° 22 (18,5 kWh/100 km, 82 km/h de moyenne), qui a passé la ligne d’arrivée officiellement à 12 tours du vainqueur. Ce qui équivaut à un delta de 10 kWh, soit moins que la différence de capacité de la batterie avec la Tesla Model 3 Grande Autonomie victorieuse (263 tours).
Si notre première expérience en « course d’endurance » a été discutable avec les Audi e-Tron Experience, cette épreuve allemande change radicalement de registre. Dans des conditions bien plus extrêmes et nettement moins maîtrisées, au milieu d’une horde de conducteurs aux niveaux disparates, et avec la contrainte d’une chargeur à la puissance limitée et à partager, elle impose une gestion optimale de l’énergie pour pouvoir faire bonne figure au classement général. Le tout sur une durée de 24 heures, ce qui n’est pas sans mettre la concentration à rude épreuve. On y reviendra !
Arrivée par la route la veille et avec une ultime recharge rapide à l’arrivée en profitant de la batterie chaude, les deux Alfa Romeo Junior ont pris le chemin du circuit le lendemain matin. Peu sollicités le matin, les deux SUV ont en revanche commencé leur très long périple en début d’après avec les premiers tours de reconnaissance et d’essai. Surtout, ils ont directement repris la route vers Paris une fois passés sous le drapeau à damier. Soit une durée de fonctionnement de près de 36 heures pour les deux SUV italiens. Certes, les rythmes imposés et les recharges à 19 kW ont permis de les faire souffler. Mais l’endurance est à noter dans ces conditions rarement atteignables dans la vie normale, où les deux SUV n’ont rencontré aucun problème mécanique ou de recharge. À noter que trois ravitaillements étaient nécessaires pour parcourir les 600 km qui séparent Paris du circuit d’Hockenheim. Dans les deux sens, la consommation moyenne s’est stabilisée à 21,2 kWh/100 km, soit près de 240 km d’autonomie totale théorique.
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