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Quelle place pour l’hydrogène dans la mobilité de demain ? Stations, énergie, véhicules… Avec Pierre-Etienne Franc, directeur marchés et technologies avancés du groupe Air Liquide, Automobile-Propre revient sur le développement et les principaux enjeux de la filière.
Doit-on opposer la voiture électrique à batteries et l’hydrogène ? Non selon Pierre Etienne-France. « Nous sommes dans une logique de complémentarité. Sur des voitures qui ont des cycles de fonctionnement urbains quotidiens, la batterie est une bonne solution. Quant vous êtes sur de la longue distance, des gros porteurs, des bus ou des grosses berlines, vous avez cette problématique d’autonomie qui fera que l’hydrogène sera une solution. ». Le train fait aussi partie des modes de transport où l’hydrogène pourrait s’adapter. « Si vous voulez sortir d’une infrastructure rail au diesel, qui représente encore la moitié du réseau ferré européen, et que vous n’avez pas d’électrification du parcours, c’est plus simple de passer à l’hydrogène » ajoute notre interviewé.
« Il n’y a pas vraiment de conflit mais plutôt une complémentarité avec un mix de solutions et des dynamiques de développement décalées dans le temps. Pour la batterie, c’est facile de démarrer. Mais quand l’infrastructure sera plus importante, on risque d’avoir des problèmes avec des enjeux sur toute la chaîne électrique. Pour l’hydrogène, il faut d’abord mettre l’infrastructure. C’est plus compliqué et plus coûteux au début où il faut passer cette ‘vallée de la mort’ où on prend des risques à mettre des stations. Il faut qu’elles se chargent et cela prend du temps. Mais ces stations sont rentables lorsqu’elles sont chargées ce qui est un gros bénéfice par rapport aux batteries où le business model de la charge n’est pas simple ».
Justement… quid de la rentabilité d’une station de ravitaillement en hydrogène ? Avec un coût estimé à un million d’euros, un parc de véhicules encore anecdotique et des politiques publiques pas toujours favorables à la mobilité hydrogène, difficile de convaincre les opérateurs à franchir le pas et à investir massivement.
Selon Pierre-Etienne Franc, une station doit être chargée entre 60 et 70 % pour être rentable. « Il faut qu’il y ait une trentaine de voitures qui y passent par jour. Cela signifie 300 à 400 véhicules en circulation sur la zone de chalandise » complète notre interlocuteur. D’où l’intérêt de se concentrer sur des flottes captives avec un fort taux d’utilisation. « Dans un certains nombre de pays, les flottes captives vont permettre d’amorcer la pompe… Si vous êtes sur des modèles de flottes captives comme les taxis avec la société STEP à Paris. Là vous avez des voitures qui tournent presque 20 h sur 24h. Avec une flotte de 50 taxis, vous avez chargé et rentabilisé votre stations » précise notre interlocuteur.
Autre dynamique qui favorise la création de stations : la mise en place de consortiums d’acteurs pour cofinancer l’infrastructure. Il s’agit ni plus ni moins que de partager les risques liés à l’installation d’une station dans des secteurs où les véhicules hydrogène ne sont pas encore suffisamment présent.
« Il y en a un en Allemagne avec six acteurs (Linde, Shell, Daimler, Air Liquide, Total, OMV). Au Japon, nous avons la même dynamique qui se crée avec une centaine de stations déjà opérationnelles au Japon. En Californie, vous avez aussi une dynamique semblable. Nous avons lancé une station il y a quelques mois à Anaheim, à proximité de Los Angeles. Elle est déjà à 30 % de charge. La dynamique arrive mais elle est simplement en décalage car on doit construire l’infrastructure d’abord ».
Quant à la problématique du transport de l’hydrogène de son site de production à la station, aujourd’hui principalement réalisé par camion avec un impact carbone supplémentaire, des solutions alternatives sont déjà en places dans certains pays : réseau de distribution dédié ou électrolyseur directement intégré à la station. A terme, des solutions de remplissage à domicile pourraient même être envisagées.
« Le problème français c’est qu’il faut qu’il y ait un constructeur » lâche Pierre-Etienne Franc. « Quand vous êtes dans un pays où vous avez des constructeurs nationaux et qu’ils ne prennent pas la technologie c’est plus difficile pour les autorités de mettre en place tout un schéma de déploiement ».
« La France a tout de même fait des choses » nuance notre interlocuteur. « Il y a des développements de flottes comme les taxis mais aussi des utilitaires avec une technologie fuel-cell en complément de l’autonomie sur batterie des Kangoo électriques (Symbio FCell ndlr). Mais ce n’est aujourd’hui pas suffisant. Je pense qu’il faut que PSA ou Renault décident d’y aller. Ils finiront très probablement par le faire. Peut-être que le rapprochement PSA-Opel donnera quelque chose puisqu’Opel avait une très belle compétence sur les piles à combustible dans le passé. Quant à Renault, on sait très bien qu’il possède la technologie puisque Nissan la maîtrise très bien au Japon. C’est une question de décision stratégique de ces acteurs mais nous ne sommes pas à leur place pour décider ».
Si la voiture à hydrogène revête les mêmes atouts écologiques que la voiture électrique à batterie, avec zéro émissions à l’usage, on ne peut pas parler d’hydrogène sans évoquer la question de sa production.
95 % ! C’est aujourd’hui la part d’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles. « Quand il est fabriqué à base de gaz naturel (son principal mode de production ndlr), il apporte une économie de CO2 de 20 à 30 % par rapport au diesel. Ceci dit, cela ne suffit pas ! » souligne notre interlocuteur.
Séquestration de CO2, production à partir de biogaz… si plusieurs solutions existent déjà pour parvenir à produire l’indispensable hydrogène vert, c’est l’électrolyse qui sera amenée à monter en puissance au cours des prochaines années. « Les rendements sont moins bons que ceux que l’on obtient en cassant une molécule de gaz naturel (60 % VS 80 % ndlr). Mais quand vous êtes en train de récupérer de l’énergie qui est disponible sur le réseau et dont il n’a pas besoin, vous avez un moyen de stockage pérenne ».
Et c’est grâce aux énergies renouvelables que cet hydrogène vert devrait monter en puissance dans les années à venir. « Comme on va monter la part du renouvelable, on va monter naturellement la part d’énergie électrique. Tout le problème est de transférer cette énergie primaire vers tous les usages avals » résume Pierre-Etienne Franc. En Allemagne, les études estiment qu’il faudra gérer environ 30 TWh d’énergie renouvelable excédentaire en 2020, soit environ 5 % de la consommation énergétique allemande. S’il était possible de convertir l’ensemble de cet énergie en hydrogène, il y aurait suffisamment d’hydrogène pour alimenter jusqu’à 4 millions de véhicules, soit 10 % du parc automobile allemand. Quant à la France, les besoins de stockage seraient de 20 à 30 TWh d’ici à 2030.
Pour Air Liquide, l’objectif du groupe est de parvenir à 50 % d’hydrogène « décarboné » d’ici à 2020. « L’objectif à terme s’est de parvenir à 100 % mais on essai de faire les choses par étape. Il faut l’infrastructure, les voitures et des coûts accessibles au consommateur » précise notre interlocuteur. Car produire de l’hydrogène « vert » est aujourd’hui plus coûteux. A la pompe, cela se traduit par un surcoût de l’ordre de 30 %. Comptez 10 €/kilo pour de l’hydrogène fossile et 13 €/kilo pour sa version renouvelable. Sachant qu’il faut environ un kilo d’hydrogène pour parcourir 100 kilomètres, on parvient à des coûts comparables à un véhicule thermique.
Intégré à l’Hydrogen Council aux côtés d’autres acteurs de la filière, Air Liquide a également lancé une action spécifique sur les réseaux sociaux à travers l’initiative CH2ANGE lancée sur Facebook.
« Les réseaux sociaux sont aujourd’hui des endroits ou tout se partage. Beaucoup de débats ont lieu et l’hydrogène n’était pas assez présent. Nous avons voulu pousser cette initiative en apportant des informations, des faits, une analyse qui est la notre sur la pertinence de ce modèle en complément des autres modèles existants » résume Pierre-Etienne Franc.
« On a poussé un certain nombre de petites vidéos qui sont pédagogiques et génèrent tout un tas de débats » poursuit notre interviewé. « Ce n’est pas surprenant. L’hydrogène comme la batterie a ses problèmes qu’il doit résoudre. Nous sommes dans un monde ou les challenges sont immenses. Si nous n’essayons pas d’avoir des logiques collaboratives qui agrègent différents solutions complémentaires nous n’y arriverons pas. On n’y arrivera pas avec la batterie seule et on n’y arrivera pas avec l’hydrogène seul. Il ne faut pas opposer les deux solutions mais trouver un moyen de les faire avancer en parallèle. CH2ANGE est là pour stimuler le débat et rendre visible ce média qui sera incontournable demain »
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir davantage sur la filière hydrogène, je vous invite à consulter l’ouvrage « Hydrogène : la transition énergétique en marche » dont notre interviewé et l’un des deux co-auteurs. Sans être trop technique ni trop partisan, le livre apporte un bon éclairage sur l’avenir et les enjeux de la filière.
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