La suite de votre contenu après cette annonce
Quelques heures avant son intervention à la conférence LeWeb Paris, Shai Agassi, le président et fondateur de Better Place, a accordé une interview exclusive à Automobile Propre.
Vous avez été nombreux à me soumettre vos questions pour cette interview, et j’aurais aimé les poser toutes ! Les conditions de circulation difficiles liées à la neige ont quelque peu écourté l’entretien, j’ai donc essayé de poser les questions qui reviennent le plus régulièrement dans les discussions sur Automobile Propre.
Voici la transcription de mon entretien avec Shai Agassi, que nous avons essayé de traduire de l’anglais aussi fidèlement que possible (merci à Laetitia & JP pour leur aide).
A.P. : Bonjour Mr Agassi. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les services que propose Better Place ?
S.A. : Nous sommes un fournisseur de service de mobilité, un peu comme les stations services. Les stations services vous vendent des kilomètres quand vous êtes sur la route et dès que vous en avez besoin. Elles sont au bout du système, elles mettent de l’essence dans votre voiture. Nous, nous sommes une entreprise qui met des kilomètres dans votre voiture électrique. Nous le faisons en vous envoyant l’électricité à la fois chez vous à la maison, au travail et en permettant un échange de batterie sur la route.
A.P. : Quel est votre business-model ?
S.A. : Nous achetons des batteries et de l’électricité, et nous vendons des kilomètres.
A.P. : Est-ce que vous pouvez nous donner une idée du coût par miles ?
S.A. : Le coût pour le consommateur sera le même que pour de l’essence. Nous enlevons le coût des batteries de la voiture électrique donc le coût de celle-ci est moins élevé qu’une voiture essence.
A.P. : Est-ce qu’il y a encore un intérêt à acheter sa voiture ?
S.A. : Beaucoup de personnes achètent la voiture, c’est comme pour une voiture essence. Vous achetez la voiture – si vous voulez vous pouvez faire un leasing ou la financer – c’est exactement la même chose, puis vous payez pour les kilomètres que vous faîtes.
A.P. : Et si les gens veulent rompre le contrat avec Better Place, que se passe t-il ?
S.A. : Vous rendez la batterie, et quelqu’un d’autre reprend le contrat.
A.P. : Et ils peuvent donc acheter une autre batterie ?
S.A. : Quelqu’un d’autre reprend le contrat. Vous savez, nous avons une file de gens qui attendent pour acheter une voiture, plus que nous n’en avons. Si quelqu’un résilie le contrat, nous trouverons quelqu’un qui reprendra la batterie.
En Israël, nous avons signé des accords pour à peu près 70 000 voitures. Israël vend 200 000 voitures / an, c’est donc presque un tiers des ventes du marché automobile en un an.
Attachée de presse : Pour les 200 000 voitures, s’agit-il de flottes d’entreprise ou de voitures de particuliers ?
S.A. : À peu près 50/50. Nous nous attendons à ce que la Fluence atteigne 20% du marché dans 3 ans. Renault en vend actuellement 1,5%. Nous espérons passer de 1,5% à 20% d’ici 3 ans.
A.P. : Où en est le partenariat avec Renault ? Qu’en est-il du projet SAVE en France ?
S.A. : Nous sommes une petite entreprise. Nous avons levé beaucoup d’argent mais nous sommes une petite entreprise ! Notre stratégie était de choisir un petit nombre de pays dans lesquels nous pouvions nous installer afin de prouver que notre solution fonctionne. Nous n’avons pas voulu faire 50 fois la même erreur, nous voulons la faire deux fois, apprendre, corriger, et poursuivre dans le prochain pays.
Comme vous avez pu le voir, durant cette première année nous avons choisi les pays dans lesquels nous avons pu mettre en œuvre nos tests. Nous avons choisi Israël, le Danemark et l’Australie. Nous avons fait cela en partenariat avec Renault. Ensuite, nous avons mis en place deux expérimentations : la première au Japon pour les taxis, une autre en Californie et Hawaï pour les taxis et les loueurs de voiture.
Ça c’est pour tester ces segments. Nous avons arrêté d’annoncer d’autres pays jusqu’à ce que nous réussissions à trouver le bon système. Revenez l’année prochaine et nous aurons des annonces à faire !
A.P. : Une fois que vous aurez la preuve que le concept fonctionne, quel sera le prochain marché pour vous ?
S.A. : L’Europe.
A.P. : Et la Chine ?
S.A. : La Chine a une situation très intéressante. Il y a beaucoup d’aides de l’Etat et nous avons besoin de trouver le bon partenaire en Chine pour y travailler. Vous ne pouvez y travailler en tant qu’entreprise étrangère, vous devez mettre en place des alliances. Dès que nous aurons cette alliance, nous travaillerons en Chine.
Nous avons un partenariat pour les voitures qui va être annoncé avec Chery, un constructeur local. Et nous travaillons avec d’autres fabricants automobiles avec lesquels nous sommes en discussion.
A.P. : Quelles sont vos attentes en termes de voitures électriques qui utiliseront vos services en 2012 ?
S.A. : En 2012 nous ouvrirons à peine le marché, et nous ne voulons pas mettre trop de voitures sur les routes. C’est plus une période de test étendu qu’autre chose. Nous allons lancer 5000 voitures en Israel, 5000 au Danemark et 3000 en Australie. Nous ne voulons pas être trop gros. Il y a 70 000 personnes qui attendent pour une voiture mais nous ne voulons pas lancer 70 000 voitures sur le marché, ce serait dingue. Nous ne voulons pas grandir trop vite.
C’est une période de test, et il ne s’agit pas seulement de tester les robots, mais aussi les call-center, l’assistance, les points de vente, … nous devons tester tout cela. Vous ne pouvez pas passer de 0 à des centaines de milliers de voitures d’un coup.
Pour l’instant nous en avons 5 000, après nous ferons 20 000, et puis nous étendrons.
A.P. : Nous avions beaucoup de questions sur la technologie …
S.A. : Elle fonctionne !
A.P. : Quand vous avez démarré le projet Better Place, est-ce que vous avez envisagé l’hydrogène ?
S.A. : Oui, avant d’envisager l’électrique. Mais ça ne fonctionne pas.
A.P. : Pourquoi ?
S.A. : Vous voulez connaître les raisons scientifiques ou économiques ?
A.P. : Les 2 !
S.A. : Les voitures hydrogènes sont des voitures électriques. Au lieu de stocker les électrons dans une batterie à l’aide d’une réaction chimique, vous le faites par le biais d’une réaction sub-atomique. On construit tout un système complexe pour obtenir à la fin des électrons, or nous avons déjà des machines sur la terre qui fabriquent ces électrons ! La preuve, nous avons de la lumière !
Si vous mettez un électron dans « le grid » à un endroit, il se déplace à un autre à la vitesse de la lumière, 500 000 kilomètres plus loin, avec une perte inférieure à 10%. Si vous faîtes cela avec des molécules, vous perdez 75%, et ça n’est pas à la vitesse de la lumière, mais à celle du camion.
Imaginez que vous deviez envoyer un email à quelqu’un. Vous l’imprimez, vous le mettez dans une enveloppe Fedex, vous l’envoyez par Fedex, la personne le réceptionne, le scanne, et le lit sur son iPad. Ça, c’est la voiture hydrogène.
Certaines personnes disent que nous ne savons pas comment transporter l’hydrogène et qu’on devrait le transporter comme le carburant, par exemple avec du methane qui est une molécule de carbone entourée de 3 ou 4 molécules d’hydrogène.
En fait c’est comme si vous preniez votre enveloppe Fedex, que vous la mettiez dans un coffre fort, que vous envoyiez le coffre fort, que vous ouvriez le coffre fort, que vous ouvriez l’enveloppe, que vous preniez le message, que vous le scanniez, et que vous le lisiez sur votre iPad.
Vous avez besoin de l’explication économique ?
A.P. : Oui !
S.A. : Vous pensez que c’est plus cher d’envoyer un email ou d’envoyer un fedex ? – rires –
Attachée de presse : pourquoi beaucoup de gens défendent l’hydrogène ?
S.A. : Il n’y a pas beaucoup de gens qui défendent l’hydrogène, ils essayent seulement de semer la confusion sur le marché pour que vous n’alliez pas vers l’électrique. La meilleure manière de semer la confusion sur le marché est de dire qu’on va soit aller vers l’électrique, soit vers l’hydrogène, qui sait ?
Si vous êtes un consommateur, que vous lisez les blogs, qui disent qu’on va aller soit vers l’électrique soit vers l’hydrogène, vous n’allez rien acheter, vous allez attendre. Mais pourquoi attendre ?
Prenez Carlos Goshn, ce gars est un génie. Il a mis 15% de son budget dans la construction de voitures électriques, tous les autres n’ont pas commencé en 2007. En 2008 et en 2009, personne n’avait d’argent. Maintenant ils sentent que ça arrive, et ils démarrent leurs programmes, avec des prototypes.
Pour passer d’un prototype à une vraie voiture, vous avez besoin de 4 ans. On le sait car nous travaillons avec Renault et que ça a pris 4 ans. Beaucoup d’entre eux se disent qu’il faut semer la confusion sur le marché pour les 4 prochaines années : « Je dois faire attendre tout le monde jusqu’en 2014 quand nous aurons nos propres voitures ».
Est-ce que vous pensez que les batteries vont évoluer de manière significative dans les prochaines années ?
S.A. : Si vous regardez les 35 dernières années, les batteries ont évolué d’environ 8% par an. 8% c’est pas mal. Pour mettre ça en perspective, une amélioration de 8% sur les 4 dernières années a permis de diviser par deux le poids de la batterie. Et elle coûte aussi deux fois moins cher.
Par exemple sur l’iPad, la batterie est incroyable n’est-ce pas ? (précision : je l’interrogeais avec mon iPad)
Nous voyons deux améliorations : nous avons plus de batteries pour le même prix et pour le même volume, et nous avons davantage de cycles de vie. La combinaison de ces deux facteurs donne un prix de la batterie au kilomètre deux fois moins cher qu’il ne l’était deux ans auparavant. Tous les deux ans, le coût de la batterie au kilomètre est divisé par deux. C’est génial quand vous achetez beaucoup de batteries !
A.P. : La batterie est la clé de votre business ! Si les prix baissent, vos marges augmentent, c’est bien ça ?
S.A. : Deux points importants. Le premier est que le coût de la batterie continue de baisser tous les deux ou trois ans, nous allons voir apparaître un nouveau monde d’investissement dans les batteries. L’essence continuera de grimper. Dans ce cas là, nous aurons plus de marge. Ce que nous allons faire c’est prendre une partie de cette marge et en faire bénéficier le consommateur quand il achètera la voiture.
A.P. : Bonne nouvelle pour le consommateur !
S.A. : Fantastique nouvelle pour le consommateur ! Vous avez une voiture ?
A.P. : Oui…
S.A. : Quand vous l’avez acheté vous avez reçu un chèque de Total ? Quand vous achèterez une voiture électrique, vous recevrez un chèque de Better Place.
A.P. : Comme le téléphone mobile ?
S.A. : Comme le téléphone mobile.
A.P. : Quel est votre avis sur la voiture hybride rechargeable ? Est-ce qu’on peut imaginer une Volt qui utiliserait vos services ?
S.A. : Ce qui explique qu’il y ait des voitures hybrides rechargeables, c’est que les gens se sont dit : « Construisons des voitures électriques, mais sans être certains qu’il y ait des infrastructures pour les recharger. Utilisons donc les infrastructures que nous avons déjà, les stations essences, pour prolonger l’autonomie des batteries. Mettons un générateur dedans et, dès lors que l’on voudra aller trop loin, le générateur se mettra en route et on pourra continuer à rouler. ». C’est une très bonne idée si on n’a pas d’infrastructures.
Le problème c’est que pour étendre l’autonomie, ça coûte 5 000 euros en plus. Pour comparer, nous sommes à 10% de ces coûts : il faut dépenser environ 500 euros par voiture pour permettre un échange de batterie. Ça ramène donc le prix de la voiture à environ 40 000 euros. Très peu de gens peuvent se permettre de mettre 40 000 euros dans une voiture.
C’est fantastique de voir que les volumes de batteries et de moteurs augmentent, c’est essentiel pour que l’industrie automobile bascule de l’essence vers l’électrique. C’est la première étape, et c’est bien. Mais nous devons passer au niveau supérieur.
On voit cette évolution un peu partout. Reprenons l’exemple de l’email que je vous ai donné. Les voitures électriques sont comme l’email ; vous envoyez l’énergie avec des électrons.
Il y a 20 ans on utilisait l’essence comme on envoyait des lettres. Je suppose que cette année vous avez envoyé très peu de lettres ? Il y a 50 ans – je ne sais pas quel âge vous avez – mais on envoyait déjà des lettres.
La première période hybride a été le fax. Vous scannez le message, vous envoyez les electrons, et vous récupérez du papier de l’autre côté. Vous utilisiez du papier des deux côtés.
Après il y a eu la période de l’hybride rechargeable. Ça s’appelait AOL ! Nous voulions envoyer les électrons, mais nous n’avions pas encore les infrastructures partout. Nous utilisions donc les infrastructures que nous avions : le téléphone. Nous avons mis un modem qui faisait un drôle de bruit pour faire croire au téléphone que nous étions entrain de parler ! La première et la deuxième période hybride ont été des périodes très courtes. Et tout le monde s’est dit : ça y est, c’est ça qu’il faut.
Finalement, tout le monde va aller vers l’électrique. Dès lors que vous roulez électrique, vous ne pouvez plus changer. C’est comme l’internet, il n’y a rien après.
A.P. : Est-ce que Better Place est vu comme un concurrent ou partenaire des fournisseurs d’électricité ?
S.A. : Nous utilisons et achetons beaucoup d’électricité. EDF serait très content car nous achetons beaucoup d’électricité.
A.P. : Vous ne produirez jamais l’électricité ?
S.A. : Nous ne produisons pas d’électricité, nous en achetons. Nous ne vendons pas des batteries, nous en achetons. Nous ne vendons pas des électrons, nous en achetons. Nous combinons les batteries et les électrons pour fabriquer des kilomètres, ce que EDF ne vend pas. Il vend des kilowatts-heure. Ça n’est pas le même produit, donc nous ne pouvons pas être concurrents. Nous sommes un fantastique client pour EDF, car EDF peut décider quand il nous fournit du courant, et quand il le coupe . Imaginez qu’un hôtel dise à EDF : « Vous n’avez plus de courant ? Eh bien ça ne fait rien, vous pouvez nous couper l’électricité ». EDF a besoin de clients comme nous, à qui il peut fournir du courant quand il le veut.
A.P. : Est-ce qu’il n’y a pas un risque qu’EDF devienne un opérateur ?
S.A. : Je ne sais pas comment est la loi ici, mais la plupart des grands services publics n’ont pas le droit de vendre autre chose que des KW/h. Ce serait vraiment difficile pour EDF de vendre autre chose, pas à cause de nous mais à cause du législateur.
A.P. : Quelle puissance sera nécessaire pour une station d’échange de batterie ?
S.A. : Les stations d’échange de batterie sont généralement connectées à des lignes de moyenne tension. Jusqu’à 700 KW. Uniquement lors de gros pics, on atteindra les 700 KW. La plupart du temps on est entre 50, 100 et 150 KW.
A.P. : Quel est le coût d’une station de charge ?
S.A. : Si vous regardez le réseau d’échange de batterie nécessaire pour un pays, ça coûte moins qu’une semaine d’essence pour ce pays. Israël utilise à peu près pour 25 millions de dollars par jour d’essence. L’ensemble du réseau vaut moins de 150 millions de dollars, c’est-à-dire moins de 6 jours d’essence. En Hollande, ça représente à peu près 40 stations, soit 50 millions d’euros, ce qui correspond à un jour d’essence. Si quelqu’un dit que c’est trop cher, la seule chose qui est réellement chère quand on roule c’est le carburant. Tout ce qui peut remplacer le carburant est moins cher.
A.P. : Une question à l’entrepreneur que vous êtes. Quel est le principal challenge auquel vous avez dû faire face ?
S.A. : Le scepticisme. Les gens ne vous croient pas quand vous dites que vous allez mettre fin à l’essence. C’est impossible. Les gens ne croient plus aux grandes choses. Si vous regardez il y a cent ans, nous pensions que nous pouvions tout faire. Il y a quarante ans encore, nous pensions que nous pouvions tout faire. Maintenant, on accepte que les choses restent telles qu’elles sont. De gros intérêts, de gros lobbys, vous ne pouvez pas aller contre l’intérêt économique. Si on vient et qu’on veut faire de grandes choses, la plupart des gens disent « ça ne marchera jamais ».
A.P. : Et une dernière question, quelle est votre voiture électrique préférée ?
S.A. : La Fluence. C’est une voiture magnifique. Elle se conduit super bien. La première fois que je l’ai conduite c’était à Copenhague, à l’occasion d’un essai. Si je pouvais, je la conduirais tout le temps !
La suite de votre contenu après cette annonce
Notre Newsletter
Faites le plein d'infos, pas d'essence !
S'inscrire gratuitement