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La Coréenne entend offrir des sensations de sportive thermique. C’est étrangement réussi.
Sommes-nous des cervelles placées dans des cuves ? En 1981, le philosophe et mathématicien américain Hilary Putnam (1926-2016) utilisait un curieux scénario pour mettre à l’épreuve les notions de langage et de la réalité. Dans cette expérience de pensée – plus tard popularisée par le film Matrix — un scientifique fou aurait extrait un cerveau d’une boîte crânienne, l’aurait fait baigner dans un liquide maintenant ses fonctions vitales et un ordinateur enverrait des signaux électriques pour reproduire des sensations ou idées réelles. Le cerveau serait ainsi persuadé de vivre dans le monde réel tout en étant manipulé.
L’un de ces ordinateurs pourrait être l’Hyundai Ioniq 5 N. Voici en effet une voiture électrique surpuissante (jusqu’à 650 ch) prétendant redéfinir la sportivité automobile à l’aide d’artifices comme le vrai-faux passage de rapports de boîtes de vitesse ou la simulation sonore d’un gros moteur thermique.
Mon cerveau est-il trompé ? En passant les rapports grâce aux palettes et en écoutant le son du moteur sur une petite route de Catalogne, la première réponse est oui. On se laisse en effet griser par les sensations offertes par cette curieuse voiture. On subit les à-coups de transmission en changeant de rapport, on ressent davantage les accélérations en écoutant le son de la mécanique. On s’amuse, on s’éclate, on fait feuler…
Or, la Ioniq 5 N est munie de deux machines synchrones à aimants permanents et non d’un V8 gargouillant ou d’une ligne d’échappement ouverte. Et la voiture est dotée d’un simple réducteur (contrairement à une Porsche Taycan, qui est dotée d’une boite de vitesse à deux rapports). En deux minutes au volant, j’ai oublié que tout ceci est une illusion.
À lire aussiVidéo – On est monté à bord de la Porsche Taycan Turbo GT de 1108 ch du record au Nürburgring !Celle-ci est presque parfaite. Les ingénieurs coréens et allemands ayant enfanté cette version vénère de la Ioniq 5 ont en effet pensé à (quasiment) tout. Jouez des palettes. Mettez-vous en « huitième » à 70 km/h et l’accélération sera molle comme sur un moteur thermique en sous-régime. Poussez trop loin dans les « tours » et un rupteur vous arrêtera sèchement. Levez le pied droit et les enceintes vous feront entendre des sons métalliques de gaz mal brûlés.
Maintenant, il existe des raisons de croire en l’existence du monde sensible et de ne pas se laisser aller à profiter seulement de cette prestidigitation. Ces raisons s’appellent virages et nous sommes en droit de ne pas douter du dépit que nous ressentirions en « tirant tout droit ».
En rentrant en courbe, le train avant offre une directivité inhabituelle pour un véhicule de ce format. C’est presque un peu trop marqué pour un usage routier si l’on n’est pas prévenu(e) auparavant. Le différentiel arrière piloté électroniquement aide la voiture à pivoter, offrant quasiment un caractère de propulsion en sortie. Les freins intérieurs vous aident aussi à tourner en mordant insensiblement. Cela n’est pas plus artificiel que sur une sportive thermique d’aujourd’hui… On est loin du sous-virage corrigé par ESP de nombre de SUV électriques en survet’ (Skoda Enyaq RS, c’est toi que je regarde).
Hyundai a pris soin de modifier la colonne de direction et de revoir la démultiplication. Le ressenti au volant est sans doute moins riche et précis que dans une Porsche Taycan, mais laisse loin derrière la très grande majorité de la production actuelle.
Le tout s’accompagne d’une progressivité fort agréable. L’amortissement piloté ne « visse » pas la voiture, mais laisse un semblant de roulis fort naturel, aidant le béotien à cerner les limites. La coque, rigidifiée par 42 points de soudure supplémentaires, ne se tord pas. Les pneus Pirelli PZero Elect (même modèle que sur une Porsche Taycan) offrent un niveau de grip énorme. Au fait, ils coûtent 1 200 euros le train de quatre…
Au freinage, le poids (2 250 kg) démontre son existence réelle. Certes, la gestion tente d’effacer le très naturel écrasement sur le train avant. Mais on sent alors que l’électronique travaille beaucoup avec quelques à-coups en situation d’urgence. Les esprits les plus critiques pointeront aussi une pédale peut-être un peu spongieuse pour un usage circuit. Rappelons qu’Hyundai a opté pour du classique, mais sérieux (4 pistons à l’avant) plutôt que sur des disques carbone-céramique, comptant sur la régénération pour s’additionner au système hydraulique. Sur les quelques tours du circuit de Castellolí, ils n’ont pas montré de fatigue. Un test plus long serait plus révélateur.
Hyundai sait que le vrai facteur limitant pour un usage sportif, c’est la batterie. Au-delà de 60°C, celle-ci risque la surchauffe. La Ioniq 5 N inaugure un nouveau pack de 84 kWh nets qui équipera bientôt les versions plus conventionnelles. Selon nos informations, il s’agit de cellules SK, plutôt prisées dans l’univers du premium. Il faut dire que les piles sont soumises à rude épreuve. Charges et décharges brutales, montées en température, cycles fréquents. Espérons ne pas en parler en mal dans huit ans. On peut les préparer ou les préserver en jouant de l’écran central : mode sprint ou endurance selon la durée prévue, pré-conditionnement en fonction de l’exercice choisi (1000 m D.A. ou série de tours)…
Pendant notre run de 6 boucles sur le technique circuit de Castellolí – soit 25 km à bon rythme – la jauge de température de batterie n’avait grimpé que de 30 à 36°C. De surcroît, nos confrères allemands de Sport Auto n’avaient pas eu besoin de lever le pied lors de leur tentative sur la boucle nord du Nürburgring. Les Porsche Taycan Turbo S et autres Tesla Model S Plaid avaient, elles, besoin d’un peu de répit, notamment dans la ligne droite finale, pour ne pas faire fondre les isolants de leurs batteries. En clair, le refroidissement semble en mesure de tenir les 40 km sur circuit promis par Séoul.
On peut ici remercier, comme sur l’Allemande, le système 800 volts qui permet de mieux dissiper la chaleur. D’autant qu’un tracé doté d’une borne rapide (c’est de plus en plus fréquent) vous remettra vite en piste. Le 10 à 80 % est annoncé en 18 minutes… De quoi boire une bouteille d’eau, d’échanger quelques mots avec les Porschistes et se détendre un peu avant de réattaquer les vibreurs.
Une fois sur le réseau routier, les chaussettes de 21 pouces et de 275 de large chahuteront au fond de la classe en matière d’économie. Pire, le Cx passe de 0,29 à 0,31 en ajoutant du refroidissement (c’est légitime) et des entrées d’air donnant sur rien (c’est moins malin). Notre très indicatif 23 kWh/100 km à 100 km/h sur voie rapide (15°C) laisse tout de même entrevoir une portée utile 10-80% de 200 à 250 km. À comparer aux 448 km pour un 0-100 % indiqués par la norme WLTP. Rien de génial, mais nombre de SUV moins joviaux ne font pas mieux.
Surtout, la Ioniq 5 N emballe le tout dans une coquille de familiale débonnaire. La Coréenne dispose de places arrière offrant 30 cm devant les genoux, le coffre demeure généreux (480 litres) et l’amortissement piloté ne casse vraiment pas les lombaires, quel que soit le mode choisi.
Le siège baquet en alcantara flatte le toucher, mais ne retient pas assez le conducteur ou la conductrice au niveau des entrecôtes. Heureusement, la position est rajustée vers le bas de 2 cm par rapport à la Ioniq 5 classique. Autre astuce : on a rajouté une console centrale à la place du vide, permettant d’engoncer davantage le conducteur ou la conductrice. Ceci permet aussi de reposer son genou en virage.
Saluons aussi l’instrumentation très complète. Sur l’écran 12 pouces, on lit la vitesse et le « régime ». Et mieux encore, la température des deux moteurs et de la batterie. Voilà qui permet de savoir si l’on va se retrouver (ou non) en mode dégradé sur circuit ou bien de mieux préparer sa recharge sur autoroute. Dans tous les cas, cette information devrait être disponible sur nos voitures électriques au quotidien…
En revanche, on se perd vite dans la forêt de menus et d’options offertes par la voiture. On règle les lois d’amortissement ou la répartition du couple via l’écran central, ce qui n’est pas très pratique en roulant. Par ailleurs, certaines incohérences nous laissent pantois. Pourquoi interdire l’usage de la N-Pedal et du N e-shift au même moment ? Utiliser un système de régénération typé sport permettant à la voiture de mieux « pivoter » en entrée de virage et le simulateur de rapport en même temps semble assez logique, non ?
Quelques surpiqures ou le volant inédit viennent rappeler la vocation du véhicule. Pour le reste, pas mal de plastiques noirs de qualité moyenne. C’est un peu chiche pour un véhicule proposé à 78 000 euros. Heureusement, tout ou presque est de série. Seules les teintes ou la V2L peuvent saler un peu l’addition. Et c’est nettement moins cher que les rares concurrentes…
Et évidemment, on peut rouler sans bruit de moteur et sans passer de rapports. Les palettes gèrent alors la régen’, comme dans tout bon véhicule électrique économe.
On se demandera alors si l’on a bien conduit cette supersportive thermique auparavant. Et si notre cerveau ne baigne pas dans une cuve.
Le ou la passionné(e) qui rêve d’une sportive thermique, mais accepte sa disparition prochaine avec une pointe de nostalgie.
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