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Dans les médias et sur les réseaux sociaux, l’empreinte écologique des véhicules électriques est régulièrement pointée du doigt. Leur utilisation de « terres rares », notamment fait l’objet de débats. La parution récente d’un ouvrage dénonçant la « face cachée de la transition énergétique » en remet une couche. Alors, si « sales » que ça les voitures électriques ? Faisons le point.
Les terres rares (TR) ne sont en vérité pas des terres, mais des métaux et elles ne sont pas rares ! Il s’agit en fait du nom d’une famille de 17 éléments chimiques du fameux tableau de Mendeleïev que tous les écoliers ont un jour appris à connaître. Les plus utilisés sont le cérium (40,2 % des TR consommées), le lanthane (27,8 %) et le néodyme (17,6 %). Attention, il ne faut pas tout mélanger : certains autres métaux comme le lithium et le cobalt utilisés dans les batteries Li-ion ne sont pas des terres rares. Bien qu’ils fassent aussi parfois polémiques, leurs problématiques ne sont pas du tout les mêmes et nous ne les aborderons pas dans cet article.
Contrairement à ce que leur nom pourrait laisser penser, l’abondance des terres rares dans l’écorce terrestre est bien plus grande que celle de nombreux autres métaux d’usage courant : leur concentration est trois fois plus importante que celle du cuivre et deux fois plus que celle du zinc, deux métaux pourtant très utilisés dans l’industrie et présents dans de nombreux biens d’usage courant. Les terres rares sont par exemple 200 fois plus abondantes sur terre que l’or ou le platine. En d‘autres termes, les réserves exploitables de terres rares sont bien moins critiques que celles de nombreux autres métaux stratégiques.
Leur nom de famille « terres rares » vient du fait qu’on les a découvertes à la fin du 18e siècle dans des minerais (d’où le nom de « terres »), peu courants en ces temps-là et difficiles à séparer les uns des autres avec les techniques utilisées à l’époque.
Historiquement les premières exploitations de terres rares dans les années 1940 étaient situées au Brésil et en Inde. Après la découverte dans les années 1950 de gisements importants en Afrique du Sud, ce pays a été le principal producteur jusqu’au début des années 1970 quand de nouvelles mines se sont ouvertes aux Etats-Unis (gisement de Mountain Pass) et en Australie notamment. Et puis, dans les années 1980, la Chine a commencé à produire des terres rares, et pratiqué un dumping des prix qui a finalement conduit à la fermeture, pour manque de rentabilité, des principales autres exploitations mondiales. Au début des années 2000 les chinois disposaient d’un quasi-monopole de la production avec une part de marché de près de 90 %. Puis ils ont décidé de réduire leurs quotas d’exportation ce qui a provoqué une remontée des prix et l’ouverture ou la réouverture de nouvelles mines dans le monde, aux Etats-Unis (Californie), en Australie, en Suède, au Brésil, au Vietnam, en Russie … Très récemment (fin 2017), un des plus riches gisements de la planète, celui de Gakara au Burundi est entré en exploitation. Au Brésil, un projet pilote financé par l’Allemagne étudie sous l’égide de l’Université de Clausthal la possibilité de récupérer des terres rares dans les résidus miniers des exploitations de phosphate.
A l’inverse de ce que l’on peut lire ci et là dans certains médias et sur le net, la Chine, bien que toujours premier producteur mondial de terres rares ne détient pas la majorité des réserves : seulement 30 à 40 % d’entre elles selon les estimations. Le Brésil (avec des réserves estimées à 22 millions de tonnes, soit plus de la moitié de celles de la Chine), l’Inde, les Etats-Unis, le Canada, le Groenland, la Russie, l’Australie, l’Afrique du Sud, le Vietnam, la Thaïlande et plusieurs pays en Afrique de l’Est, notamment, disposent d’importants gisements. La carte ci-dessous montre la distribution des principaux gisements de terres rares sur la planète. Comme on le voit, la ressource est bien mieux répartie que de nombreuses autres.
En 2010, l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS) estimait que les réserves mondiales d’oxydes de terres rares s’élevait à 110 millions de tonnes pour une production annuelle, cette année-là, de 130.000 tonnes. Un petit calcul rapide nous permet de comprendre qu’au rythme de la consommation actuelle (qui n’a pas fort varié depuis 2010 et à même légèrement régressé) nous en avons dès lors pour … plus de 800 ans ! Même en cas de forte croissance de la demande, il y a de quoi « voir venir ». Première vérité à rétablir : les terres rares ne sont pas du tout rares, les réserves mondiales sont importantes, bien réparties dans les 5 continents et aucune pénurie n’est à craindre avant très longtemps. Si la Chine détient une part majoritaire de la production c’est uniquement parce qu’elle pratiquait un dumping des prix. Mais la croissance de la demande a amorcé un renversement de la tendance et de nombreuses nouvelles mines s’ouvrent aux 4 coins de la planète.
Si, au début de leur exploitation, les terres rares servaient à fabriquer des pierres à briquet, des alliages réfractaires et des colorants pour des objets en terre cuite, la production s’est envolée à partir des années ’60 avec leur utilisation dans les tubes cathodiques des télévisions couleurs. Aujourd’hui, leurs propriétés électroniques, magnétiques, catalytiques, optiques, luminescentes et mécaniques en font les vitamines de l’industrie technologique. Elles sont utilisées, par exemple, dans les écrans plats, les lampes économiques, les LED, les lasers, les radars, les disques durs des ordinateurs, les ailettes de turboréacteurs, les pompes à chaleur et les installations de conditionnement d’air, des applications frigorifiques, certains panneaux photovoltaïques, le polissage du verre, certains types de moteurs électriques, comme catalyseurs dans le raffinage du pétrole, l’industrie pétrochimique et les pots catalytiques des véhicules à moteur thermique … Bref, dans un très grand nombre d’applications industrielles.
Plus du quart (26 %) des terres rares utilisées dans le monde le sont en tant que catalyseurs dans l’industrie du pétrole et dans les pots catalytiques des voitures à moteur thermique. Leur utilisation dans la fabrication d’aimants permanents pour moteurs électriques est l’autre application la plus consommatrice (20 à 23 % des usages). L’intérêt des aimants à terres rares est que le volume et le poids nécessaires pour une performance magnétique équivalente est bien inférieur à celui des aimants fabriqués avec d’autres technologies. Ils permettent ainsi une miniaturisation intéressante pour les micromoteurs électriques dans l’automobile (lève-vitres, rétroviseurs, sièges réglables, …), les ordinateurs, les têtes de lecture des disques durs, etc. Bon à savoir : dans chaque ménage des terres rares sont utilisées dans les moteurs équipant nos frigos, aspirateurs et autres appareils électroménagers.
Il y a une dizaine d’années, les premiers véhicules hybrides, notamment la Toyota Prius et la Honda, étaient équipés de batteries NiMH (Nickel Métal Hybride) dont l’électrode négative (anode) était constituée d‘un alliage de lanthane-pentanickel (LaNi5). Ces batteries des véhicules hybrides de la première génération contenaient une dizaine de kilos de lanthane, qui est bel et bien une terre rare. Mais aujourd’hui cette technologie de batteries est dépassée : elle a été remplacée par la famille des batteries lithium-ion (Li-ion) aux performances bien plus élevées. Si certains modèles de Toyota hybrides vendus en Europe font encore exception en étant toujours équipés de batteries NiMH (mais ça ne devrait plus durer longtemps), la toute grande majorité des véhicules hybrides et électriques sont pourvues aujourd’hui de batteries Li-ion … qui ne contiennent pas de terres rares. Oui, monsieur (ou madame). Certes, elles contiennent du lithium, du cobalt et du nickel, mais comme indiqué plus haut, ces métaux ne sont pas des terres rares et ne posent pas les mêmes problèmes. Pour ne pas être trop long nous y reviendrons dans un autre article.
Reste le cas des terres rares présentes dans les moteurs de certaines voitures électriques, principalement les hybrides qui doivent loger un moteur électrique à côté d’un moteur thermique et où le critère de place est donc plus important. Néodyme, dysprosium, samarium sont les terres rares les plus utilisées pour fabriquer les aimants permanents qui équipent les moteurs synchrones sans balais. Mais on peut très bien s’en passer ! Il suffit d’attribuer le rôle des aimants à une bobine d’excitation. Des modèles comme par exemple la Renault Zoé (la plus vendue en Europe) ou les Tesla (les plus vendues en Amérique) utilisent cette technologie et leur moteur ne contient donc pas de terres rares. D’autres aussi, probablement : nous n’avons pas ausculté les moteurs de tous les modèles actuellement en circulation. L’important est de comprendre que les voitures électriques peuvent très bien se passer de terres rares et que certaines, dont les plus vendues, n’en contiennent quasi pas. A l’exception peut-être des terres rares que l’on pourrait retrouver dans des micromoteurs tels que ceux des lève-vitres, qui ne sont pas spécifiques aux véhicules électriques.
Deuxième vérité à rétablir : les batteries des véhicules électriques actuellement sur le marché ne contiennent pas de terres rares. Certains modèles en contiennent dans leurs moteurs électriques mais ce n’est pas une nécessité, ils pourraient très bien s’en passer. En d’autres termes, l’avenir et le développement de la mobilité électrique ne dépend nullement de l’exploitation de terres rares. Par contre, le raffinage du pétrole et les pots catalytiques des voitures thermiques qui, eux, ne peuvent pas se passer de terres rares figurent parmi les plus gros consommateurs. Comme d’ailleurs de nombreux appareils électroménagers, technologiques ou industriels qui, bizarrement, et à l’inverse des véhicules électrique n’ont, eux, jamais été montrés du doigt pour cette « tare ».
Dans l’imaginaire véhiculé par certains médias en mal d’émotions ou à la recherche du buzz qui fera grimper les ventes, l’extraction de terres rares dans les carrières chinoises s’accompagne inévitablement d’une catastrophe écologique et sanitaire. Et le coupable est bien évidemment le véhicule électrique. Montrer une photo comme celle-ci fait toujours sensation :
On le sait, la Chine n’a jamais brillé pour la gestion écologique de son expansion industrielle. Ses mines de charbon, ses centrales électriques, son industrie lourde, sa gestion des déchets provoquent des catastrophes environnementales et d’innombrables décès prématurés. Que ses carrières de terres rares ne fassent pas exception n’est pas une surprise. Faut-il pour autant accuser les véhicules électriques d’être à l’origine de ces impacts écologiques quand on sait qu’ils n’utilisent qu’une infime partie des terres rares produites dans le monde et, qu’en outre, une liste établie en 2017 par l’U.E. montre que seulement 40 % des terres rares importées en Europe viennent de Chine ; les Etats-Unis (34 %) et la Russie (25 %) se répartissant le solde. Imputer les problèmes environnementaux posés par l’exploitation de terres rares en Chine aux véhicules électriques est aussi absurde que d’accuser les chemins de fer et le métro de produire des déchets radioactifs parce qu’ils utiliseraient de l’électricité produite par des centrales nucléaires.
Comme le montre la photo illustrant, en tête de cet article, une carrière de terres rares aux Etats-Unis, il est tout-à-fait possible d’extraire et de produire des terres rares en respectant des normes environnementales et sanitaires sévères. Par ailleurs la situation évolue en Chine aussi : depuis décembre 2016 les autorités de Pékin ont inspecté plus de 400 compagnies actives dans l’extraction et la transformation de terres rares et fermé de nombreuses mines en infraction ou illégales.
Troisième vérité à rétablir : l’impact écologique des carrières de terres rares en Chine n’est en rien imputable aux véhicules électriques.
Et pourtant, malgré ces 3 vérités ainsi rétablies, le mythe « les véhicules électriques contiennent de grandes quantités de terres rares … ce qui est néfaste pour l’environnement et les ressources de la planète» se perpétue : des « journalistes », des blogueurs de toutes sortes et même des économistes ou des analystes financiers continuent à propager cette mysthification, sans vérifier leurs sources, sans comprendre, apparemment, que les technologies – plus particulièrement celles des batteries – évoluent à grand pas. Et que ce qui a été vrai un jour ne l’est plus nécessairement le lendemain.
La véritable rareté c’est celle des énergies fossiles dont les réserves seront épuisées avant la fin du siècle. Ce sont elles qui posent les vrais problèmes environnementaux, sanitaires, climatiques, et géopolitiques, tuent des centaines de milliers de personnes par les émissions de particules fines et de gaz à effets de serre qui provoquent, déjà aujourd’hui, cyclones, ouragans, inondations ou sécheresses catastrophiques partout dans le monde. Les marées noires et les forages en eaux profondes ou dans les zones polaires ravagent les écosystèmes littoraux et maritimes. L’extraction de pétrole dans les schistes et sables bitumineux est une aberration énergétique et provoque des catastrophes écologiques. Les forages pour produire des gaz et pétroles de schiste consomment massivement de l’eau douce, polluent les sols, provoquent des tremblements de terre et dévastent les paysages …
Mais ce tableau apocalyptique est camouflé par un procès fait aux véhicules électriques basé sur des amalgames fallacieux, des accusations sans fondement, des informations tronquées pour ne pas dire inexactes voire falsifiées. En un mot, et pour employer une expression à la mode : des fake news.
Qui est à l’origine de cette campagne de désinformation ?
On sait que Monsanto a financé des scientifiques pour manipuler l’opinion sur le glyphosate. On sait que l’industrie des pesticides exerce un lobbying intense et finance des études pour éviter l’interdiction des néonicotinoïdes tueurs d‘abeilles. On sait que le développement rapide de la mobilité électrique constitue une menace de taille pour l’industrie pétrolière. Le blog Automobile-propre et plusieurs ONG comme notamment Greenpeace ont déjà révélé les agissements des lobbies pétroliers qui financent des campagnes pour décrédibiliser la voiture électrique et les énergies renouvelables.
Alors, à vous de tirer les conclusions …
Principales sources de l’article :
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