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À partir du 1ᵉʳ janvier, les constructeurs devront encore abaisser les émissions de CO2 des véhicules vendus en Europe, sous peine d’amendes. Et cela contribuera à transformer le marché automobile…
Rembobinons pour mieux comprendre. En 2007, face au dérèglement climatique, la Commission européenne, alors menée par José Manuel Barroso proposa un nouveau règlement. Il visait à abaisser les émissions de CO2 de nos voitures. La moyenne affichée sur le continent était alors de 160 g/km (selon le cycle de contrôle NEDC).
Après deux ans d’âpres négociations en pleine crise économique, le texte définitif fut adopté par le Parlement et le Conseil de l’UE en 2009. Il fixait pour la première fois des objectifs contraignants de réduction des émissions de gaz à effet de serre des véhicules neufs vendus. Pas de rigolade : les constructeurs dépassant les cibles étaient soumis à des amendes dissuasives.
On parle souvent de norme « CAFE », car le mécanisme européen sur les émissions fut inspiré par les standards Corporate Average Fuel Economy (CAFE). Établis aux Etats-Unis dans les années 1970, ils avaient alors pour but de réduire la consommation globale de carburant des véhicules mis sur le marché. Mais attention, l’Union européenne n’utilise jamais cette terminologie.
L’objectif établi à la fin des années 2000 était alors de 130 g/km (NEDC) pour la moyenne de 65 % des véhicules neufs immatriculés en Europe à partir de 2012. Puis pour toutes les mises à la route sur la période 2015-2019.
Individuellement, c’est-à-dire à l’échelle de chaque constructeur, les cibles divergeaient. Elles étaient et demeurent modulées en fonction du poids moyen des véhicules immatriculés. C’était une concession poussée par les constructeurs allemands spécialistes du premium et scellée par un accord entre Paris et Berlin. Elle est toujours valable aujourd’hui.
Pour éviter les prunes, les constructeurs avaient et ont toujours la possibilité de former des alliances (pool) : Fiat-Chrysler et Tesla s’échangèrent ainsi des crédits-carbone à la fin des années 2010, participant à redresser les comptes alors rouges vifs d’Elon Musk. De surcroît, les utilitaires légers entraient aussi dans la danse avec un objectif établi à 175 g/km à partir de 2017.
En 2014, l’Union européenne fixa l’objectif d’émissions de CO2 à 95 g/km (NEDC) pour les voitures à partir du 1ᵉʳ janvier 2020. Ce deuxième « round » prévoyait une amende de 95 euros par gramme supplémentaire sur chaque véhicule commercialisé. Les cibles données à chaque constructeur étaient toujours modulées en fonction du poids, mais aussi en fonction d’immatriculations de VE ou de PHEV. Elles furent également ajustées avec le passage du vieux cycle d’homologation NEDC au plus contraignant WLTP au 1ᵉʳ janvier 2021.
À lire aussiWLTP et NEDC : tout comprendre aux mesures de consommationPlace à la troisième manche. En 2019, un nouveau règlement de l’Union européenne fixa les règles du jeu pour les années 2025 à 2029… C’est pour cela qu’on en parle aujourd’hui.
Après 2015 et 2020, voici l’heure d’une troisième séance de limbo. À partir du 1ᵉʳ janvier 2025, les constructeurs doivent réduire de 15 % les émissions de leurs véhicules par rapport à leurs immatriculations de 2021. Cette fois encore, chaque groupe ou alliance de constructeur (pool) a une cible propre, corrélée au poids des véhicules ou à une part de VE ou de PHEV. L’objectif global est donc fixé à 93,6 g (norme WLTP) dès le jour de l’An.
Et c’est là que cela coince… ou pas.
Depuis cet été, l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), représentant les intérêts du secteur, multiplie les alertes. Son président, Luca de Meo, estimait au dernier Mondial de l’automobile qu’il y avait : « urgence à stopper la réglementation CAFE en 2025 au niveau européen ».
Le patron de Renault poursuivait son raisonnement devant les journalistes : « Nous sommes déjà obligés de provisionner l’argent des amendes sur les véhicules que nous allons livrer en janvier prochain. Le marché de l’électrique progresse à la moitié de la vitesse qu’il faudrait pour respecter cette réglementation ».
Le chiffre de 15 milliards d’euros d’amende pour l’ensemble de l’industrie a été cité à plusieurs reprises. Selon l’association, les constructeurs subissent : « une demande molle pour les véhicules électriques et la détérioration du climat économique général ».
Des amendes, assurent-ils, seraient dommageables pour leur compétitivité à long terme alors que la concurrence des véhicules asiatiques se fait plus pressante.
« Les amendes de plusieurs milliards d’euros, à l’échelle européenne, limiteraient les objectifs et les capacités d’investissement des constructeurs dans le verdissement et auraient des répercussions sur tout l’écosystème » abondait Antoine Armand, éphémère ministre de l’Économie du gouvernement de Michel Barnier.
Tout le monde n’est pas d’accord avec l’analyse de l’ACEA, y compris au sein des constructeurs.
En septembre dernier, Carlos Tavares, alors encore patron de Stellantis, avait dit non à un assouplissement : « Tout le monde connaît les règles depuis longtemps, tout le monde a eu le temps de se préparer, et donc maintenant, on fait la course ». Depuis son départ, le groupe a opéré un revirement, rejoignant l’ACEA après deux ans de bouderie.
D’autre part, des organisations écologistes pointent une vaste opération de lobbying en cours depuis plusieurs mois. « La situation ressemble à celle de 2019, explique Transport & Environment, lorsque les constructeurs ont été en mesure d’améliorer leur performance CO2 de près de 20 grammes en un an. En privé, les constructeurs ont par la suite reconnu avoir reculé des ventes au cours de l’année précédente pour les basculer vers le début de la phase où les normes étaient en vigueur ».
On pourra rétorquer à l’ONG que 2020 était tout de même une drôle d’année pour le marché automobile mondial, avec les effets de la pandémie de Covid-19. Mais mettons-nous un instant à la place du patron d’un constructeur : vais-je pousser la vente de modèles électriques (à 0 g/CO2/km) et interrompre la vente de SUV thermiques à forte marge AVANT d’y être contraint par la menace d’une amende ?
Probablement pas.
Ce qui explique le bilan CO2 2024 de certains constructeurs. On écoule du thermique à marge pour se préparer aux cibles 2025. On comprend encore pourquoi le Losange avait urgence à lancer sa Renault 5 juste avant le top-départ.
(source : International Council on Clean Transportation) :
Entre parenthèses, les émissions moyennes de 2023 et l’écart avec la cible
L’association T&E tranche : « les cibles CO2 sont à la fois accessibles et réalistes, et les constructeurs ont peu de chance de payer des amendes en 2025 ». Elle poursuit : « même dans un cas extrême où les constructeurs n’arriveraient pas à atteindre leurs objectifs de production, le montant total des pénalités devrait rester en dessous d’un milliard, avec le groupe Volkswagen en supportant la part du lion ». Sur les neuf premiers mois de l’année, Wolfsbourg a déclaré près de 13 milliards d’euros de bénéfices.
La situation semble en revanche plus préoccupante du côté des constructeurs d’utilitaires, eux aussi soumis à de nouvelles normes. Dans ce secteur, presque aucun constructeur ne semble en mesure de poursuivre son activité sans recevoir d’amende, comme nous l’expliquait Heinz-Jürgen Löw, patron des utilitaires Renault, lors du récent Mondial de l’automobile.
Mais attention, la norme 2025 et les stratégies des constructeurs pour esquiver les prunes auront des effets réels.
Premièrement, certaines alliances se trament en coulisses. La branche européenne de Suzuki serait sur le point de créer un pool avec Volvo. Ceci permettrait au constructeur nippon — spécialiste des 4×4 et qui n’a pas de VE à proposer chez nous — de franchir la barre sans trop de casse.
Les groupes peuvent aussi obtenir des crédits supplémentaires en atteignant des pourcentages de ventes en hybride rechargeable ou en 100 % électrique, allégeant leur cible.
Ensuite, les constructeurs vont adapter leur stratégie en poussant pour plus d’électriques… mais aussi en décourageant l’achat de thermique afin d’abaisser leur moyenne.
Comment ? « Accrochez vos ceintures », nous prévenait Jean-Philippe Imparato, nouveau patron de Stellantis Europe, lors du Mondial, pointant le casse-tête pour les plans produits, mais aussi pour la gestion des cadences en usine. Le groupe n’a pas l’intention de payer des amendes et a réaffirmé son engagement après le départ de Carlos Tavares.
« Si je produis pour me conformer afin d’atteindre 20 % d’électrique dans mon mix, poursuivait-il, je dois couper 30 % des essences. La voiture essence va devenir chère. Parce qu’évidemment, on va bien devoir financer les opérations avec le prix des voitures ». En d’autres termes, augmenter les tarifs du thermique pour rattraper la marge perdue en immatriculant des électriques plus chères à produire avec leur batterie.
Transport & Environnement remettait l’église au milieu du village dans l’une de ses communications :
« Il est crucial de rappeler que les objectifs 2025 n’obligent en rien les constructeurs à basculer à l’électrique et – techniquement – aucune part d’électrique n’est nécessaire dans leurs volumes. La cible, proposée en 2017 et depuis inchangée, est une moyenne d’émission de CO2 : vendre davantage de voitures essence plus efficientes (ou moins de SUV) aide autant que de commercialiser des VE ».
A la décharge des constructeurs, une bonne partie des « gentilles » citadines thermiques n’arrivent pas aux seuils préconisés ; une brave Opel Corsa 1.2 100 ch émet ainsi 118 g/km (WLTP). Ce seront donc elles les victimes potentielles…
L’hybridation, abaissant les émissions autour de 80 ou 100 g, coûte, en effet, cher sur un modèle parfois ancien et à faible marge. Elles vont donc probablement disparaître des catalogues, puisqu’on n’aura pas spécialement envie de sacrifier des gammes supérieures plus rentables. D’autres modèles seront convertis à l’hybridation légère 12 ou 48 volts.
À l’inverse, le système favorise la vente d’électriques, gradés à 0 g/km. En ce début d’année, la concurrence pourrait être féroce pour éponger la part du thermique. Le contexte n’aide pas : la demande des particuliers et des pros stagne et que les États – dont la France — coupent dans les systèmes de bonus.
Les constructeurs les plus en retard auront intérêt à aller draguer des clients au plus vite. Surveillez bien les prix des Volkswagen ID.3 et autres Ford Explorer dans les mois à venir.
À lire aussiNormes CO2 plus sévères en 2025 : le patron de Renault tire encore la sonnette d’alarmePour éviter la dérangeante question du prix facial du VE, le leasing aidera aussi : « Le loyer mensuel d’une voiture électrique sera chez moi le même que celui de l’essence, promettait Jean-Philippe Imparato en octobre. Vous aurez un Jeep Avenger à 149 € par mois, que ce soit l’essence ou l’électrique, c’est clair ». Reste à connaître l’apport ou les valeurs résiduelles sur les contrats. Une autre inconnue pourrait être l’attitude de Tesla vis-à-vis de résultats moins bons qu’auparavant sur notre continent.
Les directeurs des opérations des grands groupes vont donc naviguer entre maintien de la part de marché — les consommateurs sont encore friands de thermique — les plafonds CO2 européens et la menace des amendes dans un marché atone.
Le consommateur, lui, peut espérer voir des baisses de prix sur les VE dans les prochains mois… Et c’est sans doute cela qui fait vraiment peur à des constructeurs et des équipementiers déjà mis sous tension par la stagnation de l’économie européenne. En Chine, la guerre des tarifs est déjà en train d’emporter certains constructeurs.
Pour 2030, l’objectif fixé initialement à 37,5 % par rapport à leur niveau neuf ans plus tôt fut durci avec le paquet Fit for 55 de la présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen. L’objectif 2030 est aujourd’hui fixé à – 55 % par rapport à 2021.
Attendez-vous donc à entendre de nouveau parler de CAFE à la fin de la décennie.
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