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C’est peu dire que la Toyota Prius a marqué un tournant dans l’histoire de l’automobile. On en reprend le volant pour notre premier essai rétro.
L’année 1997. Quand la France dansait sur les hits des 2Be3 et des Poetic Lover (quelle époque !) ou voyait le premier Renault Scenic recevoir le titre hautement mérité de Voiture de l’Année, Toyota s’apprêtait sans trop le savoir à tourner une page de son histoire, mais aussi de l’histoire de l’automobile avec une grand A : cette berline est à ce jour la mère de plus de 20 millions d’autres Toyota hybrides écoulées dans le monde, mais aussi l’auteure d’un système de fonctionnement que jalousent encore de nombreux autres constructeurs. Pourquoi et comment la Toyota Prius est devenue un mythe de l’automobile ? Il suffit d’en prendre le volant pour avoir les réponses dès les premiers kilomètres.
À lire aussiEssai – Toyota Prius PHEV : toutes les consommations mesurées de notre SupertestSi la Toyota Prius de première génération a vu le jour en 1997, il faut toutefois rembobiner encore un peu plus, jusqu’en 1993. A cette époque, le gouvernement américain en place et les Big Three (Chrysler, Ford et GM) ont décidé de signer un partenariat pour une nouvelle génération de véhicules (PNGV). Le principe : les constructeurs devaient proposer un projet de voiture créditée d’une moyenne de 80 mpg (2,9 l/100 km) avant 2000, et fabriquer un prototype parfaitement fonctionnel avant 2004. En échange des investissements et des coopérations avec les laboratoires et universités, le gouvernement promettait de maintenir la moyenne CAFE (Corporate Average Fuel Economy) à 27,5 mpg (8,7 l/100 km). Bref, selon un porte-parole du gouvernement de l’époque, ce projet visait à « remplacer les avocats par des ingénieurs ».
Ainsi ont vu le jour quelques années plus tard les Dodge ESX au profil fuyant, la grosse et sérieuse Ford Prodigy, et le drôle de bricolage de General Motor avec le Precept, qui ressemblerait à une cubique aïeule de la Lightyear One . Cela dit, ce concept hybride-diesel pouvait atteindre les 90 mpg (2,6 l/100 km) ! Cependant, malgré ces concrétisations, le partenariat battait de l’aile derrière les rideaux. Les constructeurs n’y trouvaient pas de raisons valables de lancer ces voitures sur un marché qui n’en voulait pas. De son côté, le gouvernement a finalement réduit ses investissements dans ce projet, qui avait aussi pour mission de s’inspirer du modèle japonais, tout en voulant, et c’est bien plus officieux, contrer les véhicules venus de l’autre côté du Pacifique.
C’est en tout cas la principale rumeur qui a émergé lorsque Toyota, bien installé en Amérique du Nord, s’est vu refuser l’entrée au programme PNGV malgré sa demande insistante. Consciente des enjeux environnementaux, la marque estimait être capable d’atteindre des objectifs viables, en proposant une voiture sobre, mais aussi industrialisable sans faire exploser le prix de vente pour qu’elle puisse être accessible au plus grand nombre. En vain. Les Japonais ne reculant généralement devant rien, la marque a donc lancé en interne le projet G21, en mettant à contribution la matière grise d’innombrables ingénieurs. Tous étaient sous la supervision de l’ingénieur en chef Takeshi Uchiyamada, toujours dans les effectifs de Toyota à ce jour et surnommé « le père de la Prius », rien que ça.
Reste que si la chaîne de traction de la Toyota Prius apparaît encore aujourd’hui comme l’une des plus simples, la mise au point n’a pas été de tout repos. Et pour cause : dès la présentation du premier concept fonctionnel au salon de Tokyo en 1995, le patron de la marque a décidé d’avancer la date de sortie de deux ans. S’il apparaît que l’objectif était de griller la priorité aux constructeurs américains, Toyota voulait avant tout dévoiler la première voiture hybride de grande envergure avant la conférence sur le réchauffement climatique de Kyoto en décembre 1997.
Au terme d’un développement semé d’embuches, avec d’importants problèmes de régulation thermique des composants, la première Toyota Prius arrivait sur les routes japonaises à la toute fin de l’année 1997. C’est à ce moment que la berline a pu présenter au monde toute la singularité de sa mécanique : le Toyota Hybrid System, baptisé plus tard et jusqu’à aujourd’hui Hybrid Synergy Drive (HSD).
Ce tandem hybride se voulait le plus simple, fiable et économique possible. Il se composait alors d’un petit moteur essence fonctionnant sous un cycle Atkinson, qui privilégie davantage l’efficience à la puissance. Pour combler ce déficit, et assurer des performances au moins dignes tout en réduisant les sollicitations lorsque ce n’est pas nécessaire, un moteur électrique de traction et une petite batterie nickel métal hydrure de 1,78 kWh ont été installé dans la chaîne. L’ensemble, qui a toujours travaillé de concert comme le meilleur des boys band, pouvait faire tourner les roues par l’intermédiaire d’une transmission à train épicycloïdal. Inspirée par celle que l’on pouvait retrouver sur une Ford T du siècle dernier, cette transmission est toujours à ce jour l’une des meilleures au sein d’une automobile !
Cependant, la fiche technique de ce coup d’essai n’avait pas de quoi réveiller les conducteurs la nuit. La première itération du tandem (nom de code P110) se composait d’un moteur 1,5 l essence (1NZ-FXE) de 58 ch pour 102 Nm de couple, et d’une machine électrique (1CM) de 40 ch. Rien qui ne servait vraiment les performances. Aussi, le râle typique du moteur qui monte dans les tours avec la transmission à variation continue avait de quoi étonner les premiers conducteurs. Mais la performance énergétique était là : en 1997, la Toyota Prius était capable d’atteindre les 52 mpg en ville, soit 4,5 l/100 km. De quoi lui permettre de repartir avec le titre de la Voiture Japonaise de l’Année en 1998.
Ce n’est qu’à partir de 2000 que Toyota a décidé de revoir légèrement sa copie pour exporter tout son génie. Ainsi a vu le jour la version NHW11 (en remplacement de la NHW10, donc), comme ce modèle d’essai fraîchement rénové par Toyota France. Si le coup de crayon, intelligent et donc incompris, n’a pas été retouché pour conserver le coefficient de trainée de 0,29, les composants ont évolué. La Prius se dotait alors d’un moteur thermique d’un système P111. Le moteur 1NZ a été revu pour grimper à 70 ch et 115 Nm de couple. La machine électrique inédite (2CM) grimpait à 44 ch. Ainsi dotée, la berline pouvait être capable de viser les 57,6 mpg, soit 4,1 l/100 km en moyenne. Notons qu’elle s’équipait au passage de roues de 14 pouces, adoptait un bouclier sans protection et d’un petit aileron de coffre.
Replonger à bord de cette Prius de première génération est un véritable voyage dans le temps. Cependant, exception faite de quelques détails à l’image du lecteur K7 ou de cette drôle de commande de marche qui semble vouloir se faire passer pour un frein à main hydraulique, la berline est toujours dans le coup. Les matériaux n’ont rien d’indigents et se révèlent même plus qualitatifs qu’à bord de certaines voitures d’aujourd’hui. L’habitacle, baigné de lumière avec les larges surfaces vitrées est également plutôt vaste pour cette tricorps de 4,31 m de long.
Surtout, l’architecture intérieure et les écrans sont les parfaits témoins de l’avance qu’elle pouvait avoir sur son temps. Le combiné d’instrumentation au centre et au fond de la planche de bord n’avait que très peu d’équivalents, et la dalle centrale, tactile s’il vous plaît, proposait de suivre en temps réel les consommations ou, mieux encore, les flux d’énergie entre tous les composants. La volonté de bouleverser les bases établies n’est pas sans nous rappeler une célèbre berline électrique. Suivez notre regard. Enfin, à une époque où les familles n’emportaient pas toute leur maison avec eux en vacances, le coffre peut se montrer plutôt vaste. Mais il est bien mal compartimenté en raison de la batterie qui grignote de l’espace dans la soute.
Comme toujours, la conduite apparaît perturbante sur les premiers kilomètres pour les non initiés. Mais lorsque le mode d’emploi de cette transmission aussi géniale qu’étonnante est intégré, la conduite de cette berline devient parfaitement fluide… et étonnamment d’actualité : conduisant au quotidien une Toyota Auris HSD, et donc habitué à vivre dans le bruit (aérodynamique et mécanique), je n’ai perçu aucun anachronisme derrière le volant de cette Prius. Mieux encore, les performances n’ont rien de surannées : nous avons mesuré un 80-120 km/h en 8,7 s à bord de cette mamie. C’est autant qu’avec un Toyota Yaris Cross bien d’aujourd’hui.
En tout état de cause, tous les paramètres sont étudiés pour ne pas aller chercher les limites avec cette trop souple berline. La course de la pédale d’accélération allongée ne vous pousse naturellement pas à aller la coller sur le plancher, alors que le comportement routier demande de la retenue : la souplesse des suspensions et la forte tendance au sous-virage peuvent surprendre. Voilà qui invite à la balade tranquille et à mener la Prius le plus calmement possible, ce pourquoi elle a finalement été développée.
Cela profite sans surprise aux consommations qui, là encore, se révèlent extrêmement étonnantes. Au terme de notre court essai autour de la capitale, nous avons enregistré une moyenne mixte de 4,8 l/100 km. Si nous n’avons pas pu effectuer de mesures représentatives sur autoroute (est-ce vraiment important, en fait ?), nous avons tout de même mesuré une moyenne de 4,1 l/100 km sur route. Dans le centre de Paris, en utilisant au maximum le freinage régénératif, qui était alors une révolution à l’époque malgré sa force mesurée, nous avons pu descendre à un minimum de 3,6 l/100 km. Pas même ma Toyota Auris de 2012 n’arrive à descendre aussi bas.
Descendre d’une Toyota Prius de première génération est la garantie d’une réflexion poussée sur ses raisons d’être, mais aussi de découvrir qu’elle avait raison depuis le début. Ce que les conducteurs n’ont pas réussi à comprendre au premier abord. Il fallu attendre qu’elle devienne la coqueluche des célébrités américaines pour qu’elle puisse bénéficier de la visibilité qu’elle mérite. Car à l’époque, il n’y avait pas mieux qu’une Prius pour matérialiser aux yeux de tous sa fibre écolo, surtout en Californie où elle a été dessinée : Leonardo DiCaprio, Cameron Diaz, Ryan Gosling, Miley Cyrus,… Nombreuses ont été (et sont toujours) les célébrités à se pavaner à Hollywood au volant de leur berline vertueuse.
Et c’est aussi la garantie de découvrir qu’elle est toujours dans le coup. Bien sûr, il y aura toujours deux façons de voir les choses. Certains pourraient remarquer que Toyota n’a pas apporté d’évolution significative au fil des ans. D’autres, comme nous, penseront sans doute que cette Prius a été une révolution et a toujours eu un coup d’avance. Car nous avons du mal à imaginer qu’il soit vraiment possible de faire mieux en matière de consommation sans sacrifier l’habitabilité, la fiabilité, le poids et/où le prix. La dernière génération de Prius hybride rechargeable en est la preuve.
Voilà une histoire qui évoque à bien des égards celle d’une certaine grande routière électrique aussi façonnée sur la côte ouest des Etats-Unis. Une analogie finalement pas si insensée. Critiquée pour son fonctionnement mécanique incompréhensible pour la plupart, boudée pour son style tout aussi énigmatique, la première mouture de la Prius, comme la Model S, a eu tort d’avoir raison trop tôt : seulement 152 000 conducteurs se sont laissé séduire. Le second volet a rencontré un bien meilleur succès. N’ayant plus de preuve à faire sur ses qualités, la Prius 2, lancée en 2004 (au moment où le projet PNGV américain devait aboutir), a fait fureur avec plus d’1,4 million d’exemplaires produit !
À lire aussiPrise en main – Toyota C-HR 2024 : que vaut le SUV compact devenu hybride rechargeable ?Le reste de l’histoire, vous la connaissez sans doute : plus de 20 millions de Toyota hybrides ont été vendues dans le monde. Fiable, fluide et sobre, le système de Toyota apparaît comme l’un des meilleurs système hybride au monde, dont l’histoire de la technologie remonte à 1899 avec la présentation de premiers prototypes au Salon de Paris. Le tandem mécanique a ainsi intéressé de nombreux constructeurs, qui ne sont jamais vraiment parvenus à contourner les brevets de Toyota. Seul Honda a réussi à proposer un système aussi convaincant, d’abord avec l’Insight de première génération (qui n’a pas pu faire face à la Prius aux USA), puis plus largement avec son système i-MMD, baptisé aujourd’hui e:HEV. Mais force est de constater que c’est toujours insuffisant pour battre Toyota, qui a une longueur d’avance avec cette technologie.
Inutile d’ouvrir vos sites d’annonces favoris : il est simplement impossible de mettre la main sur une Prius 1 d’occasion en France. Il faudra pour cela regarder chez nos pays voisins, où il est possible de trouver quelques propositions. Alors que tout le monde a préféré oublier ce modèle (en attendant un farfelu projet de 1 000 ch par une équipe de Youtubeurs qui fera grimper inutilement les prix), la berline n’atteint pas des sommets déraisonnables malgré sa rareté. En Allemagne, les quelques modèles s’affichent entre 4 000 et 5 000 €, avec des kilométrages compris entre 170 000 et 245 000 km. Une paille face à la fiabilité exceptionnelle de ce système hybride qui peut largement dépasser les 300 000 km, voire bien plus.
Dans tous les cas, elle ne sera sans doute pas emmenée à parcourir énormément de kilomètres. La Prius 1 entrera tôt ou tard dans la secte des Youngtimer et sera chérie comme il se doit. Surtout, avec une vignette Crit’Air 3, elle sera rapidement bannie de nombreuses métropoles. Il faudra donc se rabattre sur des Prius plus récentes (2 ou 3), tout aussi économiques mais franchement moins fascinantes.
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