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En voiture électrique, la performance a-t-elle encore un sens ?

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Voiture de sport électrique
Voiture de sport électrique

Et si les constructeurs faisaient fausse route en proposant des sportives électriques aux puissances phénoménales, qui n’impressionnent plus grand monde ?

C’est encore une fois Tesla qui a lancé la mode ou la tendance. En communiquant beaucoup — et parfois presque exclusivement — sur l’accélération et les reprises phénoménales de ses voitures, le constructeur américain a posé une sorte de standard qui s’est rapidement installé dans l’esprit du public. Et cela, bien avant la monstrueuse Model S Plaid avec ses 1 020 chevaux et son zéro à cent en 2,1 secondes (soit l’accélération d’une F1) ou sa petite sœur, la Model 3 Performance.

Un standard auquel nombre de ses concurrents ont ensuite voulu se mesurer, pour même tenter de le battre. On ne compte plus aujourd’hui les Porsche Taycan, Audi e-tron GT, Lucid Air Sapphire, et même du côté asiatique de la Force, les Xiaomi SU7 Ultra et autres Hyundai Ioniq 5N dont une des raisons d’exister est de graver votre cerveau dans l’appuie-tête et de vous envoyer direct chez l’ostéo pour un recalage en règle des cervicales. Même BYD promet une « anti-911 » qui ferait juste trois fois sa puissance…

Tout cela est très sympathique et amusant (sauf pour les grincheux), mais est-ce que cela a encore un sens ? Et surtout, est-ce que ce nouvel étalon de la performance n’a pas ouvert une boîte de pandore de laquelle sortent désormais tous ceux pour qui la puissance est devenue presque l’unique baromètre d’un prétendu savoir-faire ?

Des voitures de 2000 chevaux, sérieusement ?

Dans le marché en constante évolution du véhicule électrique, le recul nous permet d’acquérir quelques certitudes sur les attentes des consommateurs. Et sur ce qu’ils rejettent. Parmi ces certitudes, celle que les personnes au train de vie élevé et qui ont un goût prononcé pour les belles mécaniques sportives n’aiment pas l’électrique. Il suffit de voir la reculade de Rimac et le renoncement de Maserati — entre autres — pour comprendre que de ce point de vue, c’est loin d’être gagné. Les millionnaires qui représentent le cœur de cible des supercars ne sont définitivement pas près pour le Grand Soir électrique, et préfèrent encore de très loin le rugissement des gros V6, V8 et V12 thermiques, même s’il faut pour cela s’acquitter de malus « écologiques » devenus totalement indécents pour le quidam moyen.

Conséquence, les constructeurs, plutôt que de réfléchir à une stratégie produit novatrice, se sont embarqués dans une surenchère absurde en pensant de façon un peu binaire qu’une supercar électrique de 2000 chevaux séduirait les amateurs de Ferrari de 700 chevaux. Apparemment, cela ne marche pas, car on ne remplacera jamais une Rolex par une Apple Watch, même si cette dernière propose 100 fois plus de fonctionnalités.

Car il faut bien comprendre que depuis que Tesla a posé ces nouveaux standards, la puissance n’impressionne plus grand monde quand elle devient électrique. Le public a désormais intégré de façon inconsciente le fait que les moteurs électriques produisent « facilement » des chevaux et du couple, qu’une banale berline peut pousser comme une Porsche, et qu’il n’y a plus grand-chose de noble dans cet exercice. Une analogie m’est venue à l’esprit quand je jouais avec des applications IA de création musicale comme Suno : vous pouvez reproduire avec un simple prompt la virtuosité technique d’un musicien qui aura passé sa vie à travailler son instrument, mais cette « prouesse » n’intéressera personne, car elle ne pose aucune difficulté humaine.

Toutes proportions gardées, c’est la même chose dans l’automobile. Et c’est pourquoi, à mon humble avis, les constructeurs de voitures sportives font fausse route en misant sur une débauche de puissance. Alors que la bataille devrait se jouer ailleurs, en prenant en compte des critères différents, qui deviennent aujourd’hui les marqueurs de l’excellence en matière de motorisations électriques. Quels sont-ils ? Voici quelques pistes. Rien de révolutionnaire, mais un ensemble de paramètres qui pourraient redéfinir l’esprit dans lequel concevoir une sportive électrique.

La puissance

La plupart des sportives de luxe thermiques actuelles, supercars incluses, affichent entre, disons pour être large, 350 et 800 chevaux. On sait qu’il suffit de 300 à 500 chevaux dans une électrique pour obtenir des performances équivalentes. Proposer une motorisation dans cette fourchette de puissance permettrait de se concentrer sur des moteurs plus petits et moins énergivores, ce qui aurait pour conséquence directe de nécessiter une batterie moins grosse, et donc plus légère, ce qui nous amène au point suivant.

Le poids

« Light is right » (Léger, c’est mieux). Tous les passionnés connaissent cette maxime de Sir Colin Chapman, le fondateur de Lotus, qui a consacré son existence à concevoir des voitures de sport légères avec comme obsession le comportement routier… et le plaisir de conduire. Bien sûr, on sait qu’il est difficile de fabriquer des voitures électriques légères quand elles doivent partir avec un handicap de 300 à 500 kg de batteries, ajoutés aux contraintes de sécurité et à l’électronique embarquée, qui ont également un impact sur la masse du véhicule. Mais certains s’y attellent quand même et montrent que l’obstacle n’est pas insurmontable. Certes, il sera difficile de produire une auto bien finie, bien équipée, et répondant aux normes de sécurité actuelles dans un poids inférieur à 1500 kg, mais on y est presque avec certains modèles. C’est notamment la voie suivie par Longbow, conçue par des anciens de… Tesla, Lucid et BYD. Renault promet aussi 1450 kg pour sa future R5 Turbo 3E, grâce, spécifiquement, à sa superstructure en carbone, mais au prix d’un équipement et d’un confort probablement assez spartiates.

La ligne et un certain classicisme

L’amateur de sportives apprécie généralement choses belles et exclusives, et une vraie sportive ne peut être qu’un coupé deux (ou trois) portes avec deux grandes places. Si cette architecture n’empêche pas de disposer d’une assez grande malle arrière, voire d’un frunk permettant d’emporter le nécessaire pour les roadtrips au long cours, le côté pratique n’est évidemment pas prioritaire, peut-être même limite vulgaire. Exit donc les berlines ou SUV sportifs, place aux GT 2 places aux lignes effilées et au profil trapu et bien posé, ce qui n’est pas incompatible avec l’électrique puisque l’absence de nombreux composants encombrants en thermique permet de dégager de la place.

D’autre part, si l’amateur de sportives n’est pas opposé à l’idée de progrès et d’innovation, ni à la présence de nombreuses technologies digitales, il apprécie un certain classicisme. Ce qui n’est absolument pas antinomique avec l’électrique. Il préférera donc probablement un « vrai » tableau de bord avec de vrais compteurs (fussent-ils à affichage digital) à une tablette posée sur une planche en faux bois, et la conservation de certaines commandes physiques plutôt que réunies sur ladite tablette.

La technologie

C’est certainement sur ce point aussi que se fera la différence. Plutôt que de doter l’engin de 2000 chevaux aussi inexploitables sur route (la loi) que sur circuit (le poids), mieux vaut miser sur des caractéristiques qui seront vues comme autant d’avantages pour le client fortuné. Dans ce contexte, une architecture 800 Volts autorisant des recharges ultra-rapides — idéalement de 320 à 350 kW — aura sûrement plus d’impact que quelques centaines de chevaux supplémentaires. D’autre part, une efficience très savamment étudiée, mixant poids, aérodynamique et gestion de la puissance, semble plus appropriée, a fortiori si elle permet une grande autonomie d’au moins 500 kilomètres réels quelles que soient les conditions. L’idée des moteurs dans les roues comme sur la R5 Turbo 3E semble aussi comporter quelques avantages, même s’il faudra juger sur pièce, car il a toujours été convenu qu’une bonne sportive est celle dont les trains roulants sont les plus légers. Ou alors reprendre la structure classique d’une bonne vieille GT avec un moteur central…

Les « artifices » issus du thermique

On pourra toujours trouver cela ridicule ou passéiste, mais c’est un fait et c’est là que pourrait finalement se faire la différence : absolument tous ceux — même les plus sceptiques — qui ont essayé la Hyundai Ioniq 5 N en sont non seulement tombés amoureux, mais affirment que c’est l’une des autos les plus dingues qu’ils aient jamais conduites. Pourquoi ? Pour une raison au final toute simple : c’est aujourd’hui la seule voiture électrique au monde qui procure les mêmes sensations qu’une sportive thermique grâce à des « artifices » plus vrais que nature reproduisant à la perfection le son d’un moteur à échappements sport, la boite de vitesses avec le petit coup aux fesses à chaque changement de rapport, le sous-régime en cas de mauvais choix de rapport, et même le rupteur dans le cas inverse.

Une approche totalement innovante et en même temps iconoclaste que les constructeurs de sportives en recherche d’un nouveau souffle devraient vraiment prendre au sérieux, puis adopter sur leur production, et autour de laquelle ils devraient très largement communiquer, afin que même un petrolhead comme ce bon GMK puisse trouver cela aberrant au point d’en mettre une dans son garage.

Bien sûr, nous parlons de marchés de niche, et de problèmes de riches. Mais des marchés hyper rentables qui sont aussi vecteurs d’image pour un groupe industriel. De fait, les constructeurs de sportives sont certainement à un tournant décisif de leur existence, un virage à ne pas rater, au risque de simplement disparaître au profit de jeunes entreprises plus inventives, qui seront parties d’une feuille blanche en ayant bien saisi l’air du temps. L’enjeu étant de séduire la clientèle actuelle, mais aussi une future génération d’amateurs fortunés de voitures d’exception, pour qui la puissance brute n’a plus beaucoup de sens.

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