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Chiner dans les vide-greniers réserve parfois de belles surprises, comme de tomber sur la livraison d’août 1972 du magazine L’Automobile, dans lequel un spécialiste des sportives essaye un tricycle électrique peu commun.
Présenté pour la première fois au public au Salon automobile de Paris en 1968 puis au président Pompidou en 1969, le véhicule électrique des frères Jean et Jacques Jarret est apparu un peu comme un engin branché et roulant à la marge des productions d’alors. Fin des années 1960 et début des années 1970, le VE, on en parle un peu, mais on n’en voit pas, ou très exceptionnellement, sur les routes. Les golfettes et quelques utilitaires en sites fermés sont à peu près tout ce que l’on peut rencontrer dans le genre, à condition de fréquenter les lieux qui en sont équipés.
Pas de véhicules électriques célèbres dans la première partie des années 1970 ? Si : le Lunar Roving Vehicle. C’est avec cet engin que l’astronaute et géologue Harrison Schmitt a établi un record de vitesse sur la Lune au cours de la mission Apollo 17, en décembre 1972 : 20 km/h. Ce bijou-là, des millions de personnes ont pu le découvrir sur les images diffusées par la Nasa. Si le Lunar Roving Vehicle était équipé pour embarquer l’équipe scientifique, il partage aussi quelques vagues caractéristiques avec le Porquerolles des frères Jarret : biplace, une manette digne d’une console de jeu pour diriger ces 2 VE, une vitesse maximum qui tourne autour des 20 km/h, une présentation dépouillée, aucune protection pour les passagers, etc.
A bord du Porquerolles, pas de volant, mais une sorte de manette qui, pour la première fois dans l’univers de l’automobile pour un engin prévu à la commercialisation, va exploiter des composants électroniques pour le faire avancer, le diriger et l’arrêter. Breveté nous le nom de « stilic », ce dispositif préfigure les joysticks qui permettront un peu plus tard d’évoluer en famille dans les jeux vidéos. Sur le véhicule minimaliste à 3 roues imaginé par les frères Jarret, le stilic agit tout à la fois sur les deux moteurs, la direction et les freins.
En août 1972, L’automobile décrit ainsi cet équipement monté sur le Porquerolles homologué comme tricycle par le service des Mines : « Un simple levier au plancher transmettait, par l’intermédiaire d’un cerveau électronique, et en fonction de sa position, les exigences du conducteur pour la mise en mouvement, la direction et le freinage ». Sur le papier, la manipulation du stilic paraît simple : « Basculé vers l’avant, il commande l’alimentation des moteurs et, suivant la position du commutateur, on se retrouve en marche avant ou arrière. Incliné vers la droite ou la gauche, il agit sur la roue directrice. Ramené vers l’arrière, il commande les freins ».
L’essayeur mandaté par L’Automobile a dû se familiariser avec le stilic, lui qui avouait ne pas être très enthousiaste pour tester le Porquerolles à Paris, venant à peine de libérer les commandes d’engins plus sportifs et prestigieux : « La Ferrari, la Maserati, et l’Aston-Martin qui me tiennent encore sous leur charme ». Après une première tentative infructueuse due à un mauvais positionnement du commutateur de marche, le journaliste essaie à nouveau : « Cette fois, enfin, je démarre… Mais comme une fusée, tout en zigzagant, ne parvenant pas à redresser et stabiliser la trajectoire. Trop brusque, je trouve difficilement la bonne position ». Et l’expérience suivante, celle du freinage, sera également source de frayeur pour lui, avec un important déport sur la gauche. « N’ayant pas maintenu le manche dans l’axe, la conjugaison freinage-direction explique ce déport », explique le pilote. Avec un peu de pratique, le stilic peut s’avouer plus efficace et sécuritaire que des commandes classiques, et, surtout, gomme totalement les sensations éprouvées d’ordinaire avec un volant qui retransmets plus ou moins les imperfections de la chaussée.
Au fait, pourquoi le magazine L’Automobile s’est-il amusé à essayer le Porquerolles ? Après un rapide historique sur les phases successives de développement du véhicule électrique, l’introduction de l’article n’est pas sans rappeler un contexte bien plus récent : « Aujourd’hui, la plupart des constructeurs, fortement sollicités par les problèmes posés par la circulation urbaine et la suppression des nuisances : bruit, et pollution, étudient à nouveau ce mode de propulsion ». Il est à noter que, jamais, dans les colonnes réservées à l’essai du Porquerolles, L’Automobile ne se moque des véhicules électriques, ni du tricycle des frères Jarret. Remarquable ! L’essayeur avoue même avoir embarqué une autostoppeuse.
Le Porquerolles porte bien son nom, évoquant une utilisation ludique, dans un décor de bord de mer, que confirme L’Automobile : « La Porquerolles ne représente, à notre avis, qu’une approche de la voiture de ville. Il lui reste beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre ce stade. […] Dans sa conception actuelle, la Porquerolles reste un amusant gadget et nous la voyons circulant à son aise dans les stations balnéaires ». Coincé à proximité de l’Arc de Triomphe, à Paris, entre des Renault 16, Peugeot 504, Simca 1501, Austin Mini, Citroën DS et les poids-lourds de l’époque, l’essayeur de L’Automobile souffre : « L’absence de protection sur tous les fronts désoriente quelque peu. Ma tête est à la hauteur du pneumatique du 15 tonnes qui se trouve à ma droite et je reçois en pleine face les gaz d’échappement de mon voisin de gauche ». De quoi être irréversiblement sensibilisé aux problèmes de pollution en ville ! Et à l’époque, le site qui coiffe les Champs-Elysées était particulièrement irrespirable, en particulier pour celui qui venait de quitter sa tranquille province.
Réalisé sous la forme d’une coque en plastique reposant sur un châssis tubulaire, le Porquerolles présente des dimensions très modestes : 1,80 m de long, 1,10 de large, et 0,80 de haut. A côté, le quadricycle Renault Twizy, avec ses 2,337 x 1,191 x 1,461 m semble offrir un espace généreux à ses occupants. Imaginez que vous pourriez garer 2 Porquerolles l’une derrière l’autre dans la longueur d’une Renault 5 contemporaine ! Pour le coup, la circulation et le stationnement dans les villes s’en trouveraient améliorés.
La coque, dépourvue de toit, portes et même d’une protection de type pare-brise, pivote sur l’avant, pour dévoiler la chaîne de traction. Elle est composée de 4 batteries plomb, de 12 V chacune, qui alimentent deux moteurs, respectivement installés à proximité des roues arrière auxquels ils sont reliés par des chaînes. Rustique dans sa partie mécanique, mais sophistiqué sur le volet électronique, le Porquerolles disposerait d’une vitesse maximum de 25 km/h. L’essayeur de L’Automobile estime ne pas avoir pu dépasser les 20 km/h ; une allure suffisante pour faire partir l’engin en dérapage, selon lui.
L’autonomie est estimée à 3 heures de sollicitation des accumulateurs environ, soit une cinquantaine de kilomètres. A l’époque, avec le permis A1 en poche, le tricycle des frères Jarret pouvait être piloté dès 16 ans.
Commercialisé depuis mai 1972, le Porquerolles a été produit à environ 170 exemplaires, depuis la société La Voiture Electronique, située à Creutzwald (57). Parmi les actionnaires de l’entreprise : EDF et Leroy-Sommer, aux côtés de la Sofirem (société de financement des charbonnages de France), et du tout récent Institut du développement industriel dont la mission était déjà d’aider les PME françaises à investir dans les solutions d’avenir. La Voiture Electronique visait une clientèle assez diversifiée avec sa Porquerolles, pour une utilisation en loisir à l’image des golfettes, sur des sites fermés (entreprises, aéroports), ou pour aider aux déplacements des personnes à mobilité réduite. En l’essayant en plein cœur des embouteillages parisiens, L’Automobile a largement écarté le Porquerolles des univers auxquels on le destinait. Un scénario qui est cependant loin d’être aberrant ou inutile.
A la fin de son essai, L’Automobile signale, en points positifs pour le Porquerolles, « un encombrement réduit au minimum, une bonne maniabilité, une autonomie acceptable, un excellent gadget pour stations de vacances, et une certaine approche du véhicule en ville ». La rédaction aurait pu signaler aussi un atout rare : être indifféremment pilotable de la place de droite ou de gauche. A même de contenter les gauchers, l’engin était donc aussi en mesure de ne pas dérouter les automobilistes étrangers qui ont l’habitude de circuler « à l’anglaise »… à condition de bien respecter le sens de circulation, ou d’utiliser le Porquerolles dans des sites ou cette obligation n’a pas lieu d’être.
Le magazine a noté 3 points négatifs à la suite de son essai du Porquerolles. Le premier : un prix trop élevé de 5.960 francs TTC. Pour comparaison, une Citroën 2 CV 4 et une Renault 4 coûtaient respectivement, la même année, 7.900 et 8.500 francs. L’Automobile déplore également une « absence de protection », et signale une « tenue de cap et un freinage à revoir ». Lors de sa prise en main, le journaliste avait constaté « une certaine difficulté pour maintenir le cap dans les descentes qui sont pourtant, en ville, de faible pourcentage ». La précision sur l’inclinaison des pentes urbaines peut laisser songeur, notamment en pensant à Montmartre (à Paris) ou à Lyon-Fourvière (69), pour ne citer que ces 2 cas. Concernant les freins, le pilote les a trouvés « peu endurants ». Il précise : « Après trois heures de circulation, nous avons été contraints de retendre les câbles ». Le magazine n’a pas repris dans les points négatifs certaines constats relevés en cours de test, comme une certaine sécheresse dans la suspension, l’absence de dossiers pour maintenir le dos des passagers du Porquerolles, et la perte d’adhérence due « à la roue avant qui décolle à la moindre différence de niveau de la chaussée ».
Au-delà du modèle essayé, l’article est un modèle du genre qui ne cherche pas à casser un véhicule pourtant assez fragile à plusieurs niveaux. Pourtant, le journaliste qui l’a rédigé est un grand amateur de sportives qui n’a pas du être très à son aise, coincé dans la circulation parisienne, sur une plateforme qui le portait au regard de tous. « J’affecte une certaine tranquillité mais, au fond, je ne suis pas si fier », avait-il commenté à destination de ses lecteurs. Ce qui ne l’a pas empêché de trouver des utilisations possibles pour un engin tout de même assez déroutant, entre concept minimaliste et emploi de nouvelles solutions technologiques pour le piloter. Rien de choquant, en tout cas, dans ses propos vivants, parfois teintés d’humour.
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