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Les voitures électriques sont-elles trop silencieuses ? Ou les piétons seraient-ils devenus sourds ?
L’époque est assez symptomatique de comportements dont la logique ou la cohérence ont tendance à échapper au bon sens. Prenez par exemple cette étude qui pointe le danger potentiel des voitures électriques vis-à-vis des piétons, du fait que ces derniers ne les entendraient pas arriver.
Sérieusement, on marche un peu sur la tête. En gros, on nous explique que l’homo sapiens urbanus a désormais pris la (mauvaise) habitude de se fier d’avantage à son ouïe qu’à sa vue pour éviter de se faire transformer en steak tartare non assaisonné par le premier automobiliste venu. Et que donc les voitures électriques seraient coupables de ne pas faire assez de bruit.
Il n’y a rien qui va dans ces assertions.
D’une part, dans quel monde on ne regarde pas ce qui arrive sur la chaussée avant de la traverser ? Dans quel monde on marche sur celle-ci sans se dire à un moment que la surface en question est plutôt réservée aux véhicules motorisés, de base ?
D’autre part, les piétons qui comptent sur ce qu’ils entendent pour gérer leurs mouvements dans la cité sont les mêmes qui la plupart du temps portent casques et oreillettes audio vissés au crâne comme des prothèses inamovibles, ce qui les rend hermétiquement sourds aux bruits ambiants. Reconnaissez que nous sommes là face à un cas assez préoccupant de dissonance cognitive avancée : j’écoute mais je n’entends pas. Préoccupant car il y est question de sécurité mais aussi de vivre ensemble.
Enfin, dernier point, après avoir consacré près d’un siècle a essayer de rendre les voitures de plus en plus silencieuses, on impose désormais (depuis juillet 2019) un système sonore sur les voitures hybrides et électriques, qui s’active en-dessous de 20 km/h, afin que ces dernières puissent être entendues en ville.
Par des piétons qui n’entendent rien, donc.
Alors que la pollution sonore, ce fléau dont on ne parle pas assez, serait plus dévastatrice que celle de l’air.
Certes, les sons (parfois poétiques, parfois grandioses, parfois… euh non, rien) émis par les voitures électriques ne sont pas très puissants, et peut-être pas de nature à avoir des effets aussi délétères sur l’organisme humain que le grondement d’un Boeing au décollage ou celui d’une Harley en échappement libre. Mais dans ce cas, à quoi servent-ils vraiment s’ils ne sont pas entendus, à part apporter encore un peu plus de cacophonie ? Surtout quand on sait qu’une voiture thermique moderne roulant en-dessous de 20 km/h n’émet pratiquement pas plus de bruit qu’une électrique. Un commentaire d’un de nos lecteurs sur le sujet montre d’ailleurs toute l’ironie de la situation : « fenêtres fermées dans ma maison, j’entends passer la Zoé de ma voisine, mais pas sa Toyota diesel, cherchez l’erreur… » Il faut dire que le son de la Zoé… euh non, rien.
Bref, si le silence des voitures électriques, mais donc aussi de certaines thermiques, et pourquoi pas des vélos, pose problème, l’AVAS ne semble pas résoudre grand chose, d’autant que comme le précise cette étude, les piétons percutés par les VE le sont à très faible vitesse, donc la plupart du temps, et heureusement, sans conséquences très fâcheuses.
Quelles seraient les solutions à cet autisme auditif généralisé ? Peut-être, encore une fois, un peu d’éducation et de pédagogie, en rappelant par exemple que la base de la sécurité pour un usager de la chaussée, qu’il soit piéton, cycliste ou automobiliste, est d’abord d’utiliser ses yeux, puis son ouïe. Ou, dans un monde idéal, les deux en même temps, si ce n’est pas trop demander. Peut-être rappeler aussi aux piétons que, même s’ils sont devenus dans certains quartiers les rois de la rue, il se trouve généralement qu’en cas de rencontre forcée avec deux tonnes de métal, ils ont rarement le dernier mot, les lois de la physique étant ce qu’elles sont. Ensuite, sensibiliser les électromobilistes sur le fait que l’on ne les entend pas, et qu’ils doivent adapter leurs comportements de conducteurs en conséquence, à savoir anticiper les mouvements des piétons, ne pas coller ces derniers, et faire preuve de patience et de civilité quand un spécimen marche devant eux sur la rue en toute décontraction pendant plusieurs dizaines de mètres (ce qui, il faut bien le reconnaître, réveille parfois des envies de meurtre, ou pire, de klaxon).
Sinon, une sonnette spécifique à activer dans ce cas de figure, comme celle de certains autobus ou tramways, serait peut-être un moyen de faire place nette sans agressivité, et sans déclencher de comportements hostiles.
Quoiqu’il en soit, si la voiture électrique pose problème aux piétons du fait de son silence de fonctionnement, le problème ne vient probablement pas de la voiture…
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