Voiture électrique foudre

Attention, unpopular opinion, comme on dit sur les réseaux sociaux.

Les annonces de l’arrivée de chargeurs à haut débit de plus en plus puissants, délivrant plus de 350 kW, et même jusqu’à 600 kW pour certains, se succèdent depuis quelques semaines. Bien sûr, toute la communauté des électromobilistes, votre serviteur inclus, se félicite et se réjouit de ces évolutions technologiques qui vont rendre toujours plus fluides et faciles les longs trajets en voiture électrique.

Au-delà du petit monde de ceux qui ont déjà basculé vers le 100% électrique, on suppose que le raccourcissement annoncé des temps de recharge va inciter aussi ceux qui roulent en thermique et qui hésitent encore à passer à l’électrique à s’intéresser d’un peu plus près au sujet, et pourquoi pas de franchir enfin le pas. Car on sait que le temps de recharge est l’un des facteurs-clés qui pèse lourd dans ces hésitations, et dans la décision finale.

Mais on peut se demander au final si cette course à l’armement est réellement utile. Pour cela il faut considérer divers facteurs.

Tout d’abord, les coûts d’infrastructure ne sont pas neutres. Installer des bornes de recharge à très haute puissance est significativement plus coûteux, on parle d’au moins 50 000 euros par borne ! Les infrastructures nécessaires pour supporter de telles puissances (350 à 600 kW) nécessitent des investissements plus élevés en termes de matériel, de câblage, de transformateurs et de gestion de la chaleur, ce qui se traduit par des coûts plus élevés pour les opérateurs et potentiellement pour les utilisateurs.

Considérer l’adéquation de l’offre avec la demande

Cela soulève également une question d’adéquation entre l’offre et la demande. Les voitures électriques actuellement sur le marché n’ont pas toutes la capacité de supporter des recharges à des puissances aussi élevées. La majorité des véhicules se recharge de manière optimale entre 80 et 250 kW, et les voitures avec une architecture 800 volts capables d’encaisser des puissances supérieures se comptent encore sur les doigts d’une main. On parle par exemple de la Ioniq 5 et 6, de la Kia EV6 et EV9, de la Porsche Taycan et de l’Audi e-tron GT, toutes compatibles avec une recharge en pic à 270 kW, et des Xpeng G6 et G9, seules sur le marché à pouvoir atteindre plus de 300 kW. Déployer des bornes à très haute puissance pour des véhicules qui ne peuvent en profiter pleinement peut donc représenter un gaspillage de ressources. En outre, de plus en plus de voix s’élèvent pour revendiquer de la sobriété dans l’écosystème du VE, avec des batteries de taille et de capacité réduite aux alentours de 50 à 60 kWh. Bien sûr, recharger en 5 minutes fait rêver tout le monde, mais est-ce réellement utile et pertinent quand on sait que plus de 85% des recharges se font à domicile, au travail, ou en temps masqué ? Une recharge entre 150 et 300 kW permet déjà de récupérer une autonomie significative en un temps relativement court (20-30 minutes). Cette durée est souvent compatible avec une pause pour les conducteurs, rendant les recharges ultra-rapides moins nécessaires. Autre argument de poids : les pertes énergétiques qui augmentent avec la puissance de la recharge. À des niveaux très élevés (350-600 kW), ces pertes sont plus importantes, ce qui rend le processus de recharge moins efficient énergétiquement.

La longévité des batteries pose aussi question. On sait que recharger fréquemment une batterie sur une borne à très haute puissance peut accélérer son vieillissement, même si certaines voix viennent parfois contredire cette affirmation. Des recharges modérées (50 à 150 kW) sont moins stressantes pour les batteries et peuvent prolonger leur durée de vie, ce qui est bénéfique pour les propriétaires de véhicules électriques… et pour l’environnement. Car l’impact environnemental de stations haute puissance n’est pas neutre. La production et l’installation de bornes de recharge à très haut débit ont un impact plus élevé en raison des ressources et de l’énergie nécessaires. Privilégier des bornes de puissance modérée serait donc plus écologique.

Mieux distribuer la charge

Du côté de la compatibilité avec le réseau électrique, l’existant est mieux préparé pour gérer des charges modérées. Les stations de recharge à très haute puissance peuvent nécessiter des mises à niveau du réseau local, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires et des retards dans le déploiement. Se pose également la question de la distribution de la charge. Avoir plus de bornes à puissance modérée plutôt que quelques-unes à très haute puissance permet de mieux distribuer la charge entre les utilisateurs, réduisant les temps d’attente et rendant les stations de recharge plus accessibles à tous. De plus, les bornes de 150 à 300 kW peuvent être plus facilement intégrées dans les infrastructures existantes et étendues en fonction de la demande. Cela permet une évolution plus progressive et flexible du réseau de recharge, en adéquation avec l’augmentation progressive du nombre de véhicules électriques.

L’accessibilité financière pour les utilisateurs est aussi à prendre en compte dans l’équation. En effet, les tarifs de recharge aux bornes de très haute puissance sont généralement plus élevés en raison des coûts de fonctionnement et d’installation. A contrario, des bornes à puissance modérée permettent de maintenir des coûts de recharge plus abordables pour les utilisateurs finaux, encourageant ainsi l’adoption plus massive des véhicules électriques. Il en découle également un enjeu de rentabilité et d’indépendance financière pour les opérateurs, qui sont contraints de lever des fonds importants pour déployer des stations haut débit qui sont encore loin d’être profitables.

Vous l’aurez compris, l’idée n’est pas de s’inscrire en opposition au déploiement des réseaux très haut débit, mais de poser la question de leur utilité dans certains contextes, afin que ces derniers ne deviennent pas forcément la norme. On vit très bien avec des recharges permettant de récupérer entre 200 et 300 km en 20/25 minutes. A condition d’effectuer un petit reset mental qui consiste à comprendre que l’on voyage différemment en électrique, et que, pas plus que d’enquiller 1000 kilomètres d’une traite, “faire le plein” en 1 minute n’est pas nécessairement le but ultime de tout trajet motorisé.