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Le marché de la voiture électrique progresse, mais les constructeurs connaissent des fortunes diverses. Et pas forcément pour des raisons commerciales.
Alors que certains constructeurs affichent une santé insolente et des courbes de ventes à faire pâlir n’importe quel growthhacker (suivez mon regard), tout n’est pas aussi rose dans le monde de la voiture électrique. En fait, sans parler de crise (de croissance ?), le secteur fait face à des signaux et tendances qui semblent parfois contradictoires, y compris pour un même constructeur, selon l’angle et la source.
A tel point que l’on a parfois du mal à séparer le grain de l’ivraie tant les informations se télescopent parfois en dehors de toute rationalité. Un gloubi-boulga d’autant plus opaque que le sujet déchaine souvent les passions, avec, comme souvent dans ce cas, son lot de désinformation et de fake news.
Cela dit, si le secteur connait une progression continue et incontestable depuis plusieurs années, avec une nette accélération au cours de 24 dernier mois, il n’en demeure pas moins que certains constructeurs sont un peu dans la sauce, qu’il s’agisse de leur feuille de route produits, de leur communication ou tout simplement de leur stratégie générale. Nous avions déjà décelé ces signaux en nous penchant sur la grande foire qu’est devenu le nommage des gammes électriques. Mais il n’y a pas que ça. En fait c’est toute la chaine de valeur de l’électrique qui traverse aujourd’hui des turbulences.
Bref, en ce moment, rien ne va. Ou en tout cas on n’y comprend plus grand chose. Et même si cela ressemble plutôt à un trou d’air localisé et sectoriel, les difficultés rencontrées par certains constructeurs pourraient peut-être faire hésiter ceux qui envisagent de passer à l’électrique à franchir le pas.
Voyons cela d’un peu plus près avec quelques exemples que nous estimons assez représentatifs.
Premier signal contradictoire. Alors que les ventes de la Mustang Mach-E démarraient plutôt bien juste après son lancement, et que Ford célébrait il n’y a pas si longtemps le succès de ce ce modèle avec le 50 000ème exemplaire vendu rien qu’en Europe, il semblerait que l’ambiance soit légèrement moins festive ces derniers temps, en raison de ce qui pourrait s’apparenter à un retournement de situation. En effet, aux États-Unis, Ford se retrouve actuellement avec d’importants stocks de Mach-E sur les bras, on parle de près de 10 000 autos quand même, qui ne trouvent pas preneur. Lors du deuxième trimestre 2023, les ventes du Ford Mach-E se sont effondrées de 21 % aux USA par rapport à 2022. Mais selon le responsable des ventes Ford aux États-Unis, il n’y a pas le feu au lac Michigan, puisque selon lui, plus de la moitié de ces Mach-E sont en transit entre les usines et les lieux de vente. Rappelons quand même que la Mustang Mach-E de base est au prix catalogue de 56 990 €, là où une concurrente directe (et redoutable) comme la Tesla Model Y – mieux dotée en équipements de série – débute à 45 990 €.
Le cas du F-150 Lightning pose aussi question. Alors que les précommandes avaient démarré en fanfare, de nombreux futurs clients sont devenus d’anciens futurs clients, lassés d’attendre leur joujou parfois deux ans après avoir déposé un acompte de 100 dollars auquel ils peuvent facilement renoncer. Dans le cas du gros pick-up, le contexte semble un peu différent puisqu’il s’agirait plutôt de problèmes de production liés à des approvisionnements erratiques plutôt qu’à de mauvaises ventes.
Alors chez Mercedes, cela semble ne pas se passer trop mal. Fidèle à sa stratégie de gamme pléthorique, autant en largeur qu’en profondeur, le constructeur allemand compte déjà pas moins de 9 modèles 100% électriques à son catalogue. C’est même probablement la marque qui a le plus misé sur l’électrique et développé aussi rapidement la gamme la plus large sur ce créneau en aussi peu de temps, puisque sa première voiture électrique, l’EQC, a été présentée en 2018 pour un début de commercialisation en 2019. Une voiture qui pourtant arrive déjà en fin de carrière avec un bilan commercial très mitigé, puisqu’il s’en est vendu seulement 171 exemplaires en France en 2022. On va dire que c’était un coup d’essai de Mercedes pour entrer dans le marché de la voiture électrique, mais que ce ne fut pas vraiment un coup de maître. Une sorte de brouillon de la gamme actuelle, désormais plus aboutie. Un brouillon à près de 80 000 € quand même, avec une autonomie assez limitée (400 km WLTP) et une puissance de charge au diapason (110 kW). Heureusement, Mercedes s’est rattrapé et a fait beaucoup mieux depuis, mais stopper net la production d’un modèle seulement 4 ans après son lancement n’est jamais un très bon signal.
Pour les plus pessimistes c’est le début de la fin. De quoi s’agit-il ? Tout simplement – enfin façon de parler – du fait qu’Audi serait tellement en retard dans le développement de ses futures plateformes électriques que la marque s’en remettrait à un consortium chinois pour fabriquer certains futurs modèles de sa gamme. Bien sûr il y a déjà les e-tron, SUV ou GT, et ce sont incontestablement de bonnes et belles autos. Mais ça ne suffit pas, et la stratégie du constructeur étendard du premium à l’allemande est de moins en moins lisible, entre les annonces qui se succèdent de concept-cars improbables auxquels personne ne croit plus et qui ressemblent à tout sauf à des Audi (Sphère machin, là) et l’arrivée de vrais nouveaux modèles électriques qui commence sérieusement à se faire attendre. Espérons que cette probable alliance avec le chinois SAIC, déjà bien implanté en Europe avec la marque MG, aide Audi à traverser cette période difficile. Cela étant, n’enterrons pas trop vite la pépite d’Ingolstadt, car si l’on se fie à la communication officielle du groupe VW, les ventes se porteraient plutôt pas mal.
Si les ventes de Porsche continuent à progresser, celles du Taycan accusent le coup pour la première fois depuis son lancement en 2019. En effet, la star électrique du groupe VW fait face à une baisse continue de ses ventes depuis cinq trimestres consécutifs. Au premier trimestre 2023, les ventes de la gamme Taycan ont atteint 8 839 unités, soit une diminution de 6 % par rapport à l’année précédente. Du coup, la part de marché de la Taycan dans le volume total des ventes de la marque s’établit désormais à 10,2 %, en baisse par rapport à 12,1 % l’année précédente. Au deuxième trimestre 2023, les ventes de la Taycan ont également enregistré une baisse de 6 %, avec 8 839 unités vendues. Les ventes aux États-Unis ont connu une baisse encore plus importante, atteignant 35 %. Mais là encore, selon le constructeur, il s’agirait davantage de problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement plutôt qu’à une désaffection du public. D’ailleurs, malgré ces chiffres en baisse, Porsche a vendu plus de 114 000 Taycan dans le monde depuis son lancement. Si des améliorations sont apportées au cours de l’année, il est prévu que le nombre d’unités vendues en 2023 se situe entre 35 000 et 40 000. Il est cependant possible que les clients potentiels attendent désormais un restyling de la Taycan, présente sur le marché depuis déjà 4 ans, et que certains problèmes de fiabilité, notamment dans la gestion électronique et dans le système d’infodivertissement, aient refroidi certains acheteurs.
Voilà typiquement le genre de situation qu’il faut un peu décrypter. D’un côté, les ventes et les parts de marché du groupe VW semblent suivre une croissance régulière. De l’autre, la gamme électrique de la marque Volkswagen elle-même fait face à des difficultés, et n’atteindrait pas ses objectifs, notamment sur l’ID.4, dont les ventes seraient inférieures de 30% aux objectifs de production initialement prévus. A tel point que la production de certains modèles électriques va être ralentie, y compris celle de la berline ID.7, dont le lancement est prévu au dernier trimestre 2023. Manfred Wulff, à la tête du comité d’entreprise, met en cause une réticence de la clientèle à passer à l’électrique, motorisation qui, selon lui, suscite des inquiétudes. Pourtant, le constructeur allemand garde de sérieux atouts avec une gamme somme toute attractive, dont l’ID.3 déjà restylée (mais probablement encore un peu trop chère) et surtout l’arrivée prochaine de l’ID.2 All qui pourrait donner un sérieux coup de boost aux ventes de la marque, comme l’avait fait la Fiat 500e pour Fiat.
Les difficultés ne concernent pas que les start-up récentes ou les grands constructeurs historiques. Chez Lucid aussi ça tangue un peu. L’exemple de cette entreprise est intéressant car elle est réellement à la croisée des chemins, une situation comparable à celle qu’a connue Tesla dans les années 2017-2018, où la tendance flottait entre succès imminent et faillite annoncée. A la croisée des chemins aussi entre jeune entreprise innovante et groupe industriel. Avec une valorisation de 15 milliards de dollars et un chiffre d’affaire prévu en 2023 d’un milliard, Lucid n’est plus une start-up mais n’est pas non plus un constructeur historique. Et même si ses voitures comptent parmi ce qui se fait de mieux sur le marché de l’électrique actuellement, proposer uniquement du haut de gamme pour happy few entrepreneurs à succès de la Silicon Valley à des tarifs situés entre 100 000 et 200 000 euros n’est pas forcément gage de pérennité commerciale. La preuve, Lucid a dû se résoudre à licencier 18% de son personnel au printemps dernier, soit environ 1 300 employés, pour survivre, et l’action de la marque est en baisse quasi-constante depuis son plus haut en décembre 2021.
Si le cas de Lucid est un peu à part, il évoque également celui de Byton, qui vient d’annoncer officiellement sa faillite malgré un environnement industriel qui paraissait solide et des partenariats sérieux. Deux marques atypiques dont les difficultés témoignent qu’aucun acteur ne peut être épargné, pour des raisons diverses. Stratégie et approvisionnement chez les géants historiques, liquidités et réseau de distribution défaillant chez les nouveaux entrants, à l’image également d’un Vinfast. On ne reviendra pas sur les autres difficultés ou faillites dont nous avons déjà largement parlé ici, comme celles de Lightyear, Faraday Future, Rivian, Sion ou encore Hopium.
Ajoutez à cela une ambiance récurrente de défiance vis-à-vis de l’électrique, attisée par certains médias et autres énergumènes sur les réseaux sociaux, ce qui donne des sondages pas toujours très favorables, et dont les positions n’évoluent pas, voire se radicalisent, et vous vous dites que le marché n’est pas encore tout à fait un chemin pavé de roses.
Cela étant, évitons de sombrer dans la sinistrose. De nombreux indicateurs montrent que globalement le marché de la voiture électrique ne connait pas de ralentissement, et qu’il continue même à progresser de façon exponentielle. Ce ne sont pas MG ni Tesla qui nous affirmeront le contraire. Par ailleurs, du côté de la recharge, c’est une toute autre musique, puisqu’il ne se passe pas un jour sans une nouvelle annonce d’implantation de réseau ou de station, généralement à haut débit.
Il ne reste plus qu’à les remplir. En tout cas en dehors des jours de grands départs.
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