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La marque centenaire revient en misant sur l’électrique, le premium et des habitacles cosy.
L’acte de décès était presque signé. En juin 2014, lors d’un forum économique au nord de l’Italie, Sergio Marchionne (1952-2018), emblématique patron du groupe Fiat-Chrysler, avait laissé entendre que la fin était proche pour la vénérable marque automobile Lancia. « Je suis désolé, mais en temps de crise, il faut faire des choix » avait pointé l’homme d’affaires aux célèbres cols roulés, sans tremolos dans une voix éraillée par les paquets de Muratti, de Philip Morris ou de Davidoff.
Fondée en 1906, cette maison turinoise – qui fut longtemps l’une des marques automobiles les plus créatives du monde – devait lentement s’effacer. D’abord, en cessant de vendre des voitures hors d’Italie (« Lancia n’a plus de valeur à l’étranger » avait alors tranché Marchionne). Ensuite, en abandonnant les projets de renouvellement de la brave Ypsilon, unique modèle restant après la mise à mort d’une gamme complétée par de ternes Chrysler rebadgées. Adieu Delta, Fulvia, Beta, Aurelia…
Nous voici dix ans plus tard dans une salle de conférence d’un grand hôtel turinois. Luca Napolitano, patron de Lancia, a tombé la veste et parle avec la conviction des hommes de marketing. Cet ancien étudiant de La Sapienza – l’une des couveuses des élites italiennes – présente à une dizaine de journalistes européens les briques du renouveau de la marque Lancia. Un plan sur huit ans, des ambitions premium, trois nouveaux modèles. Et un grand verre d’eau au milieu de la séance de questions/réponses.
Le contexte est évidemment différent. Depuis la mort de Sergio Marchionne en 2018, le groupe Fiat-Chrysler s’est marié avec PSA Peugeot-Citroën pour former Stellantis. C’est Carlos Tavares qui commande. Et l’homme d’affaires portugais, qui a retourné les fortunes du Lion, croit fermement qu’il y a un futur pour la marque turinoise.
« Tout a commencé en janvier 2021, lors de ma première rencontre avec Carlos Tavares, rembobine Luca Napolitano, il m’a demandé de relancer Lancia en respectant la marque (…) Son existence n’est possible que grâce à Stellantis, en raison des synergies, des plateformes, des logiciels. Nous devons utiliser un maximum de choses de ces synergies ». Le plan Lancia fut validé quelques mois plus tard. Une petite équipe commando basée à Turin devait redonner une identité à Lancia, remplacer l’Ypsilon à l’horizon 2024, rétablir un réseau avant de déployer une gamme plus complète.
Le tout en misant sur une stratégie premium. C’est-à-dire grâce à une : « politique marketing consistant à valoriser auprès des clients un produit, en mettant en avant des bénéfices produit supérieurs (tels que l’innovation, la qualité, l’image de la marque), plutôt que de se battre sur des prix bas », comme le définit la 13e édition du Mercator, bible du marketeur ou de la marketeuse.
La première borne sur le chemin de Lancia 2.0 est atteinte avec la commercialisation de l’Ypsilon. Logiquement, cette citadine basée sur la plateforme CMP du groupe Stellantis, est étroitement dérivée des Peugeot 208 et Opel Corsa. Elle s’en distingue par quelques éléments de style – bandeaux fumés, queue de canard, signatures lumineuses, effets de tôlerie – et un habitacle repensé. Il mise sur les codes de l’architecture d’intérieur italienne.
Côté hardware, les voies ont été élargies, des mousses d’insonorisation ajoutées et les réglages châssis revus. L’Ypsilon est disponible au catalogue en version 100 % électrique (136 ch) et en hybridation légère (100 ch). « C’est une super plateforme, estime le patron de Lancia, qui a donné naissance à deux voitures de l’année ». En l’occurrence, les Peugeot 208 et Jeep Avenger.
À lire aussiEssai – Lancia Ypsilon électrique : qu’offre de plus la cousine italienne de la Peugeot e-208 ?« Il y a trois ans, l’Ypsilon devait être SUV urbain, révèle Luca Napolitano. J’ai demandé à Carlos Tavares s’il était possible de redimensionner le projet pour de ne pas rentrer en concurrence avec certains modèles du groupe ». Il s’agissait notamment de ne pas cannibaliser le récent Alfa Romeo Junior (ex-Milano).
Selon le responsable de Lancia, un autre élément plaidait en faveur d’une citadine plutôt que d’un pseudo-baroudeur : « Notre parc actuel est souvent conduit en agglomération. Un format de 4,25 m nous semblait trop gros ». Rappelons ici que la génération précédente de l’Ypsilon mesurait 3,84 m quand la nouvelle pointe déjà à 4,08 m. « Conserver notre clientèle est déjà un défi, tranche l’homme fort de Lancia. Avec 4,25 m, cela aurait été impossible ».
D’autant qu’une SUVisation de l’Ypsilon aurait encore salé le prix de vente. Or, l’Ypsilon – sortie en 2011 – était perçue ces dernières années en Italie comme un produit d’accès au véhicule neuf, dans les mêmes eaux que Dacia. Il y a cinq ans à peine, les premiers tarifs démarraient à 12 000 euros en thermique. Pas très premium.
Les nouveaux prix de la citadine reflètent davantage la longue et prestigieuse histoire de la marque. La nouvelle Ypsilon est proposée à partir de 24 500 euros (hybridation légère) et 34 800 euros en version électrique. Ça pique déjà plus.
C’est d’ailleurs l’un des défis les plus difficiles pour la marque italienne. Celle-ci doit draguer de nouveaux clients sur davantage de marchés, tout en essayant de maintenir son ancrage existant en Italie.
« Nous avons eu le courage de stopper la production de l’ancienne Ypsilon, se targue le directeur de la marque. C’était une décision difficile à prendre, car on pouvait encore prendre des marges, maintenir plus facilement des parts de marché… Mais continuer avec cette voiture aurait aussi été une bonne excuse pour ne pas faire ce que nous avions prévu, c’est-à-dire du premium ».
Dans la Botte, le plan se déploie sous la forme d’une grosse refonte du réseau : « nous devons être prêts à accueillir un nouveau type de client », concède Luca Napolitano. Lancia passera de 220 à 160 showrooms, mais ceux-ci ne seront plus directement partagés avec Fiat.
Lancia doit donc aussi ressortir d’Italie. Cinq marchés ont été sélectionnés pour la première phase : Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas et Belgique. « Nous sommes sortis des analyses traditionnelles, confie le boss de Lancia. Nous avons choisi ces marchés grâce à des indicateurs différents. Le premier était de savoir dans quels pays se vendent le mieux les produits d’excellence italiens. Pour le fabricant de meubles de luxe Cassina (avec lequel Lancia a collaboré pour la série spéciale de lancement, ndlr.), le marché numéro 1 en Europe est, par exemple, l’Allemagne ». Le critère de l’importance du segment des citadines chics dans chaque pays est en revanche beaucoup plus classique.
En France, comme le révèle notre confrère Franck Boittiaux de L’Argus, les points de vente devraient principalement s’articuler autour d’investisseurs historiques du réseau Alfa Romeo. Une douzaine de sites devraient ouvrir leurs portes d’ici à la fin de l’année. Lancia planifie 25 points de vente d’ici à la fin de l’année 2025. Le tout sera piloté par Alain Descat, encore récemment directeur marketing de Citroën et tout juste nommé à la tête des marques Alfa Romeo, DS et Lancia pour l’Hexagone.
Y aura-t-il d’autres marchés à venir ? « Nous sommes 22 personnes, nous ne pouvons pas nous lancer partout en même temps, avec toutes les technologies, justifie le directeur de la marque. Devenir premium, c’est d’abord respecter nos promesses ». D’ailleurs, quels sont les objectifs de volumes fixés par le plan d’affaires ? « Je ne parlerai pas de chiffres, prévient Luca Napolitano avant de nous en donner un aperçu. L’ancienne Ypsilon s’est vendue entre 40 et 45 000 exemplaires par an avec une concurrence plus moderne. Nous voulons conserver ces dimensions ».
Qui sont les nouveaux clients que l’on va tenter de faire entrer dans les showrooms Lancia ? « J’observe les conducteurs de Mini, avoue Luca Napolitano, je regarde comment ils se comportent, comment ils s’habillent. C’est une opportunité. Mini et Audi sont aujourd’hui nos références ».
Mais la route pour rejoindre ces griffes en termes d’image sera longue. « On voit où en sont les allemands après 30 ans de travail sérieux et persistant, explique le directeur de Lancia. Nous avons démarré la semaine dernière (…). Nous ne sommes pas stupides, nous ne sommes pas naïfs. On utilise les marques allemandes comme référence. Nous allons essayer de combler l’écart trimestre après trimestre ».
65 % du parc actuel d’Ypsilon est conduit par des femmes, selon les chiffres fournis par la marque. Lancia espère obtenir un mix plus proche des 50 % dans les années à venir. Cela passera notamment par le retour de la griffe historique HF sur une version sportive et électrique de l’Ypsilon (240 ch sur les roues avant).
« Pourquoi Mercedes aurait-il un AMG, Audi un label S et BMW une branche M et nous rien ?, demande rhétoriquement le patron de Lancia. Evidemment, nous n’en sommes pas au même point, mais nous faisons cela pour les mêmes raisons pour lesquels ils ont commencé il y a longtemps. Il s’agit d’attirer des clients plus jeunes, des revenus supérieurs, de faire venir des gens chez Lancia, car HF existe, d’augmenter le ticket d’entrée ».
Cette image plus sportive sera complétée cet automne par le retour de Lancia en rallye. La marque 10 fois championne du monde retourne sur tarmac ou sur terre par la petite porte, via une Ypsilon Rally4 HF thermique avant tout destinée aux championnats nationaux et à la compétition-client. « Nous revenons humblement, admet Luca Napolitano, mais si ce projet réussit, nous avons déjà une idée de comment aller plus loin ». Le flou autour de l’avenir du championnat du monde n’incite pas à se presser.
L’un des principaux artisans de la relance de Lancia pendant ces trois dernières années a été Jean-Pierre Ploué. Le « père » de la Renault Twingo, patron du design des marques européennes de Stellantis, a directement piloté la redéfinition esthétique de Lancia.
Les concepts Pu+Ra Zero et Pu+Ra HPE ont tracé les grandes lignes : « On reprend l’ADN, la valeur, les codes et surtout, pas de rétro design, expliquait Jean-Pierre Ploué à nos confrères de LIGNES/auto. Lancia restera toujours moderne. On utilise des éléments typiques de la marque, comme les feux ronds (…) alors que la face avant évoque clairement le ‘calice’ historique de Lancia ».
Attention tout de même à ne pas concurrencer d’autres marques premium du groupe Stellantis. « Nous sommes très loin de DS, souligne Luca Napolitano. Nos formes sont plus pures, plus souples. Nous essayons de cacher les détails quand nos amis français essaient de souligner l’opulence ». Et quelles sont les différences avec une certaine marque milanaise ? « Alfa Romeo est tourné vers le conducteur, Lancia vers tous les passagers ».
Les intérieurs lumineux tapissés de velours, les sièges cannelloni et le tavolino, sorte de petite table portant le chargeur à induction figurent parmi les marqueurs du concept Pu+Ra HPE, révélé en 2023. Ces recettes ont été appliquées sur la plateforme CMP pour lancer l’Ypsilon, avec un résultat nuancé. Si l’esthétique est réussie, la qualité des matériaux demeure moyenne. L’habitacle cosy devrait davantage se manifester à bord de la future Gamma.
À lire aussiLancia Gamma : ce que l’on sait de la future berline électriqueCette berline format Tesla Model 3 devrait se singulariser par son design radical. Et sa chaîne de puissance électrique, autorisée par la plateforme STLA-Medium. « Pour Lancia, je suis optimiste sur l’électrification pour deux raisons, argumente Luca Napolitano. D’abord, notre marque n’a pas à se justifier sur l’absence de son. Notre identité, c’est le confort, l’insonorisation, le design. Deuxièmement, le design futuriste de ce nouveau modèle attirera plutôt des gens qui sont intéressés par les tendances, qui veulent avoir de l’avance… Dans mon esprit, nous serons 100 % électriques bien avant la bascule de 2035 ».
La Lancia Gamma sera bel et bien made in Italy, puisqu’elle verra le jour à Melfi, au sud du belpaese. L’Ypsilon est pour sa part assemblée à Saragosse, en Espagne. Donc en dehors d’Italie. Soyons francs, bien des Renault assemblées en Turquie ou en Espagne se promènent avec des liserés bleu-blanc-rouge. Ou un badge suédois figure sur un récent modèle assemblé en Chine. Mais la question est particulièrement sensible entre les Alpes et la Sicile, où le gouvernement et Stellantis multiplient piques, polémiques, saisies et tensions.
À lire aussiBras de fer entre Stellantis et l’Italie : qui a raison et qui va gagner ?Le site de production pour le troisième modèle Lancia de l’ère Stellantis, attendu pour 2028, n’est pas encore défini. Il devrait vraisemblablement reprendre l’appellation Delta et pourrait s’incarner sous les traits d’une compacte électrique sur base STLA-Medium. Pas de SUV en vue chez Lancia. Rafraîchissant.
Le retour de Lancia semble avoir convaincu Carlos Tavares. Peu après notre rencontre, Luca Napolitano était nommé directeur marketing et ventes de Stellantis en plus de patron de Lancia. Le big-boss du groupe aime donner des doubles casquettes.
Mais la suite du plan Lancia a intérêt à bien se dérouler. « Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir des marques qui ne font pas de profits » a lâché Carlos Tavares, il y a quelques jours, après des résultats financiers jugés décevants de la part de Stellantis au premier semestre. La marque transalpine, à peine remise sur les rails, ne semble pas visée aujourd’hui. Mais aucune des quinze griffes du groupe n’est immortelle. Formé à l’école Sergio Marchionne, l’actuel patron de Lancia le sait sans doute mieux que personne.
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