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Le patron des utilitaires Renault, Heinz-Jürgen Löw, donne son sentiment sur la lente progression de l’utilitaire électrique.
Dès 2011, Renault lançait son Kangoo Z.E, l’un des tous premiers véhicules pros 100 % électriques. Treize ans plus tard, la part du VE dans les ventes d’utilitaires légers (moins de 3,5-tonnes) demeure minime.
« Entre janvier et septembre, le poids de l’électrique dans les immatriculations en Europe est de 6 %, explique Heinz-Jürgen Löw, patron depuis deux ans des utilitaires Renault. Et sur les quatre derniers mois, nous voyons que les immatriculations sont en baisse ». Sur la même période, la part d’électrique était de 14,7 % du côté des voitures particulières.
Ce n’est pas faute d’offre. Les pros ont désormais à un choix copieux sur le marché européen, du branché Volkswagen ID. Buzz Cargo au compact Fiat e-Doblo en passant par les nouveaux entrants chinois à l’image du Maxus eDeliver 5.
Chez Renault, le Kangoo, le Trafic et le Master sont déclinés avec des accumulateurs de 40 à 87 kWh. Mercedes, Ford, Peugeot ou Citroën proposent également des véhicules à batterie dans leur catalogue.
Nombre de véhicules utilitaires légers vendus en Europe* au premier semestre 2024 : 1 051 857
Types d’énergies :* Ventes dans l’Union européenne + Islande + Norvège + Royaume-Uni + Suisse (source : ACEA)
« Cela fait un peu mal, s’attriste Hans-Jürgen Löw, interrogé dans le cadre du Mondial de l’automobile. L’industrie a fait son devoir – pas que nous – et les véhicules sont à disposition. Mais les clients ne sont pas prêts comme on en aurait besoin ».
Comment expliquer ce désamour ? « Nous parlons avec nos commerciaux, explique Heinz-Jürgen Löw. On le voit dans les concessions : un client n’arrive pas en disant qu’il veut un Kangoo électrique. La première réaction est de poser des questions : « Quelle est mon autonomie ? Où puis-je me recharger ? Est-ce adapté à mes usages ? ». Il y a beaucoup de sujets pédagogiques à discuter. Même si Renault était pionnier, cela reste compliqué ».
« On a besoin de démonstrations, poursuit le dirigeant, arrivé chez Renault après avoir travaillé pour AB Volvo/Renault Trucks (camions), MAN ou Volkswagen. Derrière le volant, les clients voient vraiment si cela fonctionne ou non pour eux (…). Il faut beaucoup les écouter. On fait des grandes batteries jusqu’à 87 kWh sur le Master. Mais, d’un autre côté, beaucoup nous disent : « 40 kWh me suffisent, cela correspond à mon cycle journalier ». J’espère trouver les bonnes solutions ».
À lire aussiQue restera-t-il de l’Estafette Concept dans le futur utilitaire électrique de Renault ?Il est beaucoup question de rationalité au moment de signer un bon de commande : « Ceux qui achètent un utilitaire pensent à un outil, à un moyen pour faire son boulot, de gagner sa vie. Si ce n’est pas suffisamment intéressant, en termes de TCO (coût total de possession, NDLR.), cela ne marche pas ». Et tous les marchés ne sont pas logés à la même enseigne : « Les situations sont très différentes en Europe : les coûts d’électricité, par exemple, ne sont pas du tout les mêmes. Le coût du gazole aussi ».
Nuançons tout de même. Certains pros font la bascule : « On voit que les grands comptes, notamment pour les grosses sociétés ayant intégré des objectifs ESG (critères environnementaux, de société et de gouvernance, NDLR.), cela fonctionne bien, confirme le monsieur utilitaire du Losange. C’est aussi le cas dans l’univers de la logistique du dernier kilomètre ».
Reste donc à convaincre les artisans ou les petites flottes. La question du prix et des aides est évidemment centrale. A ce jour, un utilitaire léger électrique est plus cher qu’un diesel. En 2024, le bonus écologique de 3 000 euros permet de combler (en partie) cette différence. « Je n’ai pas de boule de cristal » explique le patron des utilitaires Renault à propos du devenir du bonus pour les pros après le 1ᵉʳ janvier.
« Beaucoup de pays ont arrêté les aides à l’achat. On a tout de suite vu la réaction des clients », explique Heinz-Jürgen Löw. En Allemagne, les immatriculations de VUL électriques ont ainsi reculé de 8,5 % entre le premier semestre 2023 et le premier semestre 2024.
Comment encourager davantage ? « Je suis allé en Norvège pendant la phase de décollage du véhicule électrique, témoigne le dirigeant. Il y a les aides monétaires, mais aussi les aides facilitant la vie. La possibilité de se garer partout, d’utiliser une voie supplémentaire, la qualité du réseau de recharge, etc. ».
Au-delà, le produit doit encore évoluer : « Il faut réduire le prix des batteries, qui est une grande partie du prix du véhicule. Et deuxièmement, nous devons accroître la densité énergétique pour trouver des autonomies plus longues. Un autre sujet est la puissance de recharge ».
Le concept Renault Estafette est ainsi doté d’un système électrique fonctionnant avec une tension à 800 volts, accélérant les recharges sur borne rapide. La version définitive de ce véhicule, conçu en collaboration avec Volvo AB et CMA-CGM, sera fabriquée à partir de 2026 sur le site historique du Losange à Sandouville (Seine-Maritime).
Parallèlement, Renault a présenté au récent salon de Hanovre la version H2-TECH Prototype de son Master, fonctionnant à l’hydrogène grâce à une pile à combustible. Compétitif ? « Aujourd’hui non, admet le directeur. Les sujets sont les mêmes que sur l’électrique à batterie. Les gens nous demandent combien coûte un kilo d’hydrogène. Ou nous posent des questions sur les stations. Mais s’il n’y a pas d’initiatives comme cela, il n’y a pas d’innovation. Nous faisons des tests avec quelques clients qui savent que les coûts sont plus élevés et que cette expérimentation ne remplacera jamais le véhicule électrique à batterie ».
Pour les constructeurs d’utilitaires, il y a d’ailleurs urgence. L’arrivée des nouvelles normes CAFE pour les VUL au 1er janvier 2025 réclame urgemment un panachage plus électrifié dans les ventes, sous peine de fortes amendes : « Je n’ai aucune idée de comment on va arriver à 15, 16 ou 18 % l’année prochaine, concède Heinz-Jürgen Löw. Je ne sais pas ». S’il refuse de donner un montant, le directeur évoque un risque de pénalités « significatives ».
Le règlement européen interdit par ailleurs la création d’un « pool » entre un constructeur de voitures particulières et un fabricant d’utilitaires. Les immatriculations de Renault 5 ne compenseront pas les émissions des Master.
« Il y a une vraie contradiction, poursuit le dirigeant. Nous, les constructeurs, avons des objectifs énormes de baisse des émissions de CO2. Mais à côté, si l’on n’a pas quelqu’un qui veut avancer avec nous, c’est très compliqué (…) On ne peut pas forcer un client à faire quelque chose qu’il n’est pas prêt à faire ».
À lire aussiNouveau Renault Master : quels prix pour l’utilitaire électrique à grande autonomie ?Risque-t-on de voir le nombre d’utilitaires thermiques restreint, à l’image de ce Stellantis a laissé entendre à propos des voitures particulières ? « C’est mathématique, détaille Heinz-Jürgen Löw. Soit nous vendons moins de thermique ou alors nous augmentons les prix pour les clients pour compenser ce que cela me coûte, soit je suis capable de faire croître rapidement la part d’électrique. C’est une pondération des deux ». Si les prix du thermique flambent, l’électrique pourrait gagner en compétitivité… mais nuira au pouvoir d’achat des pros.
Comme son patron Luca de Meo, le directeur du volet commercial de Renault espère « un dialogue » sur l’application des pénalités prévues à partir de 2025 : « Peut-être que quelqu’un va se demander s’il est vraiment raisonnable de demander des pénalités sur un marché où personne ne sera en mesure de tenir les objectifs. Je ne veux pas les disqualifier. Nous ferons notre maximum (…) Mais avec cette vitesse de transformation, je ne sais pas comment faire ».
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