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Il y a une nouvelle ligne à la liste des choix pour cruiser tranquillement à 250 km/h sur l’autobahn en berline électrique. Aux Tesla Model S, Porsche Taycan et Audi E-tron GT s’ajoute en effet désormais l’Emeya, la toute dernière production de Lotus. Oui, le chantre de la légèreté, de l’équilibre et de l’émotion automobile. Alors, affreux blasphème roulant ou évolution logique et nécessaire ? Et, surtout, est-ce une bonne voiture électrique ?
Voici donc la Lotus Emeya, une berline électrique donc, que la marque qualifie même d’Hyper GT, mais qui, avec une assiette paraissant élevée, donne presque l’impression d’un crossover à la façon d’une Kia EV6, même s’il y a déjà un SUV dans la gamme avec l’Eletre. Chacun aura son avis sur cette ligne spectaculaire, cependant une chose est sûre, elle a été sculptée par le vent, ce qui lui offre un Cx de seulement 0,21. Ça, c’est à la fois bon pour les performances, mais aussi pour l’efficience. Mais ce chiffre pourtant déjà excellent n’est rien face à la fiche technique. Il y a trois versions d’Emeya et les deux premières ont un moteur sur chaque train de roue délivrant un total de 612 ch et 710 Nm. Pas mal pour une entrée de gamme, non ? Mais — accrochez-vous — celle que vous avez sous les yeux est la reine mère de la gamme, l’Emeya R, qui tourne tous les potards à 11 comme l’ampli de Nigel Tufnel dans le film culte Spinal Tap.
Jugez plutôt : 306 ch à l’avant, 612 ch à l’arrière pour un total de 918 ch, avec un couple qui n’est pas en reste avec 985 Nm ! Pour nourrir une telle cavalerie, vous vous en doutez, il faut évidemment une sacrée réserve d’électrons et on retrouve dans le plancher une colossale batterie lithium-ion sous 800 V avec une capacité brute de 102 kWh pour 98,9 kWh utilisables. Enfin, pour la transmission, Lotus s’est inspiré de ce que Porsche et Audi ont respectivement fait sur les Taycan et e-Tron GT avec une boîte de vitesses à deux rapports permettant d’avoir à la fois des accélérations et des reprises extraordinaires : on parle, en effet, d’un 0 à 100 km/h expédié en 2,78 s et d’un 80 à 120 km/h en 1,7 s…
Mais l’Emeya a d’autres cartes dans son jeu et la plupart sont des as. Lotus n’a, en effet, négligé aucun détail pour accueillir le conducteur et les passagers dans le plus grand des conforts avec une liste d’équipements bien trop longue pour en faire ici le décompte exhaustif. Retenez cependant cette planche de bord spectaculaire percée de trois grands écrans, un de 15,1 pouces au milieu pour le système d’infodivertissement animé par, paraît-il, le plus puissant processeur que l’on peut trouver dans une automobile et, de part et d’autre, un bandeau de 12,6 pouces servant d’instrumentation pour le conducteur et le même face au passager pour ne pas faire de jaloux.
On pourrait aussi vous citer l’affichage tête haute de 51 pouces, la climatisation 4 zones ou les sièges avant pouvant se régler électriquement de 12 façons différentes, mais si on doit retenir deux éléments de plus, c’est d’abord la finition de très haut vol ainsi que l’espace aux jambes et à la tête absolument remarquables aux places arrière malgré la ligne de toit plongeante. Sur cet aspect-là, on se sent bien moins engoncé qu’à bord d’une Taycan. On termine ce passage en revue par un point sur le volume de ou plutôt des coffres, un élément important pour une routière : il est de 509 litres à l’arrière, accessible via un hayon, et de 31 litres à l’avant, ce qui est parfait pour y glisser les câbles de recharge.
Tout ceci est bien pensé et de fort belle facture, mais est-ce que c’est vraiment cela qu’on attend d’une Lotus ? Il va falloir en effet parler des sujets qui fâchent en commençant en premier par montrer du doigt l’éléphant se cachant tant bien que mal dans la pièce, comme on dit outre-Manche : oui, l’une des plus célèbres citations de Colin Chapman, fondateur de Lotus et ingénieur automobile extraordinaire, est bien « light is right », ce qui se traduit par « la vérité est dans la légèreté ». Cela a donné naissance à toute une dynastie de sportives dépourvues du superflu qui ont marqué l’Histoire de l’Automobile. Lotus a eu plusieurs vies, mais dans son histoire contemporaine, on a encore en mémoire l’Elise sortie en 1996. Malgré seulement 120 ch, elle offrait des performances de premier ordre puisque, grâce à son châssis en aluminium collé et sa carrosserie en fibre de verre, elle ne pesait que 673 kg.
Et c’est là que l’on serre les dents : 673 kg, c’est 50 kg de plus que la seule batterie de l’Emeya et… 2 tonnes de moins que cette version R. Et ça, ça fait mal. Avec plus de 900 ch pour pousser tout ça, il est certain qu’on ne sentira pas cette masse colossale à l’accélération, mais qu’en est-il en courbes et au freinage ? Et c’est alors une autre citation de Colin Chapman qui revient en tête : » ajouter de la puissance vous rend plus rapide en ligne droite, soustraire de la masse vous rend plus rapide partout ». Aïe. Laissons cependant à l’Emeya le bénéfice du doute : ces dernières décennies, on ne s’est pas affranchi des lois de la physique, mais on a fait un progrès absolument énorme en liaisons au sol. Est-ce que c’est suffisant ?
À lire aussiEssai – Porsche Taycan Turbo GT Pack Weissach : au volant du monstre électrique du NürburgringPour le déterminer, nous sommes allés sur un de nos terrains de jeu préférés perdus dans les Vosges, sur une route en lacets serpentant à travers la forêt, juste assez large pour que les rétroviseurs caressent les fougères de chaque côté et avec un bitume loin d’être un billard. Typiquement l’endroit où l’Elise originale brille de mille feux, à l’instar du sourire de son conducteur.
En allant explorer la seconde moitié de la course de la pédale de droite, la première impression ne surprend personne : la vache, ça pousse. Absolument aucun souci de traction en sortie de courbe malgré un goudron pas forcément bien propre, tout passe au sol, au point que ça en est physiquement pénible. Ça se montre très efficace, c’est évident, mais on voit déjà quelques problèmes, le plus gros étant ce siège. Certes, il maintient bien avec les bons réglages, mais l’assise est trop haute, on se croirait presque dans un SUV. On a une direction qui est rapide, précise et informative, toutefois on ressent clairement la masse dans les changements de cap rapides. Un bon point pour les roues arrière directrices qui font totalement oublier que l’engin dépasse les 5 mètres. La sensation à la pédale de frein pourrait être améliorée aussi dans la transition régénération/serrage des étriers. Pas de bruit synthétique ou quoi que ce soit, juste le bruit naturel (dirons-nous) des moteurs électriques. Et c’est là peut-être que le bât blesse aussi, après avoir expérimenté la Hyundai Ioniq 5 N, ses grondements réussis et sa fausse boîte extrêmement convaincante qui aide en plus à se repérer par rapport à la vitesse. Mais quel punch….
Est-ce que c’est efficace ? Aucun doute. Est-ce qu’on s’amuse vraiment sur ce genre de route avec l’Emeya R ? Pour être honnête, c’est surtout effrayant, parce qu’on a un châssis actif, des suspensions jusqu’aux barres antiroulis, qui, en compensant constamment ce que vous faites au volant, laisse un flou total sur où vous en êtes de l’adhérence et de votre talent. Et ce n’est pas vraiment ça que vous voulez quand vous avez plus de 900 ch à disposition. Il faudra d’ailleurs certainement un jour lancer un débat sur les dangers que représente la « démocratisation » (notez bien les guillemets avant de sortir les fourches dans les commentaires) de ces dragsters au milieu du trafic routier. En attendant, on se surprend donc vite à lever le pied et à profiter de l’Emeya pour ce qu’elle est, un cocon vous isolant du reste du monde, un endroit serein où règne calme et volupté où on a envie d’aligner les bornes. Au final, c’est plus proche de ce qu’on pourrait attendre d’une Bentley en fait. En sachant ça, faut-il alors préférer une Emeya « simple » ou une Emeya S pour quelques dizaines de milliers d’euros de moins, plus d’autonomie et les mêmes performances en matière de recharge ? Sans doute.
Est-ce que cet essai ne fait que confirmer ce qu’on pensait bien avant de prendre le volant de cette Emeya R ? Évidemment, mais est-ce que ça vaut mieux que plus de Lotus du tout ? Parce qu’on ne va pas se mentir, si les Britanniques ont toujours fait partie des références pour concevoir les meilleures voitures sportives de la planète, on ne peut pas dire qu’il en soit de même pour en faire un modèle économique stable si l’on en croit le destin malheureux de la quasi-totalité des artisans automobiles d’outre-Manche. Et les chiffres ne mentent pas : en 2018, juste après le rachat majoritaire de Lotus par le Chinois Geely, la marque écoulait péniblement 1 630 voitures dans le monde. L’année dernière, elle a tutoyé les 7 000 unités dont 63 % d’électriques !
Au-delà de l’aspect économique, il y a aussi aujourd’hui une réalité technique. En l’état actuel du développement des batteries, même s’il avance à pas de géant, on ne sait pas encore faire un roadster électrique qui soit à la fois sous la tonne dans la grande tradition de Lotus et qui offrirait par ailleurs une autonomie acceptable. Mais il ne fait aucun doute qu’on y parviendra un jour et que Lotus fera partie des premiers à proposer un tel produit. Et plus tôt qu’on ne le pense, mais chut, on ne peut pas en dire plus pour l’instant.
Et même si cette Emeya pèse sûrement aussi lourd que le cottage dans lequel Colin Chapman habitait, il y a de fortes chances que de nombreux éléments qu’elle présente aurait plu à son esprit d’ingénieur automobile de génie qui vouait avant tout une passion sans bornes aux voitures de course et à la Formule 1 en particulier. On parle souvent de son obsession maladive pour le poids, mais c’était avant tout un moyen d’arriver à son but. Car peu lui importait les ingrédients de la recette, tant que la victoire était au bout. Pour commencer, il serait déjà resté sans doute bouche bée face à sa puissance, proche du double de ce que produisaient les F1 de son époque. Mais ça n’est pas tout.
En 1981, Lotus sortait la 88, une Formule 1 si révolutionnaire par ses éléments aérodynamiques actifs qu’elle a été bannie instantanément par la FIA sans avoir effectué la moindre course. L’Emeya, elle, n’a pas à se plier à un règlement quelconque en la matière, et ça se voit. Pour commencer, elle a été soigneusement conçue en soufflerie pour que l’air passe non seulement autour mais aussi à travers sa carrosserie pour réduire la trainée et augmenter l’appui.
Et voilà ce qui aurait fait briller les yeux de Colin Chapman : les volets de la calandre s’ouvrent automatiquement pour refroidir le moteur, la batterie ou les freins et se ferment afin de réduire la trainée aérodynamique, et ainsi augmenter l’autonomie de jusqu’à 21 km. L’aileron biplan déployable peut générer jusqu’à 215 kg d’appui. Enfin, les becquet avant et diffuseur arrière actifs offrent jusqu’à 76 kg d’appui aérodynamique ou 11 km d’autonomie supplémentaire selon leur position.
Colin Chapman serait aussi particulièrement enthousiaste en examinant les suspensions pneumatiques et le système complet d’amortissement piloté faisant varier hauteur de caisse et fermeté suivant le mode de conduite choisi. Pourquoi ? Parce que c’est aussi lui qui a conçu la première Formule 1 à suspensions actives, la 92, qui sera sa dernière œuvre avant son décès en 1982.
Au moment de ralentir, l’ami Colin aura aussi sûrement été fasciné d’avoir le choix entre la régénération d’énergie sur quatre niveaux via la palette de gauche et, s’il faut s’arrêter plus court, des freins avec étriers à 10 pistons à l’avant et 4 pistons à l’arrière mordant à pleines dents dans des disques carbone céramique de respectivement 420 et 410 mm.
Il y a aussi d’autres départements qui auraient défié son imagination, comme le système de lidar scannant et cartographiant les environs en temps réel, ou encore les rétroviseurs caméra, même si le positionnement de l’écran gauche est, disons-le tout net, absolument atroce.
Enfin, là où l’ami Chapman aurait pu ressentir de la fierté, c’est en sachant que son Emeya fait partie des meilleures voitures électriques du monde au chapitre de la recharge. Elle n’est déjà pas en reste pour faire le plein en courant alternatif, puisqu’on ne fait pas mieux actuellement que les 22 kW annoncés, mais ça devient franchement extraordinaire quand on s’intéresse à la recharge en courant continu : Lotus annonce officiellement qu’elle peut encaisser une puissance de 350 kW, lui permettant de passer de 10 à 80 % de charge en moins de 20 minutes. Mais officieusement, comme notre Valentin a pu le constater de ses yeux lors d’une démonstration il y a quelques semaines, elle pourrait supporter jusqu’à 400 kW, voire plus, ce qui ferait baisser le temps d’attente à seulement 14 petites minutes.
Alors ce sont des chiffres à couper le souffle sur le papier, c’est certain, cela vous permettra de frimer à l’apéritif chez les copains, mais il y a quand même des petits caractères à lire en bas de page, et j’ai demandé à Mathieu Mergnat, chef de projet chez Chargemap et grand spécialiste de la question, de les lire pour nous et de nous accompagner pour une recharge dans des conditions réelles.
Il faut déjà trouver une borne capable de délivrer de telles puissances, et ce sont loin d’être les plus courantes. De plus, pour atteindre les chiffres annonces, il faut que les conditions soient idéales : batterie mise à température optimale par préchauffage, état de sa charge au ras des pâquerettes, météo autour des 25°C, réseau électrique en bon état ou encore pas de partage de la puissance avec une autre voiture se rechargeant à côté. Vous l’avez compris, la liste est longue, suffisamment pour faire douter Mathieu quant à nos chances d’atteindre le maximum que peut donner la station Ionity sur laquelle nous nous trouvions et pouvant offrir théoriquement 350 kW.
Et pourtant, après une charge qui est allée de 8 à 95 %, la moue dubitative de Mathieu s’est transformée en sourire admiratif face aux chiffres à couper le souffle que nous avons obtenus : 10 à 80 % en à peine plus de 14 minutes, pic à 360 kW, plus de 300 kW jusqu’à 60 %, plus de 200 kW à 80 % et encore 100 kW à 90 % ! Du jamais vu pour lui comme pour moi.
Toutefois, c’est aussi bien beau de charger très vite, mais l’efficience a aussi son mot à dire. Pour l’Emeya, ça va encore pour la version « de base » qui peut faire jusqu’à 610 km en une charge, mais pour cette version R cependant, cela peut descendre jusqu’à 435 km, ce qui est peu quand on a une batterie tutoyant les 100 kWh. Dans la réalité, lors de notre essai où nous ne l’avons pas ménagée, nous avons même relevé une consommation moyenne des 25 kWh/100 km, ce qui donnerait une autonomie de l’ordre de 400 km. Mais c’est vrai qu’il faut bien nourrir les plus de 900 ch.
À lire aussiTémoignage – Pourquoi Vazken a-t-il choisi le Lotus Eletre et non la Porsche Taycan ou le Tesla Model X ?En matière de concurrence, croyez-le ou non, mais le marché des berlines électriques de 600 à plus de 900 ch se montre plutôt fourni. Les 109 à 154 000 € demandés pour cette Emeya la placent dans la même catégorie que les cousines Porsche Taycan et Audi e-tron GT qui viennent d’être mises à jour, avec des versions correspondantes. On retrouve chez les Allemandes sensiblement les mêmes performances et le même soin apporté à leur conception, mais, avouons-le, un toucher de route supérieur qu’elles font cependant payer de quelques milliers à quelques dizaines de milliers d’euros supplémentaires. Et puis, évidemment, on ne peut pas ne pas citer la Tesla Model Plaid, qui ne peut pas prétendre au même raffinement, c’est certain, mais qui est un épouvantail de 1 020 ch en matière de performances pour 50 000 € de moins que cette version R.
Est-ce que, au final, on peut donc ressentir dans cette Lotus Emeya l’ADN typique de la marque ? Sous certains aspects oui, sous d’autres non. Mais la marque de Colin Chapman, qui adorait plus que tout les défis, est quand même arrivé à se placer en un temps record dans l’élite mondiale de la voiture électrique, et ça, ce n’est pas rien.
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