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La production à grande échelle de biocarburants aggrave la faim dans le monde

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Plantations et usine d’extraction d’huile de palme en Malaisie [Marufish/flickr]

Alors que Total vient d’inaugurer à La Mède son usine de production de biocarburants et que le récent accord signé par l’UE avec le Mercosur ouvre la porte de l’Europe aux agrocarburants sud-américains, un nouveau rapport du GIEC confirme l’impact négatif sur la sécurité alimentaire mondiale de la production à grande échelle de biocarburants.

« Il est indispensable de revoir la façon dont sont utilisées et cultivées les terres dans le monde et repenser nos habitudes de consommation afin d’assurer à la fois la sécurité alimentaire des Terriens et la lutte contre le réchauffement climatique ». C’est l’avertissement lancé jeudi par le groupe d’experts de l’ONU pour le climat (Giec) qui pointe notamment la production à grande échelle de biocarburants comme une des causes de l’aggravation de la faim et de la pauvreté dans le monde. Selon les auteurs du rapport, environ 820 millions d’êtres humains souffrent de la faim.

Plusieurs ONG dont Oxfam, Greenpeace et Climate Action Network (CAN) ont directement réagi par communiqué, demandant à l’UE et aux Etats membres de revoir à la baisse leurs objectifs concernant l’utilisation de biocarburants. « Miser sur une production massive de biocarburants entraînerait une compétition avec les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, et contribuerait à la déforestation, la dégradation des sols et à la désertification. Des risques qui constituent une menace pour la sécurité alimentaire et l’approvisionnement en eau, surtout pour l’Afrique subsaharienne et l’Asie du sud » ont-elles déclaré.

Bilan carbone exécrable

Moins présente dans notre alimentation depuis les campagnes négatives dont elle a fait l’objet, l’huile de palme s’est maintenant faite une place à la pompe. Selon l’ONG Transport&Environment (T&E), la part de l’huile de palme importée en Europe à destination des agrocarburants (biodiesels) est passée de 8% en 2010 à 53% en 2018. « Cela se traduit par une augmentation de 606% des quantités d’huile de palme utilisée pour le biodiesel», s’est alarmé France Nature Environnement (FNE).

Or nous savions déjà depuis longtemps que le recours massif aux agrocarburants – censés endiguer les émissions de CO2 des transports – sont en réalité synonymes de déforestation et qu’ils représentent une catastrophe pour le changement climatique. L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires estimait, dès 2013, que le bilan carbone du biodiesel produit à partir des huiles de palme, de colza et de soja était supérieur à celui du gazole d’origine fossile.

Un rapport récent publié par la Commission européenne révèle que 45 % de la croissance mondiale des productions d’huile de palme s’est faite au détriment des forêts. Selon cette étude, l’impact climatique du biodiesel serait 3 fois plus important que celui du diesel produit à partir de pétrole.
T&E a calculé pour sa part que « les agrocarburants fabriqués à partir d’huiles végétales vierges comme le soja ou l’huile de palme (soit 60% du marché en 2020) sont 80% pires pour le climat que les carburants fossiles ».

La bio-raffinerie de Total à La Mède, déjà en sursis ?

Les conclusions du GIEC ne sont pas une bonne nouvelle pour Total qui vient d’inaugurer sa raffinerie de La Mède dans les Bouches-du-Rhône. Avec une capacité de production annuelle de 500.000 tonnes de biodiesel, elle serait une des plus importantes d‘Europe. Pour rappel, le groupe pétrolier a reçu, en mai 2018, le feu vert de la préfecture et du ministère de la Transition écologique pour exploiter cette usine fort décriée par les organisations de défense de l’environnement.

L’accord signé avec le gouvernement autorise Total à utiliser au maximum 300.000 tonnes d’huile de palme par an. Le reste des approvisionnements proviendra d’huiles de colza et de tournesol et, pour plus d’un tiers, du retraitement de déchets (graisses animales, huile de friture, etc.).
Cela n’empêche pas les associations environnementales de poursuivre leur opposition à la raffinerie. Selon Greenpeace, le recours déposé en juillet 2018 contre l’autorisation préfectorale du site est « toujours en cours » . Les ONG dénoncent notamment « l’entêtement du groupe pétrolier alors que, d’ici six mois, l’huile de palme devrait être exclue de la liste des biocarburants ». En raison de l’impact sur la déforestation, l’Assemblée nationale a en effet voté en 2018 la fin, dès le premier janvier 2020, de l’avantage fiscal accordé à l’incorporation d’huile de palme dans le gazole.  Une exclusion qui priverait Total d’un bonus financier de l’Etat français représentant une centaine de millions par an.  Le gouvernement a bien tenté de s’y opposer, mais en vain.

Un « mauvais coup » dénoncé par Patrick Pouyanné, le PDG de Total. Dans un entretien accordé récemment à la « Revue Parlementaire » il affirmait que « cette bioraffinerie n’est pas viable, car elle souffrira d’un déficit de compétitivité contre les importations de biodiesel, mais aussi contre ses concurrentes européennes qui bénéficient d’un cadre fiscal avantagé ». Le groupe a dès lors engagé un lobbying intense auprès des parlementaires pour annuler la mesure.

Les nouvelles conclusions du GIEC ne devraient pas lui faciliter la tâche. La raffinerie de La Mède serait-elle déjà en sursis ?

L’Europe ouvre les bras aux biocarburants sud-américains

Le récent accord commercial signé par l’Union européenne avec le Mercosur – l’association économique de 4 pays sud-américains (Brésil, Argentine, Paraguay et Uruguay) – annonce une menace supplémentaire pour le climat et la déforestation. En effet, ce texte prévoit une réduction des tarifs douaniers frappant l’importation en Europe de certains biocarburants sud-américains. Chaque année, 200.000 tonnes de bioéthanol produits à partir de canne à sucre, de maïs ou de céréales pourront bénéficier de cette mesure. Pour T&E qui dénonce les termes de cet accord, le Brésil de Bolsonaro est le plus grand exportateur mondial de bioéthanol et l’Europe lui ouvre maintenant ses portes. « C’est une mauvaise nouvelle de plus pour la déforestation en Amazonie ».

En outre l’accord élimine ou réduit les droits de douane sur l’importation dans l’Union du soja cultivé dans les pays du Mercosur. Cela en fera une matière première plus attractive pour les producteurs européens de biodiesel.

Pour William Todts, directeur de T&E, il s’agit d’un « nouveau signe de l’échec de la politique européenne en matière de biocarburants. Ce qui a commencé comme un plan mal conçu pour promouvoir les carburants verts et stimuler l’agriculture européenne se solde par un cauchemar. Nous avons d’abord vu l’huile de palme conquérir le marché du biodiesel en Europe, et maintenant nous ouvrons les bras au soja, un des pires agrocarburants pour l’environnement. Nous devons absolument réinitialiser complètement cette politique ».

Culture de soja

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